jeudi 27 septembre 2012

Publication des Actes du symposium de Sinaia

Les Actes du IVe Symposium roumain d’histoire du livre viennent de paraître: ce symposium s’était tenu à Sinaia (Roumanie) du 20 au 23 septembre 2011, et portait sur
«Livres et bibliothèques de la noblesse, du Moyen Âge au XXe siècle». On ne peut que souligner la rapidité de l’édition des symoposium successifs organisés par nos collègues roumains. Dans ce volume, toutes les communications sauf une sont publiées en français.

Sommaire
Allocution, par Florin Rotaru directeur général de la Bibliothèque métropolitaine de Bucarest
Introduction: Livres et bibliothèques de la noblesse, du Moyen Âge au XXe siècle, par Frédéric Barbier
Sacra Parallela, par Rodica Paléologue
L’aristocratie centre-européenne des XVIe-XVIIe siècles, et ses goûts de lecture des romans de chevalerie publiés en espagnol, italien et français, par Jarošlava Kasparova
Les bibliothèques de la noblesse: l’œil vivant de son temps, par Jitka Radimska
Les livres de la noblesse, ou la noblesse des livres : la prééminence des armes ou des lettres sous la «Restauration» du Portugal, par Daniel Magalhães Porto Saraiva
Les nobles comme « passeurs culturels » et le rôle de l’imprimé en France aux XVIe-XIXe siècles: l’exemple des La Rochefoucauld, par Frédéric Barbier
Transformations linguistiques et thématiques dans les bibliothèques aristocratiques de la Hongrie du XVIIIe siècle, par István Monok
La bibliothèque Batthyaneum, fondée à Alba Julia par l’évêque de Transylvanie, le comte Ignaz Batthyány, par Doina Henri Biro
Lectures et bibliothèques de la noblesse dans les principautés roumaines (XVIIIe siècle): bilan et perspectives de recherches, par Radu G. Paun
Cantemir: bibliothèques réelles, bibliothèques imaginaires, par Ştefan Lemny
Les bibliothèques Kaunitz: des catalogues et des lectures multiples, par Christine Lebeau
Un grand commis bibliophile: le marquis de Méjanes, par Raphaële Mouren
Une place de bibliothécaire auprès d’un héros législateur ne doit pas être facile à remplir: les bibliothèques de Napoléon Ier, par Charles-Éloi Vial
Les éditions de Jean-Baptiste Bodoni dans les bibliothèques des nobles d’Europe au XIXe siècle, par Andrea De Pasquale
Les bibliothèques de la noblesse brésilienne au XIXe siècle: l’inventaire du marquis de Monte Alegre, par Marisa Midori De Aecto
Śrī Bavānrao Panta-Pratinidi (1868-1951), chief of Audh: Founder and Patron of Institutions and Libraries, par Shreenand L. Bapat
Cet ensemble de textes est complété par cinq «Études d’histoire du livre» consacrées l’histoire du livre en Roumanie, mais sans rapports avec le thème général de la noblesse. Le volume se présente sous la forme de Mélanges offerts à Frédéric Barbier pour son soixantième anniversaire, et il porte l’avant-titre: «In honorem professoris Frédéric Barbier 60».

Bibliothèque métropolitaine de Bucarest. Actes du symposium international Le livre, la Roumanie, l’Europe. 4e édition : 20-23 septembre 2011. Tome I: (…) Histoire et civilisation du livre, textes réunis et édités par Frédéric Barbier, Bucarest, Editura Biblioteca Bucureştilor, 2012, XVI-[2-]324 p., ill.
ISSN 2068 9756

mardi 25 septembre 2012

Nouvelle publication: "Livro"

