dimanche 15 juillet 2012

Retour à la campagne: du Lochois à la Hongrie

Dans la région de l’Indrois et à l’orée de la forêt de Loches, nous découvrons, à quelques dizaines de kilomètres à l’est de Tours, le petit bourg de Genillé, avec sa belle église d’origine romane remontant au XIe siècle et profondément réaménagée aux époques gothique et Renaissance (cf. cliché, détail de la carte de Cassini).
Genillé et la vallée de l'Indrois: détail de la carte de Cassini
Nous sommes ici dans le fief d’une dynastie célèbre de la Renaissance française, celle des Fumée, dont le représentant le plus connu est Adam (Ier) Fumée (Tours, 1403?-Lyon, 1494), docteur de l’université de Montpellier, médecin de Charles VII et de Louis XI, chancelier de France et garde des sceaux. Son fils, Adam (II), cité par Moréri, sera quant à lui conseiller du parlement du Paris: c’est lui qui, à Genillé, fait très probablement élever le château, en grande partie conservé aujourd’hui (cf. cliché), et réaménager l’église, avec une décoration inspirée de la Renaissance italienne.
Pour La Croix du Maine, les Fumée sont une «très-noble et très-ancienne famille»: ils illustrent parfaitement le modèle de ces bourgeois de Tours entrés dans l’administration royale et dont la fortune est assurée par l’installation de la monarchie dans la région. La belle chapelle seigneuriale qu’ils font aménager dans l’église conserve ses rinceaux et ses putti italiens, ainsi que la devise (en latin): «Seigneur, j’ai aimé la beauté de Ta maison».
Le château de Genillé, appartenant anciennement à la famille des Fumée
Comme on pouvait s’y attendre, les Fumée collectionnent naturellement les livres: Adam (Ier) possédait lui-même une bibliothèque, et l’on connaît aussi Nicolas Fumée (†1593), abbé de La Couture au Mans puis évêque de Beauvais, qui possédait une Bible lyonnaise de 1538, exemplaire signalé par Marius Michel pour la magnificence de sa reliure. L’évêque de Beauvais est un esprit qui cherche la conciliation: c’est lui qui est appelé par Henri IV pour présider aux obsèques du roi Henri III à Compiègne, et il sera d’ailleurs emprisonné un temps par les Ligueurs.
On ne peut, du coup, que s’étonner de l’ignorance du libraire qui, lors de la vente de la bibliothèque du duc de La Rochefoucauld à La Roche-Guyon, signalait en ces termes un exemplaire de la Zoologie de Gesner relié en vélin souple du XVIe siècle: «signature d’Adams [sic!] Fumée écriture ancienne dans tous les volumes» (n° 554). Il s’agit presque certainement d’un descendant du médecin de Louis XI, peut-être son fils Adam (II) ou plus probablement son arrière petit-fils, Adam (III). Avouons que l’identification de l’exemplaire de Gesner portant les notes d’un représentant d’une des plus célèbres dynastie de la Renaissance française ne serait pas sans intérêt…
Le cousin de l’évêque de Beauvais, Martin (II) Fumée, a hérité de la seigneurie de Genillé et est gentilhomme de la chambre du duc d’Anjou. Il est lui-même l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages, dont une traduction de Procope et, de manière surprenante, une Histoire des troubles de Hongrie publiée à Paris en 1594. Il s’agit de la première histoire de Hongrie à avoir été donnée en français, et on ne peut que s’étonner du lien improbable qu’elle établit entre notre bourgade du Lochois et le destin tragique d’un royaume lointain, qui plus est pratiquement détruit par les Ottomans à la suite de la défaite de Mohács (1526).
Histoire des troubles de Hongrie, 1594
C’est que la question des Ottomans et de leurs progrès en Europe intéresse très largement l’opinion occidentale dans la seconde moitié du XVIe siècle, comme en témoignent le nombre croissant d’éphémères sortant alors sur le sujet, et le fait que l’Histoire de Martin Fumée sera presque aussitôt traduite et publiée en allemand et en anglais. L’auteur traite de la période la plus contemporaine (de Mohács à la mort de Maximilien, en 1578), sur laquelle il s’est documenté avec autant de précision qu’il était possible.
Mais il a aussi voulu proposer une leçon politique applicable à ses contemporains: la ruine de la Hongrie est venue à la fois de la décadence du pouvoir monarchique et des luttes engagées au sein du royaume pour s’assurer la suprématie: «À ce bruit, réfrénez votre rage, reprenez vos esprits, et faites que vos folies soient si courtes qu’elles en soient enfin estimées meilleures». Avec l’Histoire des troubles de Hongrie, nous sommes devant un des premiers titres d’histoire européenne, qui plus est en langue vernaculaire, mais surtout devant un livre témoignant de l'émergence de la réflexion politique moderne en France après l'expérience traumatisante des Guerres de religion.

Martin Fumée, Histoire des troubles de Hongrie, contenant la pitoyable perte et ruine de ce royaume et les guerres advenues de ce temps en iceluy entre les chrestiens et les Turcs, Paris, Laurens Sonnius, 1594.

Sur la même région, voir: Loches, Mame, Montrésor, Touraine, Villeloin, etc. Utiliser l’outil de recherche, en haut de la colonne de droite. 

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