jeudi 15 avril 2021

Histoire des techniques d'imprimerie

Nous sommes très heureux de signaler la publication d’un ouvrage scientifique italien consacré à l’histoire des techniques d’imprimerie et de reproduction graphique. Le lecteur francophone y trouvera d’autant plus son intérêt que l’approche résolument transnationale donne à cette étude une dimension trop souvent négligée. Nous publions ci-après le sommaire détaillé, et faisons suivre la notice d’une brève présentation historiographique visant à replacer l’histoire des techniques d’imprimerie dans le champ plus vaste de la recherche historique: certes, l’histoire des techniques doit être «œuvre de techniciens», mais chaque technique ne se donne à comprendre qu’au sein d’un ensemble, celui des «systèmes techniques» tels que les avait définis notre maître Bertrand Gille. Pour l’historien, la technique n’est pas une donnée, mais une variable, qui s’organise nécessairement par rapport à des conditions sociales, économiques et culturelles plus générales auxquelles elle répond.

Maria Gioia Tavoni,
Storie di libri e tecnologie. Dall’avvento della stampa al digitale,
Roma, Carocci editore, 2021,
221 p., ill., glossaire, index nominum
(« iblioteca di testi e studi»).
ISBN : 9788829001101

Sommaire

1. Con l’avvento della stampa
Nuove procedure/Il modello per la stampa/Interventi degli editori e/o dei compositori/Con la stampa si cambia mestiere/Carattere e caratteri/Convivere con il manoscritto/Veri imprenditori: i Gryphe di Lione/Il collezionismo/Vendere girovagando e cantando/La conquista di un’audience femminile/Nei chiostri/I traguardi delle donne/Per interesse o per passione?/Figure legate alla stampa: i correttori/Per meglio veicolare i testi: le immagini a stampa/Al servizio della scienza/Accorgimenti per una più attenta fruizione
2. Dalla parte dei bambini
Luoghi del lavoro/Educare anche all’arte/L’apprendimento con tavole e disegni/L’editoria scolastica/Premiare a scuola/Produrre il libro scolastico/Crescere con i torchi/Apprendere il mestiere/Quanti e quali bambini all’opera/Il contesto lavorativo/In sorte ai bambini anche nell’industrializzazione/Il magistero della Chiesa/Il pedaggio dell’industrializzazione
3. Il balzo dei giornali e i problemi della carta
Dalla domanda di lettura alle svolte editoriali/Le donne e i giornali/Un genere che seppe imporsi: il feuilleton/Oltreoceano e in Europa con nuove macchine/I traguardi nell’uso della carta/In Italia, il problema della carta/Da ricerche del passato e di imprenditori/L’autarchia/Un caso fra tanti/In risposta alla domanda di lettura

4. Contro la massificazione: le nicchie
Incipit/Un movimento e i suoi adepti/Le specializzazioni/Donne e stampa manuale/La Scuola viennese/L’arte del libro in Germania/La tecnica al servizio del libro d’arte/Una rivista fuori dall’ortodossia di stampa/Belli e utili i caratteri di legno/Un’impresa fra storia e attualità/L’Italia, una meta/Rinnovare il passato/E domani?
5. La fiction: un altro caso a sé
Romanzi ma del genere reality/Honoré de Balzac, editore e tipografo/Le Illusions perdues e la macchina editoriale/Un tecnico narratore/Nelle segrete cose: Ezio D’Errico docente/Due autori a confronto/Conteso fra due esperienze
6. Dal passato, uno sguardo al futuro
Il nuovo che avanza/Il libro: àncora o ancora?/Un nuovo corso/Tempora mutantur, et nos mutamur in illis/Le nuove macchine di stampa digitale/Le macchine e il loro utilizzo/Il print on demand, un’opportunità?/ Il print on demand in biblioteca/Un motivato auspicio
Glossario a cura di Edoardo Fontana
Indice dei nomi a cura di Chiara Moretti   

