Précisons d'entrée, avec un clin d'œil, que ce n’est pas seulement à cause des pages 84-86 (cf cliché ci-joint!) que nous ne pouvons que conseiller de se procurer la dernière livraison des Cahiers de science et vie (oct. 2017), mais bien parce que le dossier présenté porte sur l’écriture («L’écriture: comment elle a changé le monde»), et parce qu’il constitue une introduction à la fois informée et agréable à un domaine qui touche aussi à l’histoire des médias et du livre. À l'heure où il est de bon ton de vilipender les journalistes, c'est là un vrai travail de journalistes scientifiques.
L’écriture est d’abord envisagée comme «une pratique protéiforme» (p. 24 et suiv.): on transcrit très généralement le langage oralisé, mais «d’autres choses que des mots» peuvent aussi être notées (la musique, le mouvement, les mathématiques, etc.), tandis que la variabilité des écritures, c’est-à-dire des systèmes de codage, est infinie. Nous ajouterions volontiers que notre appétence pour la typologie n’est pas sans risques: l’écriture alphabétique n’est pas fondée sur la seule logique de l’alphabet, et la ligne d’évolution n’est pas systématiquement celle d'un travail d'analyse de plus en plus poussé, ni d’une abstraction croissante.
Le dossier revient ensuite sur les «proto-écritures» (p. 30 et suiv.), autrement dit sur les signes probablement symboliques dont on observe l’existence dès la préhistoire (nous en avons mentionné quelques exemples sur ce blog): il existe en effet des systèmes graphiques antérieurs aux écritures proprement dites, mais nous ne disposons plus des éléments qui permettraient de les interpréter.
L’apparition de l’écriture proprement dite est traitée ensuite («Et l’homme se mit à écrire», p. 34 et suiv.), à partir bien évidemment des exemples de la Mésopotamie et de l’Égypte (peut-être aurait-il fallu développer un petit peu plus le cas de la Phénicie?) La contribution évoque, même très brièvement, un certain nombre de questions posées par l’articulation entre l’essor de l’écriture (nous devrions écrire: des écritures) et les catégories de la pensée que celle-ci contribue à structurer (par ex., «l’esprit critique ne serait véritablement né qu’avec l’écriture», p. 40). Ce thème fondamental sera repris à la fin du dossier.
La variété des supports d’écriture est envisagée ensuite, des tablettes d’argile (puis de cire) au papyrus, au parchemin, au papier et aux nouveaux supports: bien évidemment, la nature du support détermine dans une très large mesure la forme matérielle de l’objet, du volumen au codex, etc.(mais elle peut aussi déterminer la forme des signes, comme le montre l'exemple de l'épigraphie).
La suite de la livraison présente un certain nombre de problèmes connexes, mais qui restent fondamentaux: l’histoire et l’avenir des bibliothèques, celles-ci étant avant tout envisagées dans leur articulation avec les pouvoirs politiques (p. 48 et suiv.); puis, la question de l’original, de la copie, du faux, etc. La «Naissance d’une civilisation du texte» (p. 56 et suiv.) constitue une note particulièrement intéressante (p. 56 et suiv.): mais le problème reste posé, s'agissant de la Grèce classique, de la transition entre une civilisation de la parole, qui est encore celle de Socrate, et une civilisation de l’écrit, qui sera celle de Platon, puis d’Aristote, et dont le Musée d’Alexandrie constituera comme le symbole érigé au rang de mythe.
«Les livres qui ont changé le monde» présente d’abord des textes à connotation religieuse, puis des textes de littérature, de politique (de Platon à Karl Marx) et enfin des textes relevant du savoir scientifique: il ne sert de rien de discuter le choix des titres retenus, il suffit de profiter de la promenade suggestive qui nous est ainsi proposée, à travers un certain de très grands textes consacrés par la mémoire collective... et par l'histoire éditoriale. Puis, la presse périodique est brièvement envisagée par une contribution spécifique («L’information brise ses chaînes», p. 72 et suiv.), bien informée mais à laquelle on fera sans doute, plus qu’à d’autres, le reproche d’être surtout orientée sur le cas de la France.
L’évocation des «Index, autodafés», etc. («Quand les livres font peur») est tout particulièrement bien venue. Enfin, le dernier texte, avant l’interview, pose la question devenue fondatrice: à l’heure des nouveaux médias et de la généralisation des pratiques qui leur sont liées, quelles conséquences, même à plus long terme, pourrait avoir la mutation aujourd’hui engagée, sur les modes de pensée qui sont les nôtres, tout au moins en Occident, sur la permanence d’un certain nombre de catégories que nous aurions crues fondatrices (texte, auteur, littérature, langue…), voire plus profondément sur la structuration même de notre cerveau. Des remarques qui s’imposent, à l’heure où l’on discute toujours, dans notre pays, des réformes à mettre en œuvre pour l’apprentissage de la lecture.
Ajoutons qu’un des agréments, et non le moindre, de ce petit fascicule réside dans son illustration à la fois élégante et très généralement pertinente. Et concluons en recommandant une publication modeste, mais efficace et bien informée, et qui est réellement susceptible d’introduire le non-spécialiste à notre champ d’études.
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