L’attention pour les bibliothèques et les opérations d’appropriation semblent globalement s’affaisser au Moyen Âge, alors que les destructions l’emportent sur les déplacements et sur les appropriations. Mais il émerge à nouveau dans la seconde moitié du XIVe et au XVe siècle, avec l’essor de la bibliophilie princière, et avec l’intérêt nouveau pour les livres qui accompagne les développements de l’humanisme, notamment en Italie: on sait comment la bibliothèque de Charles V sera pour l’essentiel achetée par le duc de Bedford, et transportée en Angleterre, avant de se trouver en partie dispersée. Pour autant, les collections prestigieuses, comme la bibliothèque des ducs de Bourgogne, représentent des valeurs très importantes: après la mort du Téméraire (1477) et le mariage de Marie de Bourgogne, les manuscrits de Bourgogne échapperont au roi de France pour passer dans l’orbite de la dynastie de Habsbourg.
Une première grande époque d’appropriations par la force date des Guerres d’Italie: les expéditions successives des Français s’accompagnent de la confiscation de collections entières, comme la bibliothèque des Sforza et celle des rois aragonais de Naples. Il s’agit de procéder à la translation du pouvoir (translatio imperii) vers la France, et de l’appuyer sur la translation du modèle culturel (translatio studii). Le roi de France est désigné comme le nouveau Ptolémée, il est le dépositaire de l’héritage d’une culture classique conservée et matérialisée dans les livres.
La période des crises religieuses, qui recouvre l’essentiel du XVIe siècle, est quant à elle marquée par une tendance double: les appropriations, certes, les achats et les commandes manifestent l’intérêt constant pour les collections, mais les destructions se multiplient aussi. Dès avant le déclenchement de la crise religieuse, l'une des plus belles bibliothèques du monde est celle rassemblée par le roi de Hongrie Matthias Corvin, dans son château de Buda. Elle est constituée de manuscrits somptueux, qui font l’objet d’appropriations ponctuelles après la mort du roi, et alors que le pouvoir monarchique tend progressivement à s’affaisser –on trouve donc aujourd’hui des manuscrits de la Corviniana dans un très grand nombre de bibliothèques occidentales, comme celles de l’empereur (Vienne), de l’électeur de Bavière (Munich), du roi de France (Fontainebleau, puis Paris), ou encore du duc de Brunswick (Wolfenbüttel)… Les derniers vestiges de la bibliothèque disparaissent quant à eux après la défaite de Mohács, et l’occupation de la majeure partie du royaume par les Ottomans.
Sac de Lyon par les Protestants, 1562 (© Lyon, Musée Gadagne) |
On sait pourtant que certains professionnels et amateurs ne sont pas sans connaître la valeur marchande, parfois l’intérêt intellectuel des exemplaires éventuellement mis sur le marché. Sans parler des collections constituées par les nobles anglais à la suite du passage de leur pays à la Réforme, certains documents entrés dans la bibliothèque parisienne du président de Thou (9000 imprimés, 800 manuscrits) semblent bien avoir les pillages pour origine, tandis que l’odyssée du Codex Bezae illustre inversement les voies du sauvetage s’agissant d’un manuscrit absolument exceptionnel –un des plus anciens manuscrits de la Bible, en l’occurrence les quatre Évangiles et les Actes des apôtres.
Alors que Théodore de Bèze est installé à Genève depuis 1558, il réside souvent en France où il est appelé par les différents responsables politiques pour essayer d’aplanir les oppositions religieuses montantes. Parallèlement, il travaille à une nouvelle édition du Nouveau Testament, qu’il donnera en 1565, et pour laquelle il utilise précisément le manuscrit alors conservé à Saint-Irénée de Lyon. Le manuscrit échappe de la sorte à l’incendie de l’abbaye lors du sac de Lyon par les Protestants en 1562, sera par la suite offert par Bèze à l’université de Cambridge, où il est toujours conservé aujourd'hui.
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