La deuxième livraison de la revue
Livro. Revista do nucléo de studos do livro e da edição
vient de sortir à São Paolo.
Il s’agit d’un imposant volume de 480 pages, publié sous la direction de Plinio Martins Filho et de Marisa Midori De Aecto, et dont le contenu se répartit entre plusieurs grandes rubriques:
1- «Leituras», avec sept articles, notamment celui sur la censure (José Augusto dos Santos-Alves), sur les transferts culturels et l’histoire du livre (Michel Espagne), etc.
2- Le «Dossié» traite des techniques et des pratiques de production des livres: il accueille huit contributions, les unes rétrospectives (par ex. Raphaële Mouren, «Conceber e Fabricar un Livro: um Empreendimento de Equipe»), les autres relatives à des expériences contemporaines (par ex. Mayra Laudana, «Livro de Artista»).
3- Dans la section «Arquivo», nous trouvons quatre contributions, parmi lesquelles on remarque plus particulièrement un article de Dorothée de Bruchard sur William Morris, et une «Note» (Nota) de ce dernier.
4- La section «Acervo» traite des bibliothèques: les bibliothèques privées et la lecture à l’époque moderne (István Monok), la bibliothèque d’Urbino (Claudio Giordano), le récit d’un étonnant «Voyage à travers les anciennes bibliothèques de Transylvanie» (Marisa Midori De Aecto), la bibliothèque publique de Salvador de Bahia (Fabiano Cataldo de Azevedo) et «Le bibliothécaire» (Hugo Segawa)
5- Suivent plusieurs sections plus courtes: Almanaque (avec des textes plus littéraires), Memoria, Bibliomania (comptes rendus d’ouvrages, dont certains prennent la dimension de petits articles), Estante Editorial, Debate, Letra & Artes.
Nous ne pouvons que souligner la qualité du contenu, mais ce qui est au moins aussi remarquable, c’est la qualité formelle de la revue: la mise en pages est particulièrement soignée, les reproductions en couleurs ne manquent pas, chaque section est introduite par une page de titre imprimée en blanc sur fond noir, et l’ouvrage est scandé par des créations iconographiques d’artistes contemporains, qui en font pratiquement un livre de bibliophilie.
La qualité des textes rejoint la qualité formelle de la mise en livre, et l’ensemble fait à la fois l’honneur des éditeurs, et le plaisir des lecteurs.
ISSN 2179-801 X (août 2012)

