mercredi 20 avril 2011

Le livre de pierres

Dans notre dernier billet, nous parlions des estampes précieuses qui ne sont pas des estampes précieuses, mais bien des meubles –en l’occurrence, un cabinet en poirier conservé au château d’Azay-le-Rideau. Amusons-nous aujourd’hui avec un autre phénomène, celui de livres qui ne sont pas des livres, mais bien des immeubles. La petite église de Leignes-sur-Fontaine (département de la Vienne), aux portes du Poitou, nous en donne un exemple idéaltypique.
Voici en effet une implantation chrétienne particulièrement ancienne, mais une région qui se trouvera aussi au cœur des luttes religieuses de la seconde moitié du XVIe siècle : Calvin est à Poitiers en 1534, et la communauté protestante de la ville est l'une des trois premières de France au XVIe siècle -mais les
Protestants sont aussi présents à Chauvigny et à La Roche-Posay, c'est-à-dire non loin de Leignes.
L’église de Leignes est ravagée en 1567, mais,  partir de 1681, c'est la répression violente orchestrée par l'intendant Marcillac. Le protestantisme émigre ou se réfugie au «désert», et l'église de Leignes, entre autres, sera bientôt remise au culte catholique : c’est le P. Olivier Siret qui est curé au début du XVIIe siècle (1613).
Or, ce curé se considère réellement comme en terre de mission, et il travaille à parer son église de sentences gravées qui condamnent le protes-tantisme, qui exhortent à la piété ou encore qui donnent quelques notations à caractère historique. L'ensemble se place évidemment dans l’ordre de l’épigraphie, mais selon une logique qui s’assimile presque aux graffitis et autres inscriptions politiques qui se présentent notamment, jusqu'à aujourd'hui, sur les murs dans l’espace public.
On sait que le bâtiment de l’église marque le cœur de la vie de la paroisse sous l’Ancien Régime, et qu'il est le lieu en quelque sorte naturel des proclamations. Le P. Siret se sert de son église comme d’un véritable support pour publier une manière d’abrégé des principaux articles de la foi et un certain nombre d’autres sentences, tant en latin qu’en français.
Donnons quelques-unes de ces formules remarquables. À l’extérieur, près du porche: «Foy, Espérance, Charité» (cliché 1). Et encore une admonestation : «Te souvienne de la mo[r]r, du jugem[e]n[t], du paradis et de l’enfer» (cliché 2). À l’intérieur, quantité d’autres inscriptions, dont certaines font référence à l’histoire de l’église elle-même (par exemple: « Je fus ruynée l’an 1567 par les hérétiques …», cf. cliché 3).
L'église de Leignes nous fait repenser au célèbre passage de Notre-Dame de Paris où Victor Hugo compare la cathédrale à un livre de pierres. Elle confirme l'inadéquation de l'appellation comme "Bibles des pauvres" de livres qui, de fait, ne sont pas destinés aux "pauvres": le livre n'est pas une "Bible des pauvres", mais l'église l'est plus probablement comme livre. Enfin, cet exemple confirme aussi la complexité qui est celle des systèmes de la communication écrite dans les sociétés d'Ancien Régime, tout en appelant à s'interroger sur un certain nombre de problèmes plus précis -comme celui du taux d'alphabétisation et du niveau de pénétration par le livre dans la région considérée en ces débuts du XVIIe siècle.

2 commentaires:

  1. Je ne sais rien du taux d'alphabétisation de la paroisse en question, à l'époque, mais il ne devait certainement pas être négligeable, pour que le curé (?) se donne cette peine.
    A noter que le graveur nous donne un bel exemple de "calligraphie", par exemple sur le premier cliché, le A avec la barre, pour le N, ou le T et E confondus, ou le H avec sa belle jambe.

    RépondreSupprimer
  2. Vous avez, cher Monsieur (?), absolument raison, la question étant aussi celle de savoir si le curé gravait lui-même ou si, plus probablement, il faisait appel à quelque artisan. Mais on ne peut qu'être frappé par la qualité de la graphie. FB.

    RépondreSupprimer