vendredi 25 octobre 2019

Excursion en Italie du nord (7)

Nous avons ouvert ces excursions en Italie du nord en évoquant la grande figure du cardinal Federico Borromeo, archevêque de Milan et fondateur à la fois de la Bibliothèque Ambrosienne et de la Pinacothèque qui en est voisine. Nous retrouvons les Borromée en nous arrêtant aux portes de Milan sur le lac Majeur.
Cliché 1 (© Gallica)
Comme le nom le rappelle (< Buon Romei), la famille vient du Latium, mais les Borromée s’installent bientôt en Toscane, à proximité de Pise. Leur activité principale concerne la banque et le négoce quand, dans le troisième tiers du XIVe siècle, ils se transportent à Padoue et à Milan, et commencent à s’allier à des dynasties de nobles et de condottieri. Lorsque Vitaliano reçoit le titre de comte d’Arona (1439), il fonde l’implantation des Borromée dans la région du lac Majeur: leurs fiefs y atteignent bientôt une telle ampleur (plus de 1000km2) que l’on parlera d’«État borroméen» (Stato Borromeo), tandis que le contrôle sur l’une des plus importantes voies commerciales d’Europe, et la levée de l’octroi correspondant, confortent leur fortune financière –ces fiefs seront conservés jusqu’à l’arrivée des Français en 1797 (1). Dans le même temps, des comptoirs sont ouverts dans la péninsule ibérique (Barcelone et Burgos).
Il n’est pas de notre propos de dévider davantage l’écheveau d’une fortune pour laquelle la stratégie concertée entre les différentes branches du clan joue un rôle décisif (les mariages, mais aussi les oncles et les cousins…). Parmi les plus grandes figures, voici saint Charles Borromée (Arona, 1538- Milan, 1584): celui-ci est reçu docteur in utroque à Pavie (1559), où il fonde un collège parmi les plus importants d’Italie (le Collegio Borromeo). Si Montaigne fait le détour de Pavie, sur la route de son retour vers la France (1581), c'est pour découvrir les curiosités de la ville et des environs (la Chartreuse), sans négliger «les premiers ouvrages du bâtiment que le cardinal Borromée faisoit faire pour l’usage des étudians».
À la suite de l’élection de son oncle maternel comme pape (Pie IV, 1559), Charles est appelé à Rome où il participe activement à la gestion à la fois de l’Église et de l’État. Créé cardinal en 1560, il cumule titres et fonctions, mais il est aussi le fondateur d’une académie de beaux esprits en 1562 (l’Accademia delle notte vaticane), avant de prendre part très activement aux dernières sessions du concile de Trente. Sa nomination comme archevêque de Milan, en 1564, lui permettra de mettre systématiquement en œuvre la Réforme catholique dans sa province, en fondant ou en réorganisant des séminaires, et en encadrant la formation du clergé. Il décède à Milan des suites de la peste en 1584 (cliché 1)... et sera canonisé dès 1610.
Cliché 2
Le grand-père de l’archevêque, Federico Borromeo avait eu deux fils, l’aîné, Gilbert (II), et le cadet, Giulio Cesare (1517-1572). Ce dernier, qui aura une brillante carrière militaire, est le père de Federico (II) (1564-1631), que nous venons d’évoquer en tant que fondateur de l’Ambrosienne. Federico est en partie élevé dans l’entourage de son cousin le cardinal archevêque, et c'est peu de dire que sa vocation et sa carrière sont bientôt faites:  il entre au Collegio Borromeo de Pavie, avant de poursuivre ses études à Bologne et à Rome. Fait cardinal dès 1587, il sera archevêque de Milan en 1595 et y poursuivra le travail de rénovation engagé par son cousin. C’est lui qui fonde non seulement la Bibliothèque Ambrosienne (1609), mais aussi la collection d’art (future Pinacothèque, 1618) et enfin l’Académie Ambrosienne (1621). Ajoutons qu’il prendra une part décisive lors du procès en canonisation de Charles…
Cliché 3
Parmi les biens des Borromée sur le lac Majeur figure un petit archipel, au large de Stresa, l’archipel des îles Borromées, demeuré jusqu'à aujourd'hui en mains privées. C’est le neveu de l’archevêque Federico, Charles (III) Borromée, qui inaugure les travaux du palais monumental occupant la première île, Isola Bella. Le palais possède une petite salle de bibliothèque, avec des exemplaires des XVe-XVIIIe siècles: les peintures exposées dans la salle gardent notamment le souvenir de Charles (IV) Borromée, vice-roi de Naples au début du XVIIIe siècle (cliché 2). Un autre meuble de bibliothèque se rencontre à Isola Madre, où le palais présente surtout, pour l’historien du livre un ensemble exceptionnel de pièces d'un théâtre de marionnettes qu’entretenaient les princes aux XVIIIe et XIXe siècles.
Cliché 4
Nous connaissions bien évidemment les théâtres de château, dont nous conservons parfois même les éléments (livrets, etc.) du répertoire. Mais, à Isola Madre, il s’agit de tout autre chose, d’un genre que l’on considérerait comme mineur, et dont la tradition serait plutôt à chercher du côté de la rue et des foires que du côté des châteaux. L’intérêt donné par une richissime famille de la plus haute noblesse au spectacle de marionnettes, et le plaisir pris à le suivre, seraient-il partie d’un mouvement plus large, dans lequel prennent place aussi bien le goût des bergeries que la curiosité nouvelle, à la fin de l’Ancien Régime, pour des formes textuelles relevant de ce qu’il est convenu de considérer comme la «littérature populaire»?
Les «marionnettes au château» combinent effectivement un genre lié à la culture populaire, mais dans un cadre tout particulièrement «distingué» –les souverains de passage ne dédaignent pas d’être invités par leurs hôtes à en suivre une représentation.
Quoi qu’il en soit, à Isola Madre, on conserve non seulement les marionnettes elles-mêmes, dans leurs costumes d’époque (cliché 3), mais aussi les somptueux décors et les éléments de mise en scène, sans oublier les manuscrits ou les plaquettes imprimées donnant le texte des pièces représentées (cliché 4). 

Notes
1) La circulation entre Milan et le lac Majeur est facilitée par l’utilisation de la rivière Ticino, et du grand canal (dit Naviglio grande) qui rejoint Castellana et Boffalora à la métropole lombarde.
2) Marina Gorla, Le Marionette di Casa Borromeo, Bologna, CLUEB, 1987.

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