dimanche 23 septembre 2012

Histoire des bibliothèques: le décor

L’histoire des bibliothèques comme champ interdisciplinaire
L’histoire des bibliothèques et des collections de livres constitue par définition un domaine scientifique transversal.
Il se rattache en effet à l’histoire du livre proprement dite, mais, bien évidemment, les bibliothèques intéressent aussi les historiens des idées (y compris des idées politiques), voire les historiens des différents domaines scientifiques –on sait que les bibliothèques ont constitué les laboratoires où la réflexion intellectuelle a pu s’élaborer et se développer.
La bibliothèque de l'université de Coimbra, ou les livres au service de la gloire royale
Mais l’histoire des bibliothèques intéresse aussi l’histoire de l’art: d’une part, elles ont longtemps (parfois jusqu’à aujourd’hui) suivi le modèle classique du «Musée» d’Alexandrie, dans lequel on trouve, à côté des livres, les «trésors», galeries de «curiosités», voire collections d’art (par exemple, pour ne pas quitter la France, la bibliothèque de l’abbaye de Sainte-Geneviève, ou encore la Bibliothèque / Musée de Besançon). Par ailleurs, les historiens d’art sont attentifs aux éléments relevant de l’architecture des bibliothèques, et de leur décor (ce qu’avait en son temps montré le colloque commémoratif organisé par Jean-Michel Leniaud sur Ernest Labrouste et la nouvelle Bibliothèque Sainte-Geneviève).
Trois approches convergentes
Paradoxalement, l’histoire des bibliothèques et des collections de livres constitue un domaine relativement négligé par la recherche, et cela jusqu’à aujourd’hui.
1- Les travaux scientifiques ont d’abord privilégié l’analyse des contenus: quels livres sont ou étaient présents dans telle ou telle bibliothèque? À quel modèle la bibliothèque correspond-elle (bibliothèque encyclopédique ou spécialisée, bibliothèque de travail ou de récréation, bibliothèque privée ou bibliothèque plus ou moins ouverte au public, etc.)?
Dans un environnement protestant: la bibliothèque de Görlitz
2- Ces perspectives ont souvent été développées aux dépens d’une approche que nous pourrions dire «archéologique»: il s’agit d’étudier les locaux de la bibliothèque, leur aménagement (le mobilier!), la distribution des salles, le rangement des collections et leur accessibilité, l’élaboration des instruments de travail tels que catalogues et fichiers, etc. Nous pouvons regrouper ces différentes questions sous le paradigme d’«économie des bibliothèques» (alias la bibliothéconomie au sens large).
3- Un troisième angle d’approche doit aussi être envisagé: il concerne l’étude des pratiques (y compris les pratiques professionnelles, relevant elles aussi de la bibliothéconomie) qui sont à l’œuvre dans telle ou telle bibliothèque, selon par exemple que nous sommes devant une collection privée ou «publique», que cette dernière est plus ou moins largement ouverte, à des groupes d’utilisateurs sont plus ou moins largement définis, etc.
Bien évidemment, ces trois approches principales se superposent toujours pour partie: par ex., la nature de la collection détermine pour partie ses utilisations possible, donc le public des lecteurs, etc. On sait que lorsque la Hofbibliothek de Vienne est ouverte en 1726, le décret impérial prévoit que chacun pourra y accéder, exception faite des «idiots, domestiques, oisifs, bavards et badauds»…
L’invention de la bibliothéconomie et de la bibliothèque modernes
À la Palatina de Parme, la salle Maria Luigia, néo-classique s'il en fut
C’est pour explorer la seconde de ces directions de recherche qu’un groupe d’historiens s’est réuni en 2010 autour du thème de «La bibliothéconomie des Lumières». L’idée était de décliner les différents éléments du paradigme que constitue l'«économie des bibliothèques», à une époque où celles-ci sont l’objet d’évolutions majeures –la chronologie couvre une période allant de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle (pour situer les choses, rappelons que l’ouverture de la Bibliothèque du Collège des Quatre Nations à Paris date de 1688, et que le projet définitif proposé par Henri Labrouste pour la nouvelle Bibliothèque Sainte-Geneviève est officiellement accepté en 1843).
Au cours de cette période, le principe de la wall library (bibliothèque dans laquelle les volumes sont disposés non plus sur des pupitres, mais sur des rayonnages le long des murs de la salle de lecture) domine généralement, mais des évolutions majeures se font jour, parmi lesquelles nous mentionnerons tout particulièrement:
-Les conceptions nouvelles dans la construction des bibliothèques (avec par ex. la nouvelle bibliothèque de Wolfenbüttel, élevée d’après les projets de Leibniz en 1710).
-Les outils modernes de la bibliothéconomie, comme l’utilisation des fiches en place des registres, à la Palatina de Parme à partir de 1769 (série de clichés sur Parme et sur la bibliothèque).
-La réflexion développée sur le rôle de la bibliothèque, sur la théorie de la bibliothéconomie et sur la profession de bibliothécaire: il s’agit par ex. de l’accessibilité des collections à un public plus large, de l’aménagement du cadre de classement, ou encore de l’insertion de la bibliothèque dans une institution d’enseignement et de recherche (cas de l’université de Göttingen).
Au service de la modernité et de l'identité nationales: la bibliothèque de Keszthely
L’importance des évolutions est telle que l’on peut à bon droit considérer la période comme le temps de fondation des bibliothèques et de la bibliothéconomie modernes (entendons, le modèle des bibliothèques publiques modernes, tel qu'il s'impose au XIXe siècle). Un premier colloque s'est tenu en mai 2011 à la Biblioteca Palatina de Parme, colloque consacré à la gestion matérielle des bibliothèques des Lumières (sous le titre: Un instituzione dei Lumi: la biblioteca).
Ce colloque mettait l’accent sur les aspects matériels de l’histoire des bibliothèques, et il a permis d’aborder la mise en place d’un certain nombre de nouveautés (par ex. dans la gestion des bibliothèques vénitiennes), mais aussi les problématiques de l’acquisition (la collection Vettori à Mannheim), de l’édition et de la diffusion des catalogues imprimés (comme à la Bibliothèque royale à Paris), de la classification systématique ou encore de la gestion quotidienne et de l’actualisation des fonds (avec le très bel exemple de Saint-Vincent du Mans). Les Actes en sont aujourd’hui sous presse dans l’annuaire Bodoni, dont ils doivent constituer la livraison 2012.
Un second colloque est en préparation pour 2013, qui devrait se tenir à la bibliothèque de l'École des Hautes Études de Eger, et porter sur le décor des bibliothèques.Nous recevrons avec plaisir toutes les suggestions et propositions de communication pour ce colloque.
(tous les clichés © Frédéric Barbier)

