mercredi 30 janvier 2013

Aux origines de la théorie de l'indo-européen?

Voici un livre qui nous fera voyager sur des routes auxquelles nous ne nous serions pas attendus –les Pays-Bas, certes, et Leyde, mais moins la Perse mentionnée par le titre, que les caravelles portugaises sur la route des Indes orientales, et le nouvel empire de la dynastie mogole à Dehli. Il s’agit de:
Historia Christi persice conscripta [Dāstān-i Masīḥ], simulque multis modis contaminata, a P. Hieronymo Xavier [Jeronimo Javier], Soc. Jesu latine reddita & Animadversionibis notata a Ludovico de Dieu [Lodewijk de Dieu], Lugduni Batavorum [Leyde], Ex Officina Elzeviriana, 1639, [24-]636-[4] p., 4°. Titre impr. en rouge et noir.
Réf. : Willems, 490.
L’Iran est trop souvent cité par une actualité immédiate et pas toujours positive, pour ne pas revenir sur la très riche tradition historique de ce pays. De la Mésopotamie à l’Indus, royaumes et dominations se succèdent après la dislocation très rapide de l’empire d’Alexandre: ce sont notamment les Parthes, qui écraseront les légions de Crassus, et dont le royaume marquera longtemps les bornes de la domination romaine. L’empire des Perses sassanides reste l’adversaire le plus puissant de Rome au IIIe siècle de notre ère.
C’est peu de dire que nous sommes ici dans un creuset sur les plans religieux et intellectuel: les Perses tiennent une partie de la route de la soie, ils connaissent les cultures grecque et arménienne à l’ouest, mais ils sont aussi en contact direct avec les cultures nomades des steppes, et avec celles des royaumes indiens. La religion d’État est celle de Zarathoustra au IIIe siècle, mais d’autres doctrines circulent aussi, tandis que l’Asie mineure, la Syrie et une partie de la Mésopotamie sont christianisées.
Au VIIe siècle, la Perse est conquise par les Arabes, jusqu’à l’Asie centrale (Boukhara et Samarcande) et à l’Indus. Bientôt pourtant, ce sera la dislocation de l’empire arabe et la formation d’ensembles pratiquement indépendants. L’empire persan chiite des Safawides s’organise au tournant du XVIe siècle, et il se poursuivra jusque dans les premières décennies du XVIIIe siècle. Pour autant, la connaissance de la tradition littéraire perse, puis arabo-persane, se fera aussi par des biais indirects, et notamment par l’Inde.
Alors que les Portugais étendent leur commerce à partir des échelles de Cochin, de Calicut et de Goa, nous sommes en Inde du Nord au XVIe siècle, à l’époque du premier empire mogol, organisé autour de Dehli. Les missionnaires occidentaux arrivent dans le sillage des explorateurs et des marchands: Ignace de Loyola lui-même envoie son fils, François Xavier, à Goa en 1542. Celui-ci y prend la responsabilité du collège Saint-Paul, mais il conduit aussi une activité missionnaire qui l’amènera jusqu’au Japon et en Chine.
La seconde moitié du XVIe siècle est pratiquement toute placée sous le règne de Jalaluddin Muhammad Akbar à Dehli (1556-1605): l’empereur est un politique très habile, et un esprit curieux, qui favorise la tolérance, voire le syncrétisme. On sait que la pratique des jésuites était de convertir les souverains et autres grands personnages, de manière à favoriser l’évangélisation: plusieurs missions sont dépêchées de Goa à la cour de Dehli, où elles trouvent bon accueil, mais où les préférences de l’empereur expliquent leur échec final. Parallèlement, les jésuites mènent des enquêtes scientifiques, dans les domaines de la géographie et de l’histoire, mais aussi de la philologie, voire de l’histoire naturelle (cf un exemple sur le Japon).
Arrière petit-neveu d’Ignace de Loyola, Jeronimo Javier appartient donc lui aussi à la noblesse de Navarre. Après ses études à Alcalá, il est reçu dans la Compagnie en 1568: sa carrière se déroulera en Inde, notamment à Goa et à Cochin, et comme missionnaire à la cour mogole (1595). Si l’empereur autorise la fondation de collèges dans le nord (Agra, Lahore), il demande aussi au savant jésuite de lui fournir une vie du Christ en persan, pour laquelle celui-ci réunit un certain nombre de sources originales. Ce travail est achevé en 1617 (cf. p. 536).
C’est ce texte qui parvient sous les yeux des savants orientalistes de Leyde. Nous n’avons pas à revenir ici sur l’histoire de la philologie dans la nouvelle université, où elle est illustrée au début du XVIIe siècle par l’enseignement de Thomas Van Erpe (Erpenius, † 1624), puis de son successeur Jacob Van Gool (Golius). Parmi les jeunes gens travaillant ou séjournant alors à Leyde, on trouve Johann Elichmann († 1639), médecin de formation, mais qui jouera un rôle clé dans les premiers développements de la linguistique comparée en théorisant le rapprochement entre l’allemand et le persan: ce sera la théorie faisant du scythe la matrice des différentes langues postérieures, théorie d’où naîtra l’étude de l’indo-européen.
Élève de Van Gool, Elichmann est un linguiste de première force, qui connaissait seize langues et qui s’était constitué une bibliothèque remarquable. Van Gool possédait un manuscrit donnant le texte d’une Histoire du Christ en perse, qu'il remet à Elichmann: celui-ci le prête à son ami Louis de Dieu (1590-1642), qu’il aide en outre pour le travail d’édition et de traduction en latin. L’édition imprimée donnée par les Elzevier à Leyde en 1639 est dédiée par Louis de Dieu au Sénat de Flessingue (Vlissingen). Elle présente les textes arabo-persan et latin alternativement en regard l’un de l’autre. Le texte principal est suivi par des observations critiques (Animadversiones) et par la table des matières.
Nombre d’exemplaires conservés sont par ailleurs constitués en recueil, dans lesquels on trouve à la fin l’Histoire de saint Pierre en perse, également traduite en latin par Louis de Dieu, puis des Observations sur ce texte, et enfin un rapport sur les activités des jésuites à la cour du Grand Mogol.
Rappelons que Van Erpe avait favorisé la typographie arabe non seulement en faisant graver et fondre des caractères dans cette écriture, mais en installant une imprimerie dans sa propre maison. Ce sont apparemment ces caractères qui seraient repris par les Elzevier (Balagna, p. 65), et que nous retrouvons donc dans notre édition.