C’est peu de dire que l’histoire des techniques se place, traditionnellement, au cœur de l’histoire du livre, puisque la grande mutation de celle-ci avait été identifiée à l’invention de la typographie en caractères mobiles par Gutenberg et ses épigones au mitant du XVe siècle. Pour Henri Berr projetant (comme plus tard pour Lucien Febvre préparant) L’Apparition du livre, le fait majeur réside dans la mise au point de la presse –ce que nous désignons aujourd’hui comme l’innovation de procédé. Ce choix aboutit à séparer radicalement l’«avant» et l’«après» tout en insistant sur le rôle décisif de l’inventeur génial. Par suite, la concurrence entre les nations s’accompagnera aussi, dans la seconde moitié du XIXe et un partie du XXe siècle, de l’essor de la controverse autour de la figure de l’inventeur et de la première localisation des presses (Haarlem, Mayence ou Strasbourg?). Le titre même de L’Apparition du livre (1958) donne au phénomène une dimension quasi-surnaturelle que nous retrouvons dans la lecture de l’invention par Luther: l’imprimerie n’est-elle pas le dernier don par lequel Dieu se manifeste aux hommes avant l’Apocalypse? Son «apparition» fonctionnerait bien comme une épiphanie.

Pour autant, la recherche aboutit, depuis plusieurs décennies, à insérer cette approche dans une double mise en perspective. Sur le plan de la chronologie, d’abord: les lecteurs de notre blog connaissent notre position, selon laquelle le changement ne peut se donner à comprendre que par l’analyse de ses conditions de réalisation. Pour faire bref, il faut qu’il soit rendu possible par un certain nombre de mutations ou d’évolutions qui lui sont antérieures, et dont la moindre ne réside pas dans la mutation du système d’ensemble des techniques. Les développements de la sidérurgie et de la métallurgie sont la condition liminaire pour passer à la typographie en caractères mobiles, tandis que seule la diffusion du nouveau support d’écriture, le papier en place du parchemin, rend possible une large utilisation des presses. Le marché lui-même se déplace, dans la mesure où l’innovation suppose d’engager un capital important, ce qui ne sera effectif que si l’investisseur perçoit des possibilités de développement lui permettant de se rémunérer. Un coup d’œil rétrospectif montre que la réflexion sur ces thèmes a été considérablement enrichie par l’apport du comparatisme entre les différentes «révolutions du livre», jusqu’à la révolution actuelle des nouveaux médias.
La seconde mise en perspective est elle aussi familière aux lecteurs de ce blog, qui concerne la dynamique même du changement. L’innovation de procédé n’épuise évidemment pas le processus d’innovation: la typologie très sommaire met en évidence le rôle de l’innovation organisationnelle –on pensera d’abord à l’organisation et aux pratiques de travail dans les nouveaux ateliers de production, puis dans les usines du XIXe siècle. Il ne s’agit d’ailleurs pas du seul petit monde de la production stricto sensu, mais aussi de ses conditions extérieures de fonctionnement: par ex., «l’apparition du livre» supposera de mettre en place des structures de distribution qui bien évidemment n’existaient pas jusque-là. On pense notamment aux librairies de détail, dont nous voyons le réseau commencer à s’étendre à travers l’Europe occidentale dans les premières décennies du XVIe siècle –et, comme on le sait, la problématique de la distribution figure à nouveau au premier plan dans l’agenda des transformations liées aux médias informatiques.
Nous n’avons jusqu’ici considéré que les conditions de fonctionnement du système-livre en tant que système clos, mais il est bien évident que celui-ci ne pourra se développer de manière viable que s’il rencontre in fine un type d’innovation très complexe, à savoir l’innovation de produit, auquel devra répondre l’accueil favorable du marché et des consommateurs. Pour assurer l’essor de leurs affaires, les professionnels proposeront en effet des produits nouveaux (par ex., le livre imprimé, en tant qu’il est essentiellement différent du manuscrit et de ses avatars), qui doivent être favorablement accueillis par les consommateurs (l’innovation dans la consommation). Nous avons suffisamment exposé ces points pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir plus longuement ici.
Tout en concentrant son travail sur l’histoire des techniques, Madame Tavoni n’ignore évidemment rien de l’économie d’ensemble de la branche de la «librairie». Elle remporte ainsi, grâce à un plan astucieux, le challenge difficile consistant à articuler la chronologie au sein d'une présentation systématique, et à intégrer la synthèse efficace avec la problématique historique la plus récente.

Cliché: Gutenberg, tiré de Les Veber's, Paris, 1895.

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