mercredi 19 septembre 2012

Le décor des bibliothèques: Vienne

Le décor des bibliothèque avait fait l’objet des travaux pionniers d'André Masson, notamment dans son livre de 1972 (Le Décor des bibliothèques, Genève, Droz). Depuis lors, ce thème est resté relativement négligé, tant du côté des historiens du livre et des bibliothèques que de celui des historiens de l’art. La plupart des travaux scientifiques ayant été réalisés relèvent du modèle de la monographie, et la perspective d’histoire transculturelle en est pratiquement absente.
Pourtant, la problématique du décor constitue un très bon révélateur des modèles auxquels, dans chaque contexte historique, correspond telle ou telle bibliothèque, tout comme des pratiques et des représentations dont elle est le cadre. Le décor fonctionne comme un paradigme très large: il inclut aussi bien les peintures éventuelles (fresques, etc.) que les tableaux, les sculptures, le mobilier (plus ou moins riche) et les objets de toutes sortes présents dans la bibliothèque (par exemple des pièces d’antiques, des globes, etc.). Le cas échéant, le bâtiment lui-même sera porteur d'éléments d’épigraphie, de sculpture, etc.
C’est le cas notamment à la Hofbibliothek, la nouvelle bibliothèque impériale de Vienne, construite en quelques années à partir de 1722 par l’architecte Joseph Emmanuel Fischer von Erlach d’après le projet élaboré par son père. Le programme de la façade monumentale développe un discours d’ordre politique: les aménagements réalisés par Charles VI dans sa capitale visent à faire de celle-ci l’héritière moderne de Rome, dans un programme articulant dimension politique (translatio imperii), dimension culturelle (translatio studii) et volonté de modernisation.
Coupole de la Hofbibliothek, avec l'inscription surmonté par le char de Minerve
La façade est dominée par une inscription mise en place en 1726 et qui explicite le projet:
Carolus Austrius D[ivi] Leopoldi Aug[usti] F[ilius] Aug[ustus] Imp[erator] P[ater] P[atriae] Bello ubique confecto instaurandis fovendisque literis avitam bibliothecam ingenti librorum copia auctam amplis extructis aedibus publico commodo patere jussit. MDCCXXI
(Charles d’Autriche, fils du divin Léopold Auguste, auguste, empereur, père de la Patrie, la guerre extérieure une fois terminée, a ordonné, pour établir et pour favoriser les lettres, d’ouvrir pour le bien public la bibliothèque de ses ancêtres, accrue d’une immense quantité de livres [et] installée dans de vastes bâtiments nouvellement élevés).
Le rapprochement est évident, avec la tradition de l’épigraphie monumentale romaine. L’ensemble est surmonté par l’effigie de Minerve, déesse de la Sagesse, foulant de son char les tenants de l’ignorance –le thème se retrouvera aux fresques de la coupole de la grande salle intérieure.
L’inscription fait d’abord référence à une construction nouvelle, à laquelle on a voulu donner la forme d’une église sous coupole: la bibliothèque est le temple moderne des muses, comme le rappelleront aussi beaucoup d’éléments de son aménagement.
Mais l’inscription en façade mentionne aussi la richesse des collections de livres possédées par la bibliothèque. La translatio studii suppose en effet de réunir dans la capitale des collections incomparables de livres et autres richesses – la rareté est un argument décisif, puisqu’il s’agira de livres (et surtout de manuscrits) que l’on ne peut, pour nombre d’entre eux, consulter nulle part ailleurs.
Les origines des collections livresques sont liées depuis le XIVe siècle à la maison de Habsbourg: même s’il n’existe pas alors de bibliothèque au sens institutionnel du terme, l’inscription fait effectivement référence à la lignée familiale. La bibliothèque nouvelle reçoit quant à elle au contraire une forme institutionnelle: elle est dirigée par un préfet, elle a un personnel fixe, et elle dispose d’un budget régulier permettant de conduire une véritable politique d’acquisitions.
Enfin l’inscription mentionne l’objet de la nouvelle structure: il s’agit de l’utilité publique, et la bibliothèque, installée dans ses locaux en 1726, est en effet rendue accessible à chacun, exception faite, d'après le texte du décret impérial, des «idiots, domestiques, oisifs, bavards et badauds»...
Cette bibliothèque à la fois spectaculaire et très moderne s’enrichira bientôt de collections entières, dont la plus importante est, en 1738, celle du prince Eugène de Savoie (1663-1736), soit quelque 15 000 volumes imprimés et 237 manuscrits, dont la célébrissime Table de Peutinger. Elle s’impose très vite comme l’une des plus importantes bibliothèques de l’Europe des Lumières: une grande part de l’article consacré par le chevalier de Jaucourt à «Vienne» dans l’Encyclopédie traite de la Bibliothèque impériale et des ses richesses, soit à l’époque quelque 300.000 imprimés et 12.000 manuscrits, sans oublier les collections spécialisées et les objets d’art.

