samedi 5 octobre 2019

Excursion en Italie du Nord (4)

Biblioteca civica de Vérone, ouverte en 1892
Une petite heure de train régional nous aura donc conduits de Mantoue à Vérone.
Vérone est une ville très ancienne, dont la fortune vient certes de l'exploitation et du commerce des productions du plat-pays, mais aussi de sa situation comme pôle de voies de circulation très importantes. Avec ses affluents, le Val d’Adige contrôle en effet les routes vers l’Europe du nord. La plus fréquentée est celle du Brenner, le col le plus bas de toute la chaîne alpine (1371m), et qui débouche directement sur Innsbruck. Selon la saison, l'Adige est navigable dans son cours inférieur, de sorte que les marchandises qui l'empruntent peuvent circuler directement jusqu’à l'Adriatique.
Bien plus tard, la route du Brenner sera celle suivie par Goethe lors de son célèbre voyage d’Italie, en 1786 –même s’il l'abandonne à hauteur de Rovereto pour faire le détour par le lac de Garde. Enfin, dès 1867, on inaugure le chemin de fer du Brenner, tracé à ciel ouvert et constituant un des grands axes de circulation de l’empire des Habsbourg.

Mais nous reviendrons sur cette route du nord, et restons pour l’instant à Vérone. Si l’on note que la ville est protégée par un méandre accentué de l’Adige, on comprend tout l’intérêt stratégique de sa position. De longue date alliée de Rome, elle est pleinement intégrée à l’empire comme municipium au Ier siècle av. J.-C. Devenue un très important nœud de communication, elle dépasse 20 000 habitants au Ier siècle ap. J.-C. –les célèbres Arènes témoignent de cette expansion. Nous trouverons, au fil de la découverte de la ville ou dans les salles du Musée (au Castelvecchio), nombre de témoignages de l’époque romaine, comme les portes monumentales, les nombreuses inscriptions épigraphiques ou encore le matériel des scribes.
Le bâtiment de la Bibliothèque capitulaire
Vérone est christianisée très tôt, et possède un évêque probablement dès le IVe siècle. Son école capitulaire est connue depuis au moins le VIe siècle : la première attestation de l’existence d’un scriptorium date en effet de 517, avec un manuscrit de la Vita sti Martini portant le nom du copiste Ursicinus, lector veronensis ecclesiae (ms 38). L’école est très réputée à l’époque carolingienne, et sa bibliothèque, dont le bâtiment jouxte la cathédrale, se trouve toujours conservée sur place aujourd’hui. Même s’il est excessif de présenter celle-ci comme «la plus ancienne du monde», formule trop englobante, elle est effectivement l’une des plus anciennes dont l’existence et les volumes sont attestés sur le même site depuis une quinzaine de siècles. Malheureusement, le bâtiment du XVIIIe siècle a été détruit par le bombardement du 4 juin 1945 (mais les collections avaient fort heureusement été mises à l’abri…), de sorte que nous sommes en réalité devant une reconstruction.
Salle de la Bibliothèque capitulaire de Vérone
Parmi les pièces de la petite exposition permanente, la correspondance de la commission qui s’est présentée à Vérone le 16 mai 1797, pour faire le choix des volumes les plus importants que l’on enverrait à Paris pour y intégrer le nouveau Musée, soit un ensemble d’une trentaine de manuscrits et d’une vingtaine imprimés, dans leur très grande majorité incunables. Comme on sait (de l’exemple de Wolfenbüttel, entre autres), tous les volumes déplacés à Paris n’ont pas été rendus en 1815, en partie parce que les commissaires dépêchés par les puissances alliées on été surpris par le retour très rapide de Napoléon après l’île d’Elbe.
Notre propos n’est évidemment pas de retracer ici l’histoire de Vérone. En 1258, le pouvoir y est pris par les Della Scala, fondateurs de la dynastie des Scaliger, et Cangrande Scaliger y attire dans son palais (actuelle préfecture) les auteurs et les artistes les plus célèbres, parmi lesquels Dante. La ville et son plat-pays passeront ensuite brièvement aux Visconti de Milan, puis à Venise au tout début du XVe siècle, et jusqu’à la fin de la Sérénissime… La visite du Castelvecchio est l’occasion de découvrir cette imposante forteresse élevée au XIVe siècle à la fois pour défendre Vérone, mais aussi pour servir de refuge à la famille Scaliger en cas de révolte – ce qui n’empêchera pas leur chute, quelques décennies plus tard. La forteresse abrite aujourd’hui un musée d’art et d’archéologie dont la présentation nous a semblé réellement remarquable.
Un manuscrit en fresque:le Tacionum sanitatis
Deux pièces très étonnantes retiennent l’attention de l’historien du livre et de l'écrit, parce qu’elles illustrent la porosité des modes de communication (des médias) à la fin du Moyen Âge. Voici d’abord un dérivé du Tacuinum sanitatis, ce petit traité de médecine arabe, rédigé à Bagdad au milieu du XIe siècle, puis traduit en latin au XIIIe siècle et qui a donné lieu à une série de manuscrits illustrés à partir des années 1400. Or, précisément, le Musée de Vérone conserve trois fragments de fresque de la fin du XIVe siècle, qui proviennent du Palais des Scaliger et qui reprennent l’illustration –et le texte– des manuscrits. Nous distinguons une femme achetant du pain à un boulanger, puis un homme qui s’apprête apparemment à boire une coupe (de vin?), et enfin un couple d’amoureux. Cet exemple de transposition de la page manuscrite sous la forme d’une fresque murale semble réellement unique.
Histoire sainte en images
Notre second document pourra suggérer un certain nombre d’observation à l’historien du livre et de la gravure. Il s’agit d’une série de trente petites miniatures peintes sur fond d’or au cours du deuxième quart du XIVe siècle, et disposées pour constituer un grand rectangle. Les trois premières images illustrent la Genèse, tandis que les suivantes reprennent des scènes du Nouveau Testament (vie du Christ et de Marie, mais la Crucifixion elle-même n’est pas représentée, et l’on passe directement de la Montée au Calvaire à la Déposition). Même si le texte écrit en est totalement absent, voici un exemple qui ne peut que faire penser aux multiples livrets xylographiques qui, à la même époque, ont diffusé le thème de la vie du Christ. 
Nous terminons notre promenade dans Vérone par la bibliothèque de la Ville, dont le bâtiment, ouvert au public en 1802, et toujours conservé, jouxte la bibliothèque moderne (cliché 1). Les collections sont d’une importance absolument considérable, comme en témoignent les seuls chiffres de 1200 incunables et de 8000 éditions du XVIe siècle. Il est vrai que nous sommes en Italie...Mais nous allons maintenant abandonner momentanément la grande route de la plaine, pour gagner le piémont alpin.

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