Le premier cercle est celui de la bourgeoisie urbaine. Morhof est né en 1639 dans l’ancienne ville hanséatique de Wismar, et dans un milieu dont le statut social est éminemment lié à l’écrit. Son père exerce en effet la charge de notaire, et de secrétaire du Magistrat. Il convient de souligner l’ancienneté d’une tradition qui lie la présence d’une puissante bourgeoisie négociante et la fondation d’institutions communautaires d’enseignement: les villes d’Allemagne du nord, de Hambourg à Brunswick, à Lubeck, à Wismar, à Rostock et surtout à Stralsund, sont parmi les premières à mettre en place, à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, des collèges urbains, pour la formation de leurs futures élites marchandes et administratives. Même si les conditions de développement varient en fonction des rapports entretenus par les villes avec les pouvoirs concurrents, l’Église (comme à Hambourg) ou les princes territoriaux, la tendance est partout la même, qui amènera les Magistrats urbains à prendre à terme pleinement le contrôle de ces institutions.
Bientôt, ces mêmes Magistrats interviennent dans la fondation des premières universités de l’Europe septentrionale: l’université de Rostock est fondée en 1419, sur l’initiative conjointe des ducs de Mecklembourg, de l'évêque de Schwerin et des villes hanséatiques de Hambourg, Lunebourg, Lubeck, Wismar et Rostock, tandis que l’université de Greifswald, en 1459, apparaît davantage comme une création de la bourgeoisie urbaine. Une quinzaine d’années plus tard, les royaumes du nord se dotent, eux aussi, d’universités, d’abord à Uppsala (1477), puis à Copenhague (1479). Enfin, la première université du Brandebourg sera celle fondée à Francfort-s/Oder au tournant du XVe siècle (1506): dans ces trois derniers cas, l’initiative est celle du prince, attentif à former des cadres compétents pour les services de son administration. Elle n’exclut évidemment pas l’appui des élites urbaines, notamment à Francfort-s/O.
Le royaume de Danemark dans la seconde moitié du XVIIe siècle, par Guillaume Sanson (détail) (© Gallica) |
Ne préjugeons pas du rôle des problématiques socio-politiques à l’absence du sentiment religieux: l’exemple du duc Julius de Brunswick démontrerait au contraire l’importance de choix personnels qui sont aussi des choix existentiels. Mais, pour en revenir à la question politique, le début du XVIe siècle est un temps de lutte entre le pouvoir impérial qui tente de se renforcer, et les multiples puissances locales et régionales constitutives du Saint-Empire. L’irruption de la Réforme constitue un facteur d’évolution décisif: l’empereur est, avec le pape, à la tête de la chrétienté, la lutte à son encontre sera donc renforcée dès lors que les opposants passeront à la Réforme. La géographie du nord est plus éloignée des pôles du pouvoir catholique tandis que, dans les villes hanséatiques, le choix de la Réforme facilite aussi l’indépendance par rapport aux seigneurs locaux, laïcs ou ecclésiastiques.
Des Églises luthériennes sont bientôt fondées à Hambourg (à partir de 1527), à Brunswick (1528) et à Lunebourg (1529/1530). Les princes territoriaux aussi penchent vers la Réforme: en Prusse (territoire extérieur à l’Empire) dès 1525, en Poméranie (1534/1535), dans les duchés de Mecklembourg (1534-1549) et dans ceux de Schleswig et de Holstein (1536), dans l’électorat de Brandebourg (1538/1539) et, enfin, en Brunswick-Wolfenbüttel (1568). Dans les royaumes du nord aussi, l’instauration de la Réforme a une dimension politique majeure: la Suède de Gustav Vasa passe à la Réforme en 1527/1529, tandis que le roi de Danemark fait le choix du luthéranisme en 1530. La diète de Copenhague, en 1537, prélude à la mise en place d’une Église nouvelle. Partout, la confiscation des biens du clergé renforce considérablement la richesse, donc la puissance, des pouvoirs en place.
Lunebourg et sa place du marché, nov. 2009 (© F. Barbier) |
Donc, une conjoncture politique en plein bouleversement. Les puissances du nord apparaissent successivement comme des acteurs clés sur le champ politique européen, le Danemark, la Suède, bientôt le Brandebourg et la Russie: longtemps suédoise, la Poméranie passera en définitive sous la domination du Brandebourg-Prusse. Le modèle de l’absolutisme politique s’impose, et les princes sont attentifs à organiser leurs États selon les catégories de la rationalité politico-administrative moderne. Le rôle de l’imprimé est à tous égard regardé comme fondamental.
Au-delà des réseaux et des solidarités, il nous reste à revenir sur le Polyhistor lui-même, et sur son auteur: ce sera l’objet d’un prochain billet.
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