samedi 15 septembre 2012

Une exposition d'histoire du livre à Autun

Le musée Rolin, dont nous avions recommandé la visite à Autun dans un billet publié il y a environ un an, présente une exposition organisée autour d’un manuscrit exceptionnel récemment découvert dans les collections de l’évêché: il s’agit d’un pontifical –donc, un manuscrit d’un type assez banal, dans lequel sont rassemblées les formules et cérémonies correspondant aux fonctions d’un évêque.
Pourtant, le pontifical d’Autun est bien un manuscrit exceptionnel par sa qualité et surtout par sa décoration. Il a en effet été produit par un atelier de Bologne dans les premières décennies du XIVe siècle, alors que la spécialité des libraires de la grande ville universitaire concernait plutôt les livres de droit. Notre pontifical témoigne en outre de la volonté de donner un exemplaire aussi accompli que possible: on ne peut que souligner la qualité du parchemin utilisé comme support, le soin donné à la calligraphie en rouge et en noir, et l’élégance des capitales filigranées qui ponctuent le texte.
Mais ce sont les peintures qui font tout le prix du volume. Elles ont été réalisées sur un programme précis, par trois peintres actifs dans un atelier de la ville: voici d’abord cinquante-quatre initiales historiées, qui introduisent à certaines cérémonies majeures, telles que les différentes ordinations et bénédictions, les cérémonies du sacre, etc. Ce sont ensuite sept peintures à proprement parler, pour partie réalisées par le maître ayant coordonné le travail.
La caractéristique de ces peintures réside dans leur modernité: Bologne est au XIVe siècle le siège d’une école de peinture exceptionnelle, et la venue de Giotto pour travailler à la chapelle du château de Galliera en 1327 impulse le mouvement de rénovation sensible dans les œuvres des artistes bolonais du temps: la première page du pontifical présente les deux colonnes de texte dans un très élégant encadrement doré, ponctué par quatre médaillons et souligné par une peinture initiale représentant l’ordination d’un clerc (voir cliché).
L’exposition propose soixante et une pièces qui illustrent à la fois le monde du livre de la première moitié du XIVe siècle, le contexte artistique qui est celui de Bologne, le rôle de l’évêque dans l’Église du temps, et, enfin, la ville de Bologne et son université, la plus ancienne d’Occident avec celle de Paris. Parmi ces pièces figurent bien évidemment un certain nombre de manuscrits prêtés par des bibliothèques françaises (Angers, Bordeaux, Bibliothèque nationale de France) et italiennes (Turin, Bibliothèque Vaticane), sans oublier, bien évidemment, la Bibliothèque d'Autun.
Une bonne occasion de revenir à Autun, d'autant plus qu'il est dommage qu'une exposition de cette qualité ne fasse pas fait l'objet d'une présentation plus importante sur Internet, pour ceux qui ne pourront malheureusement pas la visiter in situ.

