mercredi 11 septembre 2013

Un congrès sur les incunables en Italie du nord

Le récent congrès consacré aux incunables et tenu à Milan (à la Biblioteca Trivulziana, à l'Université catholique et à l'Université d'État) ne peut que nous réjouir, en ce qu’il permet de constater la richesse (un peu trop grande sans doute pour une manifestation de deux jours de travail effectif, mais qui prévoit au total vingt-cinq conférences…) et le dynamisme de la recherche sur un domaine pourtant bien particulier.
1- Cette recherche articule traditionnellement des approches différentes, dont la première concerne l’érudition: le congrès a été l’occasion de présenter des communications consacrées à des titres spécifiques publiés en Italie (Milan, Ferrare, Rome, etc.), à des ateliers d’imprimerie (à Brescia) et à des exemplaires remarquables. On sait toute l’attention traditionnellement donnée par les spécialistes du livre au XVe siècle aux attributions et aux datations les plus précises, ce qui nous confirme le fait (parfois négligé, voire oublié) que l’histoire du livre est d’abord un domaine d’études qui requiert une expertise poussée.
2- Mais nous sommes ici, d’une certaine manière, dans l’ordre des sciences auxiliaires de l’histoire –même si la formule classique semble malheureuse par la hiérarchisation qu’elle implique. Dans un texte célèbre, Lucien Febvre soulignait le fait que le travail d’érudition était effectivement conduit de longue date en histoire du livre, mais qu’il ne débouchait pas encore sur le travail d’historien qu’il appelait alors de ses vœux. On le sait, les choses ont complètement changé depuis lors, et le congrès de Milan nous montre que le travail d’historien se fait, y compris dans les domaines où l’érudition est traditionnellement la plus forte. C’est ainsi que des conférences concernent des problèmes de fond, mais longtemps négligés, comme la statistique bibliographique rétrospective et le passage du manuscrit à l’imprimé, la mise en place d’un régime de l’édition (avec la question des privilèges de librairie), le commerce et la diffusion du livre au XVe siècle, etc.
3- Par ailleurs, les conditions de la recherche ont profondément changé depuis une vingtaine d'années, notamment sur deux points, également abordés à Milan. Il s’agit bien évidemment, d’abord, de l’élaboration de catalogues nouveaux, de plus en plus riches, de mieux en mieux intégrés, et disponibles sur Internet. Non seulement la masse des données disponibles est de plus en plus grande, mais elles s’enrichissent dans le même temps, grâce aux bibliothèques virtuelles et grâce à la prise en compte de nouveaux éléments au niveau de la description (notamment les mentions de provenance et autres particularités d’exemplaires). Si ces éléments étaient à la base de l’information de nombreuses communications, certaines d’entre elles les ont directement pris en considération (par ex., sur le catalogage au XXIe siècle, sur la situation du GKW de Berlin, ou encore sur l’ISTC).
Le second point est aussi essentiel, qui concerne l’interdisciplinarité: nous avons coutume de dire que l’histoire du livre est une histoire «entre les histoires» et que, si elle suppose une expertise poussée, elle tire aussi tout son profit de l’approche combinant plusieurs disciplines. Le cas du roman de Mélusine, présenté à Milan, illustre l’intérêt d’un travail combinant étroitement histoire du livre, histoire de la littérature (et de la langue), et histoire de l’art.
4- Enfin, le congrès de Milan illustre une tendance qui se développe depuis quelques années, et qui confirme le fait que l’histoire du livre est aujourd’hui entrée dans sa phase de maturité. Il s’agit de l’approche historiographique, prise en considération par plusieurs conférences: c'est l’invention de l’incunable en tant que phénomène du collectionisme, c'est l’histoire des collections elles-mêmes (à Milan, à Padoue, etc.), ou encore l’affirmation précoce d’une «incunabulistique» et le rôle de certaines grandes figures (comme Leo Olschki, Luigi de Gregori et Marie-Louis Polain). Il s’agit là d’un domaine relativement nouveau, mais qui se révèle particulièrement riche, parce qu’il nous informe aussi sur les conditions dans lesquels les livres ont été conservés, et sur la manière dont ils ont été étudiés.
Milan s'impose ainsi comme un pôle majeur de la recherche et de l'enseignement dans le domaine de l'histoire du livre. Nous attendons, maintenant, la publication des Actes, qui constitueront un volume destiné à entrer dans les classiques de notre discipline.
Les participants, sous les arcades de la Rochetta, au Castello Sforza de Milan

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