lundi 14 octobre 2013

La Vierge lisant

Voici une image étonnante.
Chacun connaît le thème de l’Annonciation, dont le récit figure dans l’Évangile de Luc (I, 26 et suiv.): «Au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, auprès d’une vierge fiancée à un homme de la maison de David (…). Le nom de la vierge était Marie… » L’iconographie la plus fréquente de cette scène si souvent représentée qu’elle en devient presque banale reprend le motif de la lecture féminine: Marie est devant un meuble, un pupitre, parfois un prie-Dieu, sur lequel est ouvert un livre, et les commentaires mettent l’accent sur le fait que ce livre est, très probablement, un livre d’Heures. Dans d’autres exemples reprenant le motif de la Vierge lisant, le livre est simplement posé sur les genoux de celle-ci.


À Brou, Les Septs joies du mariage (détail)
Dans l’église Notre-Dame de Brou, le somptueux retable des Sept joies du mariage est réalisé en marbre noir et en albâtre dans les premières décennies du XVIe siècle, mais la scène de l’Annonciation y suit toujours ce même modèle traditionnel.
Partout, le schéma de la lecture féminine qui se trouve ainsi proposé est celui d’une lecture pieuse, qui est en même temps une lecture intensive, c’est-à-dire la lecture et la relecture d’une très petit nombre de textes, sinon d’un seul.
Nous avions certes remarqué il y a quelques années, dans le chœur de la cathédrale d’Amiens, une sculpture polychrome mettant en scène, le séjour de la Vierge chez Élisabeth peu après l’Annonciation. Dans les années 1530, l’artiste a représenté les deux femmes, richement habillées et assises dans un intérieur choisi, en train de parler ensemble à propos de leurs lectures (chacune tient un livre dans la main). Mais ce choix iconographique n’en reste pas moins rare.
Or, nous découvrons aujourd’hui, dans la Galerie nationale des Marches abritée dans le somptueux Palais ducal d’Urbino, une Annonciation sur bois, remontant aux années 1400 (quatre générations auparavant!) et due à Olivuccio Ceccarello di Ciccarello da Camerino. La Vierge est surprise par l’ange dans son intérieur, elle a en effet un livre ouvert sur les genoux, mais elle se trouve face à un mobilier tout différent de celui figurant dans les exemples précédents: un véritable meuble de travail, avec une tablette pour écrire (on distingue d'ailleurs un encrier portant une plume), un pupitre surélevé sur lequel deux volumes sont posés, et un espace de rangement en arrière (avec un livre fermé, posé debout). D’une certaine manière, la Vierge est ici dans la posture classique du Père ou du docteur de l’Église en train de travailler à un texte et surpris par l'apparition surnaturelle (voir l’exemple de saint Augustin mis en scène par Giovanni di Paolo).
© Galleria nazionale delle Marche
Il ne s’agit plus, à Urbino, du modèle traditionnel de la lecture de piété, mais bien d’un aménagement pleinement adapté au travail intellectuel et destiné à une femme. Il permet notamment d’écrire tout en tenant sous les yeux, en respectant les règles de l'ergonomie, les volumes de référence dont on souhaite se servir. La figure de la lecture féminine et le rapport de la femme et du livre sont ici très profondément modernisés, et la précocité de l’exemple le rend d’autant plus remarquable.

Signalons, parmi les bases iconographiques disponibles en ligne, le remarquable site de l'université de Provence: utpictura18

2 commentaires:

  1. Intéressant, mais je ne partage pas un petit point, un détail. La Vierge n'est pas entrain de travailler à un texte. Elle vient d'abandonner la lecture de Luc et sa pose est très hiératique. Nous assistons au colloque angélique.
    La Vierge va être représentée sous divers états spirituels :
    Le trouble ou conturbatio : déclenché par le salut de l’ange.
    La réflexion ou cogitatio : elle cherche à comprendre l’objet de cette salutation.
    L’interrogation ou interrogatio : être enceinte, comment cela se pourra-t-il ?
    La soumission ou humiliatio : servante de dieu, qu’il en soit ainsi.
    Le mérite ou meritatio que nous analyserons plus longuement à Florence : L’ange s’en va et la Vierge méritante reçoit le Christ, Dieu incarné, en ses entrailles. Saint Luc aurait pu écrire alors par exemple : Qui suis-je pour avoir conçu, vierge, Dieu en moi incarné. (Extrait de Léonard voyages en France. Les Guides MAF).
    Pour le reste effectivement ce cabinet de travail est un témoignage vraiment très intéressant.

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    1. Merci, cher Monsieur, de votre note. Je n'avais pas précisément écrit que la Vierge travaillait, mais quoi qu'il en soit j'ai ajouté quelques mots pour rendre la chose plus claire. En y pensant, j'ai le sentiment qu'il y a dans ce tableau comme la rencontre de deux motifs: la Vierge lisant sur ses genoux, et le cabinet de travail du chercheur ou de l'auteur. FB

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