jeudi 13 septembre 2012

Une exposition d'histoire du livre

Voici une «Histoire du livre» qui ne veut pas dire son nom, et un catalogue d’exposition qui ne veut pas non plus dire son nom. Pourtant, le très bel ouvrage de Pascal Fulacher sorti cette semaine, Six siècles d’art du livre. De l’incunable au livre d’artiste (Paris, Citadelle et Mazenod, MLM, 2012), est bien l’un et l’autre.
Le volume est en effet publié à l’occasion de l’exposition présentée sous le même titre par le Musée des Lettres et Manuscrits, jusqu’au 20 janvier 2013. La qualité des quelque cent vingt pièces proposées permet de retracer, à travers leur théorie, une histoire du livre mettant l’accent sur la rareté des exemplaires, sur leur esthétique (qu’il s’agisse de la typographie, des illustrations, des reliures, etc.), et souvent sur leur caractère spectaculaire. Nous citerons plus particulièrement:
D'abord, une impressionnante suite de somptueux manuscrits: un Tristan du Maître de Wavrin, un Ovide en français ayant appartenu à Anne de Bretagne, de superbes Heures peut-être illustrées par Simon Marmion, un Quinte-Curce avec dix-sept peintures en grisaille, les Heures aux armes de la famille Petau, ou encore un élégant portulan du milieu du XVIIe siècle.
Parmi les premiers imprimés, voici des exemplaires du Parsifal de Wolfram von Eschenbach (Strasbourg, 1477), de Dante (Florence, 1481) et du Decameron (Venise, 1492), ou encore  un De Imitatione Christi en français (Paris, 1493) avec l’ex libris de Baluze –sans oublier les Chroniques de 1493.
L’exposition se poursuit en évoquant, entre autres, les figures de Machiavel, de Ronsard, de Montaigne et de Molière. Puis ce sont Les Plaisirs de l’isle enchantée et un superbe ensemble de reliures (on admire tout particulièrement une reliure dans le style de Grolier, ou, à une tout autre époque, une autre reliure de Marius Michel).
Nous insisterons en effet sur l’intérêt des pièces relatives à la période postérieure aux années médianes du XIXe siècle: les innovations dans l'esthétique typographique, l’Art Nouveau, les éditions illustrées (Cocteau, Matisse, Braque…), La Fin du monde de Blaise Cendras, autant de livres spectaculaires, qui constituent une véritable galerie du livre d’art et du livre d’artiste de l’époque contemporaine.
Le catalogue lui-même est particulièrement soigné: Pascal Fulacher, directeur du Musée, y donne une suite de textes retraçant l’histoire du livre depuis le Moyen Âge, mais en s’appuyant tout particulièrement sur les pièces exposées (lesquelles font l’objet de notices détaillées). La mise en pages réserve des encadrés permettant de rappeler certains éléments importants (par ex. sur «Le mode de fabrication du papier» sous l’Ancien Régime), le tout magnifiquement illustré (les fonds noirs sont réellement spectaculaires...).
Voici donc une réalisation bifrons, exposition et catalogue, qui fait honneur aussi bien au Musée qu’à l’éditeur.
Musée des Lettres et Manuscrits, 222 boulevard Saint-Germain, Paris.

