Le dossier proposé par le premier numéro de la Revue de la BNU (printemps 2010) traite d’un sujet qui nous tient à cœur, à savoir «Bibliothèques et identité visuelle»: l'ensemble est dirigé par Christophe Didier, directeur du développement et des collections de la Bibliothèque.
Le premier article envisage le «Message de pierre de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg» (la BNU) : le titre est paradoxal, s’agissant précisément du message impérial allemand, à l’époque non pas de la BNU, mais de la «Bibliothèque impériale, universitaire et régionale». La localisation en ville de la nouvelle bibliothèque est très signifiante, puisque nous sommes au «cœur symbolique du (...) quartier élevé par les autorités allemandes». L’article revient surtout sur la décoration extérieure (statuaires et médaillons) du bâtiment, lequel a pour vocation d’être «parlant»: d’où des représentations des arts, des sciences et des techniques (celles-ci liées à la fabrication du livre), et surtout un programme iconographique associant de manière subtilement hiérarchisée les gloires universelles (Dante, Shakespeare…) et les illustrations allemandes (Lessing, Goethe, Schiller…), une place à part étant faite aux figures du nouveau Reichsland (Jean Sturm, Martin Schongauer, etc.).
Nous sommes devant un dispositif qui exalte d'autant plus la nationalité allemande qu'il lui donne une dimension humaniste et universelle. On pense naturellement au célèbre «catalogue de pierre» qui déroule ses volumina sur la façade de la bibliothèque parisienne de Sainte-Geneviève (on peut d’ailleurs à ce propos contester la chronologie proposée p. 7 du dossier, et qui fait du souci de l’identité visuelle un phénomène relevant surtout du XXe siècle, sinon même des années 2000).
La conférence d’histoire et civilisation du livre de l’Ecole pratique des Hautes Etudes a organisé en 2008 sa traditionnelle séance foraine à la Bibliothèque Carnegie de Reims, à laquelle est consacrée le deuxième article du dossier (par Matthieu Gerbaud). L’ancienne bibliothèque de Reims était abritée dans l’hôtel de ville, et a été détruite par un bombardement allemand en 1917: la bibliothèque nouvelle avait été à l’origine financée par un don de la Fondation Carnegie. Nous avions en effet été très frappé à la fois par l’originalité du programme architectural, et par la qualité de la réalisation d’une «bibliothèque art-déco» jusque dans le détail de la décoration et du mobilier. L’article présente le dossier avec précision, et il est agrémenté de superbes photographies.
Avouons notre stupéfaction à la lecture du troisième article, consacré à «Une certaine forme d’effacement» et au réaménagement intérieur de la BNU après 1945. La bibliothèque était une vitrine de l’Empire, elle n’est plus qu’une manière de bibliothèque universitaire à statut dérogatoire après la Première Guerre mondiale. Mais après la Seconde Guerre mondiale, l’administration ouvre les crédits pour une réfection complète du bâtiment, laquelle se traduit par «l’effacement (…) de toute la décoration allemande» (fresques et autres éléments décoratifs). L’auteur (Christophe Didier) souligne avec raison que nous sommes à l’époque du fonctionnalisme, mais aussi que les autorités centrales ne savent pas quel statut donner à cette «seconde BN». Sur place, le sentiment dominant va jusqu’à envisager «de démolir toutes les horreurs architecturales du temps allemand» en Alsace (cf. note 3, p. 33).
Nous sommes enchantés par l’article de Vera Trost sur la Bibliothèque actuelle du Bade-Wurtemberg à Stuttgart et sur sa décoration intérieure (bibliothèque avait elle aussi détruite en 1944…). Ce présent blog insistait sur l'évolution de la catégorie de «médiathèque» dans la langue française: nous passons d’une problématique du rattrapage (à l’époque de la troisième révolution du livre, les bibliothèques ne doivent pas apparaître comme des institutions du passé), à une problématique de la formation, du lien social et de l’espace public. L’article sur Stuttgart ne dit pas autre chose (cf. surtout p. 36), et en tire toutes les conséquences quant à l’inscription de la bibliothèque dans la ville.
Enfin, il y aurait beaucoup à dire sur l’«écriture dans l’espace public» –les tags et autres inscriptions «sauvages», les panneaux officiels, la publicité, sans parler des murs peints, etc. La Médiathèque (sic!) André Malraux de Strasbourg se signale pourtant par la présence en façade de «phrases tronquées [et] pourfendues (…) interpellant le visiteur» (brefs articles d’Agathe Bischoff-Morales et de Thibault Fourrier). Le dossier se referme par un passionnant entretien avec Nicolas Michelin (agence d’architecture et d’urbanisme Nicolas Michelin, chargée de la restructuration du bâtiment principal de la BNU): les commentaires de Nicolas Michelin sur la nécessaire qualité du programme (ce qui n'est pas toujours le cas...) et sur sa non moins nécessaire adéquation à la fonction du bâtiment (ce qui n'est pas non plus toujours le cas...), ne peuvent que nous faire attendre avec quelque impatience l’ouverture de la nouvelle BNU prévue en 2014.
Clichés: 1- La BNU en travaux, septembre 2011. 2- Qualité de la construction de la Bibliothèque Carnegie de Reims (clichés FB).
On peut aussi signaler la bibliothèque du Patrimoine de la ville de Toulouse, née avec d'autres services publiques (piscine, écoles etc.) au fil d'un programme de "mens sana in corpore sano". Elle aussi a été conçue à partir des murs jusqu'au mobilier. Resaturée il y a quelques années, le mobilier de l'époque a disparu. Mais il reste une salle envahie (enfin!) par une superbe lumière, un dome plein de couleurs, une décoration aussi soignée qu'agréable, un clocher roman qui semble quasiment possible de toucher juste audelà d'une vitre: un lieux où vivre est beau, étudier encore plus.
RépondreSupprimerLivia Castelli