samedi 28 août 2010

Une civilisation de stèles?

Une des caractéristiques de la civilisation de l’écriture et du livre en Chine tient dans la place qu’y occupent certains systèmes très particuliers de reproduction. Il y a quelques années, à l’occasion d’un colloque à Pékin (dont les Actes ont été publiés en près de 200 pages dans Histoire et civilisation du livre, 2007, III), nous avons pu visiter la bibliothèque de la Cité interdite (voir cliché ci-dessus). Pour l’Occidental, l’étonnement vient de ce que la bibliothèque ne conserve pas des livres au sens habituel du terme, mais bien des plaques xylographiées, autrement dit des bois gravés. Il est possible, à partir de ceux-ci, de réaliser par impression ou par simple frottis une reproduction du texte (et éventuellement des illustrations) pour son usage personnel: une manière de préfiguration, en quelque sorte, de la procédure parfois utilisée aujourd’hui, et qui consiste à faire imprimer exemplaire par exemplaire au fur et à mesure de la demande.
Mais, pour le visiteur non sinologue et donc nécessairement quelque peu étranger, la Chine apparaît aussi comme le pays des stèles. Le Temple de Confucius a été fondé à Pékin au tout début du XIVe siècle, et il jouxte le Collège impérial (Giozijian), où sont recrutés par concours, puis formés les hauts fonctionnaires (mandarins) de l’Empire. Les stèles gravées (voir cliché ci-dessous) sont d’abord destinées à la commémoration des hauts faits de l’Empereur, et à la biographie des candidats reçus. D’autre part, le Temple possédait à l’origine 189 stèles portant le texte des treize classiques confucéens. Outre la fonction première des stèles, on peut aussi penser qu’elles rendent de réaliser, par simple frottis, une reproduction à usage privé du texte qu’elles proposent.
Un certain nombre de ces stèles sont portées par des effigies de tortues, l’animal cosmique par excellence (parce qu’il associe la figure ronde du ciel, avec sa carapace, et la figure carrée de la terre, avec son corps proprement dit (voir cliché).
Ajoutons une dernière remarque, qui concerne certaines spécificités de l’écriture par idéogrammes. L’alphabet constitue un système de codes caractérisé par son abstraction plus poussée, alors que le lien est en principe plus immédiat, entre le dessin des idéogrammes et le signifié qu’ils représentent. Un des effets de cette opposition réside peut-être dans le statut de l’inscription, qui ne signifie pas simplement quelque chose, mais qui l’invoque et qui le fait surgir, et cela d’autant plus que l’esthétique de la calligraphie tient une place importante dans la civilisation chinoise. Au Temple du Ciel (Tiantan) comme dans d'autres sanctuaires de Pékin, on est surpris de voir, sur les sortes d’autels alignés, de simples plaquettes portant le nom de la divinité et qui sont substituées aux représentations iconographiques, sculptures, triptyques, etc., auxquels nous sommes habitués en Occident (voir cliché ci-dessous). D’une certaine manière, cette monumentalité idéographique a une fonction d’épiphanie au sens étymologique du terme (=manifestation de qq ch, action de le rendre visible).

Clichés: 1) Toitures de la Bibliothèque, Cité interdite; 2) Une forêt de stèles; 3) Tête d'une tortue portant une stèle; 4) Exemple d'autels portant des tablettes votives.

2 commentaires:

  1. Bonjour Frédéric

    La position et l'existence même de ces stèles sont-elles comparables aux menhirs mégalithiques érigés en Europe?

    Plus précisément, les stèles qui jonchent le territoire chinois sont-elles un lien entre des divinités et les Hommes, ou ont-elles un tout autre usage?

    Quand, ce peuple chinois qui fut si prompt à donner vie à une pléthore d'idées, a-t-il finalement saisi le rôle essentiel de l'écriture? A quand datent les premiers livres?

    Merci pour votre patience face à tant de questions! Emeline

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  2. Chère Madame,
    Merci de vos questions. Il faut vous dire que je ne suis pas sinologue, et que par conséquent je ne me trouve pas le plus qualifié pour vous répondre. Vous pourriez vous tourner vers des collègues de l'École pratique des hautes études qui, eux, ont toutes les compétences requises (cf: http://www.ephe.sorbonne.fr/).
    Cependant, je ne pense pas que la distribution géographique des stèles puisse avoir une quelconque signification. Outre que le territoire chinois a beaucoup changé au cours de l'histoire, les bouleversements récents ont profondément modifié tout ce qui pouvait avoir un quelconque rapport avec la conservation du patrimoine architectural, dont les stèles.
    Cordialement à vous. FB

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