mercredi 23 décembre 2015

En Allemagne moyenne (2)

Rien de surprenant si l’espace de la vallée du Main et de ses prolongements constitue un espace d’innovation, et de longue date attaché à l’écrit et au livre. La présence d’un grand nombre de riches institutions religieuses, églises, chapitres et maisons régulières, s’accompagne de l’existence de bibliothèques manuscrites souvent importantes: nous ne citerons ici que les cisterciens de Langheim, dont la maison est fondée sous l’évêque Otto Ier de Bamberg, en 1132. Par ailleurs, dès la fin du XVe siècle, les foires de Francfort s’imposent comme l’un des points naturels de rencontre des professionnels de la branche nouvelle de la typographie et de la distribution des livres imprimés.
Revenons à Bamberg, sur la haute vallée du Main, alors que règne le prince-évêque Georg von Schaumberg. Si chacun connaît les célébrissimes Chroniques de Nuremberg, on sait moins que la famille de l’un des artistes responsables de l’illustration vient, précisément, de Bamberg: Cuntz Pleydenwurff est en effet à la tête d’un atelier important de peintres dans cette ville, où son fils Hans (vers 1420-1472), reçoit une première formation avant un très probable voyage en Flandre. C’est ce dernier qui peint notamment une scène de la prédication de Johannes Capistran en 1451 sur la colline de la cathédrale de Bamberg (cf cliché ci-contre). Six ans plus tard, il s’installe à Nuremberg, où il commence à travailler et à former des élèves –parmi ceux-ci, Michael Wohlgemut, qui travaillera avec Anton Koberger et avec le jeune Dürer.
Bamberg attire aussi un homme jeune, peut-être d’ailleurs originaire de Francfort, et qui a pu se former à la typographie à l’école de Gutenberg à Mayence –beaucoup de points d’interrogation, on le voit. Alors que Gutenberg est en difficultés, Albrecht Pfister gagne en effet Bamberg, où il commence à imprimer au plus tard en 1459. La documentation archivistique fait pratiquement défaut, mais on lui attribue la paternité de la célèbre Bible à 36 lignes, peut-être commencée à Mayence: pour un livre aussi rare, la présence de douze exemplaires aujourd’hui conservés, même si parfois très incomplets, dans les bibliothèques de la région, constitue un indicateur significatif (à Bamberg, Cobourg, Erlangen, Nuremberg, Wurtzbourg, et dans plusieurs autres villes de moindre importance).
Les hypothèses sur la suite des événements n’ont pas fait défaut: Gutenberg est en procès avec ses financiers, et perd la maîtrise de son atelier en 1455. Il a pu se transporter lui-même à Bamberg, ou y envoyer des ouvriers pour terminer sa Bible à 36 lignes: les fontes utilisées pour ce travail viennent en effet de Mayence, mais on ne sait pas exactement dans quelles conditions s’est fait le transfert. Le rôle de Pfister est tout aussi incertain, selon qu’il était lui-même typographe, ou qu’il s’est formé à Bamberg avec des «anciens» de Mayence avant de lancer son propre atelier. On devine aussi, en arrière-plan, l’intervention de l’évêque, élu en 1459 et qui aurait soutenu l’installation des imprimeurs –le titre de secrétaire de l’évêque octroyé à Pfister assure à celui-ci une position officielle.
Der Ackermann von Böhmen (exemplaire numérisé)
Mais Pfister est surtout connu pour ses innovations. Dans les années 1460, il va en effet publier une dizaines de pièces aujourd’hui connues: sa production a certainement été plus importante, d’autant qu’un certain nombre d’autres pièces imprimées avec les mêmes caractères, Lettres d’indulgence, Calendriers, etc., pourrait aussi lui être attribué. Toutes relèvent d’une forme de littérature de diffusion relativement large, et la grande majorité est en langue vernaculaire. C’est le Livre des quatre histoire (Histoire de Joseph, etc.) et le Procès de Bélial, ce sont surtout Le Laboureur de Bohème (Der Ackermann von Böhmen: cf cliché) et les fables de l’Edelstein. La Bible des pauvres, dont nous conservons des témoignages de deux éditions au moins publiées par Pfister, est en revanche en latin. 
Enfin, Pfister est le premier typographe qui a enrichi ses textes en y intégrant des gravures sur bois.
Son activité semble pourtant s’arrêter en 1463, et lui-même serait décédé trois ans plus tard, sans que l’affaire ne soit reprise –peut-être parce que les premières fontes sont alors trop usées pour pouvoir continuer d’être employées. Pourtant, le modèle de Bamberg se retrouve en partie au-delà de la ligne de crête: une dizaine d’années en effet après la disparition de Pfister, l’imprimerie s’établit en Bohème, à Pilsen, où un imprimeur anonyme donnera, autour de 1475-1476, le Nouveau Testament, l’Histoire de la chute de Troie et la Légende dorée, tous titres en tchèque… C’est peu de dire, on le voit, que, lorsque nous abordons cette géographie de l’Allemagne moyenne et de la Bohème, nous sommes en effet dans un monde innovant, où l’alphabétisation du plus grand nombre constitue déjà un phénomène bien avancé, et où la diffusion en langue vernaculaire occupe une position remarquable.

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