L’étude des pratiques et de l’«invention du quotidien» est en effet familière aux historiens du livre, surtout lorsqu’ils abordent le domaine de l’histoire de la lecture et des bibliothèques. Pourtant, un champ spécifique a trop souvent été négligé dans leurs approches, et encore plus en France: il s’agit du mobilier, et tout particulièrement du mobilier des bibliothèques. Henri-Jean Martin et Daniel Roche avaient inspiré à Paris dans les années 1980 un colloque sur les «Espaces du livre». La question de l’espace des bibliothèques et des collections de livres (privées ou institutionnelles), donc la question de leur mobilier, y avaient été abordées –mais les Actes en sont restés inédits, et il ne pouvait s’agir que d’un premier défrichement.
Services intérieurs à la Bibliothèque royale de Saxe au Palais Japonais de Dresde: détail d'une peinture du XIXe siècle (© SLUB Dresden) |
On peut réfléchir à ce déficit, et le rapporter à un certain nombre de causes: le défaut de sources textuelles et de vestiges conservés, le manque d’intérêt scientifique réel au-delà du simple affichage, le fait aussi que ce type d’approche supposerait, comme pour l’histoire des techniques, de réunir des compétences qui sont souvent disjointes. Il s’agit certes d’histoire, mais aussi de techniques, de pratiques bibliothéconomiques, le cas échéant d’histoire de l’art, etc. –mais n’épiloguons pas. Soulignons plutôt que l’histoire du mobilier des bibliothèques devrait dépasser la simple description à laquelle elle est souvent réduite (le temps des pupitres, celui des salles avec des rayonnages muraux, celui des complexes architecturaux et de la spécialisation à l’œuvre dans les nouvelles bibliothèques du XIXe siècle, etc.), pour envisager une contextualisation par rapport à des phénomènes plus généraux.
Élément du mobilier ancien de la bibliothèque Raday, Budapest |
Au-delà de l’économie du livre, le mobilier s’analyse aussi en fonction d’autres catégories, dont nous signalerons deux plus particulièrement prégnantes. Il s’agit d’abord du paraître et de la distinction: le cadre de la bibliothèque peut être somptueux, notamment pour des raisons politiques, comme c’est le cas avec la grande salle (Prunksaal) de la Bibliothèque impériale de Vienne (Hofbibliothek), mais aussi avec la noiuvelle bibliothèque de l’université de Coïmbra.
Entrée de la bibliothèque de l'École des chartes, 2012 |
Ces éléments sont parfois pour partie conservés, par exemple à la Bibliothèque nationale Széchényi de Budapest (où ils font l'objet d'une exposition dans le grand hall), mais ils sont très généralement détruits, le plus souvent sans même que l’on se préoccupe d’en garder une simple trace iconographique. Ils n’en intéressent pas moins très directement l’historien, et plus encore l’historien du livre, attentif à éclairer les configurations autour desquelles se sont développées l’économie, les pratiques et les représentations des livres et des collections de livres. Un mot encore: les outils aujourd'hui disponibles (à commencer par un simple blog) faciliteraient grandement la mise en place d'une enquête, même informelle, mais qui permettrait de recenser un certain nombre de pièces conservées -et nous ne doutons pas un instant qu'un simple inventaire de ce type nous fournirait déjà nombre de très précieuses informations.
Voir aussi pour une définition de la bibliothèque comme meuble (l'armoire des livres), puis comme local, puis comme interface entre une masse de données abstraites et un ensemble d'éléments matériels les mettant -ou non- à la disposition des utilisateurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire