Madrid, Patrimonio Nacional, 2013,
245 p., ill. («Catálogo de la Real Biblioteca», XII). ISBN: 978-84-7120-490-5.
La directrice de la Bibliothèque royale de Madrid (http://www.realbiblioteca.es/), María Luisa López-Vidriero, a tout à fait raison d’ouvrir la brève introduction du récent catalogue des incunables de cet établissement en insistant sur le fait que son travail illustre pleinement les développements actuels de l’«histoire culturelle du livre». De fait, les travaux de recensement conduits par fonds ont d’abord visé à identifier les éditions conservées, en privilégiant ce que l’auteur appelle la «filiation auctoriale». Les vérifications exhaustives conduites sur le fonds du Palais royal ont, à ce niveau, permis d’identifier trois nouveaux exemplaires jusque là passés inaperçus.
Mais l’objectif du catalogue est désormais surtout celui de contribuer à enrichir notre connaissance de l’histoire culturelle. C’est tout le sens de l’examen systématique des particularités d’exemplaires: présence de notes manuscrites, anciennes cotes, ex-libris et autres mentions de provenance, intégration dans un recueil, reliure ancienne, etc. Cette problématique débouche bien évidemment sur l’histoire du fonds lui-même, à travers à la fois ses conditions de constitution et d’enrichissement, et les pratiques scientifiques de toutes sortes (identification, catalogage, etc.) développées à son entour.
Le présent catalogue comprend 258 notices longues, et il est complété par de riches index: index nominum (auteurs secondaires, traducteurs, etc.), index rerum (commentaires sur une œuvre, matières traitées), index des imprimeurs et des éditeurs, index locorum (villes d’impression); table des anciennes cotes; index des relieurs. Parmi les mentions de provenance remarquables, signalons le surprenant cachet «Propriété des trois» présent sur un exemplaire du Rationale de Guillaume Durand (Mayence, 1459: GW 9101, et catalogue, n° 86). Nous sommes à l’époque de l’épisode célèbre durant lequel les fils de Charles IV d’Espagne sont exilés au château de Valençay (Ferdinand et ses deux frères, Dom Carlos et Dom Francisco de Paula): le cachet est apposé sur les exemplaires envoyés en France pour le service des princes.Ces derniers auraient en définitive apprécié leur séjour forcé dans le petit chef-lieu de canton de l'Indre, parce qu'ils n'y étaient pas soumis à la même étiquette qu'à Madrid et qu'ils se trouvaient donc paradoxalement beaucoup plus libres: on peut dès lors imagines qu'ils n'avaient probablement pas un usage quotidien du Rationale de 1459...
Rappelons que les éditions du XVIe siècle conservées au Palais royal de Madrid ont également fait l’objet d’un catalogue imprimé, dont le dernier volume, récemment paru, est consacré aux Index: Impresos del siglo XVI. Indices, dir. María Luisa López-Vidriero, Madrid, Patrimonio nacional, 2014, 362 p. (ISBN: 978-84-7120-502-5: catalogue complet en trois volumes). Ajoutons que nous aurions tort de ne pas signaler l'élégance des volumes ici présentés.
Une nouvelle collection vient en outre d’être inaugurée, dont l'objet concerne l'étude des bibliothèques privées des membres de la famille royale d’Espagne au cours de l’histoire («Librerías históricas. Bibliotecas Reales Privadas»). Les trois premiers volumes en sont consacrés à la figure exceptionnelle d’Isabelle Farnèse (1692-1766), née princesse de Parme, mais dont la vie prend une dimension nouvelle lorsqu’elle épouse, en 1714, le roi d’Espagne Philippe V de Bourbon. On sait le rôle dès lors joué par la reine d’Espagne non seulement dans le gouvernement du pays, mais aussi dans le jeu politique de l’Europe entière, qu’il s’agisse de la péninsule italienne, des jeux d’alliance ou encore de la politique matrimoniale. María Luisa López-Vidriero, Constitución de un universo: Isabel de Farnesio y los libros,
Madrid, Patrimonio nacional, 2016,
2 t. en 3 vol., ill. ISBN : 978-84-7120-511-7 (ensemble des trois volumes).
Le premier volume propose d’abord une longue introduction (176 p.), rappelant la biographie de la reine, mais s’attachant surtout à l’étude de ses bibliothèques successives. La librairie parisienne est l’intermédiaire obligée, et la reine dispose d’un correspondant attitré dans la capitale française, en la personne des Collombat (v. p. 52 et suiv.).
Les deux catalogues des bibliothèques de la reine, la bibliothèque du palais de Buen Retiro et la «bibliothèque de campagne» font l’objet d’éditions scientifiques très détaillées (les sources primaires sont données t. I, p. 171), et sont complétés par des jeux d’index développés (auteurs / titres, imprimeurs, villes d’impression et dates de publication). L’ensemble est complété par le catalogue des «livres mentionnés sur les factures», et par celui des exemplaires identifiés mais ne figurant pas dans le catalogue: nous sommes devant un travail d’érudition exemplaire.
Le cahier d’illustrations en couleurs inclus dans le premier volume permet de se faire une idée de l’importance des fonds ici recensés, qu’il s’agisse de la somptuosité des reliures, des papiers marbrés et autres exemplaires de dédicace, mais aussi de l’intérêt des sources d’archives exploitées par l’auteur. Cette histoire érudite et très précise d'une bibliothèque débouche aussi bien sur l’histoire du livre au siècle des Lumières, que sur l’histoire générale de la culture, sur la biographie et sur l’histoire du genre, etc., sans oublier, in fine, l’histoire politique au sens large.
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