jeudi 22 décembre 2011

La "Nef des fous", un livre de notre temps

Qui ne connaît le passage de Jean Paul, dans la Vie de Fixlein, où ce dernier se rit des «massorètes allemands». Les massorètes croient découvrir des significations cachées dans la statistique des textes, et ils comptent les lettres composant les livres sacrés. Ces opérations vaines sont susceptibles de développements infinis, et tout aussi vains, s'agissant de listes et d'états de toutes sortes:
 [Fixlein] prit place parmi les massorètes allemands. Il soulignait tout à fait justement dans sa préface que les Juifs pouvaient être fiers de leur masora, qui leur disait avec quelle fréquence chaque lettre se présentait dans leur Bible, par exemple l’aleph 42377 fois, combien il s’y trouve de versets où se rencontrent toutes les consonnes (il y en a 26) ou seulement 24 (il y en a 3), combien l’on avait de versets dans lesquels apparaissent jusqu’à 42 mots et 160 consonnes (il n’y en a qu’un, Jérém. XXI, 7), quelle est la lettre du milieu dans chacun des livres (dans le Pentateuque, IIIe livre, Moïse, XI, 42, c’est le noble «V») ou même dans toute la Bible. Mais nous autres Chrétiens, où pouvons-nous montrer un massorète semblable pour la Bible de Luther? A-t-on examiné avec précision quel est le mot du milieu ou quelle est la lettre du milieu, quelle en est la voyelle la plus rare ou la plus fréquente?
Mille amis de la Bible quittent ce monde sans savoir que le «A» allemand se rencontre 323015 fois dans leur Bible (soit sept fois de plus que dans la Bible hébraïque). Je souhaiterais que des érudits bibliques parmi mes critiques indiquassent publiquement s’ils trouvent ce nombre inexact après avoir vérifié de plus près [Note: On a accédé à cette demande à Erlangen. L’«Institut biblique» de cette ville trouva, au lieu des 116301 «A» que Fixlein prétendait avoir trouvé avec une telle certitude dans la Bible le chiffre susmentionné de 323015, ce qui (chose étrange) est la somme de toutes les lettres du Koran].

Non, la manie du classement et des statistiques ne concerne pas que l'économie (dont on nous démontre tous les jours depuis des années combien elle est une science exacte) et les célèbres agences de notation. Partout, on mesure, on trie, et surtout on classe, dans tous les domaines, y compris les domaines les plus éloignés et les plus inattendus.
il faut le revendiquer ici: il n'y a pas de raison pour que l'histoire du livre reste seule en retrait sur la route du progrès. En ce premier jour de l'hiver, nous pouvons nous aussi nous livrer à cette activité si fort à la mode dans les bureaux chargés de la «bonne gouvernance», notamment s'agissant de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique: la bibliométrie.
Car beaucoup d'entre nous se livrent déjà, et avec le plaisir que l'on devine, à la bibliométrie, qui remplissent périodiquement des formulaires leur demandant tous les six mois de préciser combien ils ont écrit de livres depuis trente ou quarante ans, publié d'articles, dans quelle langue, dans des revues de quel type (on classe aussi les revues, bien sûr), etc., sans oublier d'indiquer combien de fois ils sont cités par tel ou tel moteur de recherches dont les procédures sont aussi lumineuses que les résultats. La logique est celle du théorème de Mathieu: on ne prête qu'aux riches, si un livre est un best-seller, c'est qu'il est meilleur que les autres (chacun le sait), ou, sur Internet, si un site est plus fréquenté, c'est qu'il est plus intéressant (admettons), et surtout plus riche et plus fiable.
On le devine, il s'agit de fonder les jugements sur des données objectives et prétendument signifiantes: à quoi reconnaît-on un bon chercheur, ou un bon enseignant du supérieur dans le domaine des sciences humaines? Certes pas à l'objet de sa recherche, ni au contenu de ce qu'il écrit, ni même à son retentissement, mais à des indicateurs extérieurs créés à cet effet: une comptabilité médiocre, et dont les fondements mêmes ne sont rien moins que «scientifiques». Accessoirement (mais est-ce si accessoire?), la bibliométrie permet de trier sans connaître; et sans lire.
Les outils disponibles sur le blog permettent de se livrer sans risques à cette activité grisante, et, par exemple, d'établir en quelques «clics» une liste des billets qui ont été les plus lus au cours de l'automne passé. Nous publions ci-dessous les douze premiers titres qui ressortent, par ordre décroissant du nombre des visites (du plus élevé au moins élevé).
1- EPHE: programme des conférences
2- Qu’est-ce qu’une bibliothèque?
3- Histoire de l’histoire du livre
4- Histoire du livre scolaire
5- Histoire du livre et virtualité
6- Les bibliothèques: modernité du XVIIe siècle
7- Une thèse sur l’histoire de la reliure et des bibliothèques
8- L’identité visuelle des bibliothèques
9- Actes du symposium de Bucarest
10- Les origines de la seconde révolution du livre
11- Histoire du livre et pratiques de lecture: les lunettes
12- Condorcet et les idéologues
Il ne s'agit pas de nier l'apport réel de semblables outils: par exemple, dans notre cas, on ne peut qu'être frappé par le fait qu'un certain nombre des billets ainsi sélectionnés concerne les bibliothèques, pour lesquelles s'observe un vrai courant d'intérêt. De manière plus évidente, il y a une certaine corrélation entre la date de mise en ligne et le chiffre des visites. En principe, les billets les plus anciens sont les plus visités, mais ce n'est pas toujours le cas: un des derniers billets mis en ligne, en l'occurrence sur les lunettes, figure déjà dans la liste après quelques jours à peine.
Mais nous pourrions affiner la recherche: sans revenir à la masora, nous pourrions préciser combien de fois chaque billet a été consulté quel jour, à quelle heure du jour et de la nuit, dans quel pays, dans quelle ville (il y a aussi une corrélation entre la localisation et l'heure de consultation: on observe par exemple que les Américains visitent le site pendant que les Européens dorment, ce qui, au passage, semble confirmer le phénomène de rotation de la terre, et par suite le caractère scientifique de la méthode), etc.
Nous aurions pourtant scrupule à lasser le lecteur: concluons en rappelant simplement que l'on peut aussi lire les autres textes, et les autres livres, ceux qui ont moins de succès mais qui n'en sont pas nécessairement plus ou moins intéressants -et, parmi ceux-ci, la Vie de Fixlein figure en bonne place.
Quant à la Nef des fous, encore une fois elle n'a pas vraiment perdu de son actualité.

2 commentaires:

  1. chacun sait que la Terre est plate ! c'est un complot de nous faire croire qu'elle est ronde et qu'elle tourne. Et ce complot est vraiment très bien organisé, puisqu'il va jusqu'à truquer les statistiques des blogs...

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