Pascal Fulacher, Six siècles d’art du livre. De l’incunable au livre d’artiste, préf. Frédéric Barbier, Paris, Citadelle et Mazenod, MLM, 2012, 318 p., ill. (ISBN 978-2-85088-543-3).

lundi 10 septembre 2012

Colloque d'histoire du livre

Bibliothèques et collections
17–19 septembre 2012,
Clare College, Cambridge
lundi 17 septembre
14h00 Ouverture du colloque (Bennett Room, Forbes-Mellon Library)
Séance du Gruppo di studio sul Cinquecento francese: Bibliothèques en feu
14h15 Isabelle de Conihout (Bibliothèque Mazarine) et Pascal Ract-Madoux : «La bibliothèque des Villeroy à Conflans : de la formation à la dispersion»
14h50 Anna Maria Raugei (Università di Pisa) : «Gian Vincenzo Pinellei (1535–1601): ses livres, ses amis»

15h25 Discussion
15h45 Pause
16h15 Rosanna Gorris Camos (Università di Verona) : «‘Una notte d’inferno’: autour de l’incendie de la Bibliothèque nationale de Turin: livres détruits, livres rescapés»
16h50 Discussion
19h00 Apéritif
19h30 Dîner

mardi 18 septembre
Séance du Centre for the Study of the Renaissance, University of Warwick:
Encyclopaedic Libraries
9h15 David A. Lines (Warwick University): «A Collection for Study and Research: Ulisse Aldrovandi’s Library»
9h50 Eva Del Soldato (University of Warwick): «Simone Porzio and Benedetto Varchi: two libraries, two destinies»
10h25 Discussion
10.45 Pause
11h15 Karen Limper-Herz (British Library): «Jacques-Auguste de Thou and his bookbindings»
11h50 Ingrid De Smet (University of Warwick): «Clandestine books and confessional fault-lines in and around the Bibliotheca Thuana»
12h25 Discussion
13h00 Déjeuner

Séance IANLS/Cambridge French Colloquia:
La bibliothèque de Montaigne
14h00 Alain Legros (CESR, Tours): «La bibliothèque du jeune Montaigne selon ses notes de lecture antérieures aux Essais (Térence, Giraldi, Lucrèce, Gilles)»
14h35 Barbara Pistilli (Università di Urbino): «Dai “Grecs” agli Essais: un Lessico greco-latino ignorato della “librairie” di Montaigne»
15h10 Marco Sgattoni (Università di Urbino): «I libri prohibiti di Montaigne»
15h45 Discussion
16h00 Pause

Séance SFDES : Architecture des bibliothèques
16h30 Raphaële Mouren (ENSSIB, Lyon): «Naissance de la bibliothèque publique»
17h05 Marie-Luce Demonet (CESR, Tours): titre à préciser
17h40 Discussion
19h00 Apéritif
19h30 Dîner

mercredi 19 septembre
Séances de la Société canadienne d’études de la Renaissance
et de l’Atelier XVIe siècle de l’Université de Paris-Sorbonne:
La bibliothèque retrouvée de Rabelais
9h00 Olivier Pédeflous (Université de Paris IV–Sorbonne, Fondation Thiers): «La bibliothèque de Rabelais à l’aune de la génétique des textes»
9h35 Raphaël Cappellen (CESR, Tours): «Les traités de Tiraqueau dans la bibliothèque de Rabelais : entre lecture(s) et coécriture»
10h10 Jean Céard (Université de Paris X-Nanterre), lue par Claude La Charité: «Rabelais, lecteur de Coelius Rhodiginus»
10h45 Discussion
11h00 Pause
11h30 Claude La Charité (Université de Québec à Rimouski): «Rabelais, lecteur d’Hippocrate dans le Gargantua, l’Almanach de 1535 et le Tiers Livre»
12h05 Romain Menini (Université de Paris IV–Sorbonne): «Le dernier Plutarque de Rabelais»
12h40 Discussion et Clôture
13h00 Déjeuner

mardi 4 septembre 2012

Retour à Strahov

De la Contre-Réforme aux développements du joséphisme, peu de bibliothèques comme celle des Prémontrés de Strahov, aux portes de Prague, fonctionnent comme le miroir des évolutions en cours. Rappelons ici que ce sont les Prémontrés de Steinfeld, dans l’Eifel, qui s’installent à Strahov, sur une colline en arrière du château de Prague, en 1142, et qui y construisent peu à peu les bâtiments du monastère. Un scriptorium et une bibliothèque sont bientôt organisés, mais le véritable décollage de la bibliothèque date surtout du XVIIe siècle.
À Strahov: la Salle de Théologie
Le règne de l’abbé Jan Lohelius (1586-1612), plus tard archevêque de Prague, marque un premier temps de renouveau: l’abbé fait affecter à la bibliothèque un capital de 1000 Groschen destiné aux achats de livres, les collections s’accroissent progressivement au cours du XVIIe siècle, et l’ensemble des bâtiments du monastère est progressivement restructuré. En 1678, la bibliothèque possède 5564 volumes: une nouvelle salle, l’actuelle Salle de Théologie, est construite sous le règne de l’abbé Hieronymus Hirnhain, par l’architecte Orsi de Orsini de 1671 à 1679 (elle sera prolongée en 1721, pour accueillir les accroissements de livres). La salle est perpendiculaire à l’église, avec un aménagement en bibliothèque murale (cf. cliché).
Les rayonnages, surmontés d’ornements dorés, datent pour l’essentiel de 1632, dans un décor de stucs et de fresques rococo peintes par le frère František Nosecký et mettant en scène l’ascension de la Vierge, différentes figures illustrant les modalités de la connaissance et son articulation avec la Révélation, et un certain nombre de sentences morales. La salle abrite aussi une collection de globes, dont certains de l’atelier amstellodamois de Blaeu. Le fonds est de 11 023 volumes en 1756, de sorte que les accroissements survenus dans la seconde moitié du siècle imposent bientôt d’étendre les locaux disponibles.
Une seconde salle, la Salle de Philosophie, sera par conséquent construite en symétrie à la fin du XVIIIe siècle, dans une conjoncture intellectuelle radicalement renouvelée: les deux bâtiments de la bibliothèque déterminent ainsi les grands côtés d'une cour quadrangulaire jouxtant l'église.
Les réformes engagées par Joseph II à Vienne toucheront en effet très directement le monde des bibliothèques: c’est la mise en œuvre de la «philosophie», avec les décrets établissant la tolérance religieuse, la liberté de publication, l’enseignement obligatoire, etc., en même temps qu’avec l'application systématique d’une rationalité politique qui se heurtera à des oppositions résolues (entre autres, contre l’emploi généralisé de l’allemand dans l’administration). Un très grand nombre de maisons religieuses sont fermées par Joseph II, ce qui implique le transfert ou la dévolution de leurs collections de livres.
Lorsque les Prémontrés de Strahov souhaitent, à l’inverse, agrandir leur bibliothèque, l’abbé Wenzel (Venceslas) Meyer, lui-même franc-maçon, adopte pour la façade un style néo-classique organisé autour du portrait de l’empereur en médaillon. L’accord de Vienne ayant été obtenu, Ignaz Palliardi présente les plans du nouveau bâtiment, lequel est élevé en deux ans seulement (1782-1784): c’est l’actuelle Salle de Philosophie (cf. cliché), avec des rayonnages muraux en noyer, sur deux niveaux séparés par une galerie. Le mobilier a été transporté du monastère de Louka, en Moravie du Sud, lequel avait été fermé.
Le style adopté est désormais le style classique, et l’ensemble surmonté par une fresque monumentale dans laquelle Anton Maulpertsch développe une histoire de la pensée (1794): d’un côté, l’Ancien Testament, avec l’Arche d’alliance et les Tables de la Loi; de l’autre, le Nouveau Testament, avec l’autel du «Dieu inconnu» croisé par l’apôtre Paul à Athènes. La «véritable sagesse» symbolisée par le peintre est celle de la connaissance éclairée par la Révélation, et la fresque met aussi en scène les deux personnages de Diderot et de Voltaire qui illustrent l’échec d’une philosophie réduite à ses seules forces...