Josée Balagna, L’Imprimerie arabe en Occident (XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles), Paris, Maisonneuve et Larose, 1984.
Voir aussi: L'Europe des humanistes (Paris, CNRS Éd., 2003), aux différents noms cités. Stad van boeken. Handschrift en druk in Leiden, 1260-2000, Leiden, 2008. La bibliothèque de Elichmann a fait l'objet d'un catalogue de vente bientôt célèbre et considéré comme un usuel par les spécialistes: Catalogus variorum (...) librorum (...) D. Johannis Elichmanni (...) qui vendentur in ædibus Francisci Haccki..., Amsterdam, J. Jansonius, 1640.

Note. Notre savant collègue et ami Monsieur Otto Lankhorst nous écrit aujourd'hui (31 janvier) de Nimègue: 
Je trouve dans (...) Jesuit books in the Low countries 1540-1773. A selection from the Maurits Sabbe Library (Leuven 2009) p. 96-99 une description du livre (...). Je cite, pp. 96-97: “Xavier presented his book, Mir’atu ‘l-quds ya’ni dastan-i h azrat-i ‘isa (“The Mirror of Holiness, i.e., the Life of the Lord Jesus”) to Akbar, having accomplished it in 1602. Besides an anthology of gospel texts covering the infancy, miracles, death and Resurrection of Jesus Christ, the work exhibits a few popular legends. The treatise, originally written in Portugese, was translated with the collaboration of a native speaker. Seventeen extant  manuscripts testify to the popularity the work enjoyed at the Mogul court. The Dutch Protestant Lodewijk (Louis, Ludovicus) de Dieu, having been able to lay hands on one of these manuscripts in 1635, decided to publish an edition of the Persian text, with interfacing Latin translation and annotations”.

dimanche 27 janvier 2013

Conférence d'histoire du livre


École pratique des hautes études,
IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre



Lundi 28 janvier 2013
16h-18h

Corporations du livre, vie des ateliers

et main-d'œuvre typographique sous l'Ancien Régime (1),
par
Monsieur Jean-Dominique Mellot,

conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France



Nota: La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2011-2012.

Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

jeudi 24 janvier 2013

Conférence d'histoire du livre

Qui écrit?
Regards croisés sur le livre, XVIe - XVIIIe siècle
Séminaire 2012-2013

La prochaine séance du séminaire aura lieu
le mercredi 23 janvier
à 17h

Nora Viet, Université de Clermont-Ferrand
«Esopus auctor pluralis»
Partage de l’auctorialité dans les fabliers humanistes de la première Renaissance

La séance a lieu à l'École normale supérieure de Lyon, site Descartes
15, parvis Descartes
métro Gerland
salle F05

Entrée libre sans inscription

Martine Furno, Raphaële Mouren


Les Actes du séminaire 2007-2011 viennent de paraître:
Auteur, traducteur, collaborateur, imprimeur... qui écrit?
sous la direction de Martine Furno et Raphaële Mouren
Paris, Classiques Garnier, 2013, 329 p.

dimanche 20 janvier 2013

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 21 janvier 2013
16h-18h
Introduction à l'histoire du (livre au) Brésil
par 
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études
Historia naturalis Brasiliae, Leiden, Amsterdam, Elzevier, 1648
Nota: La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2012-2013.
Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

jeudi 17 janvier 2013

À la découverte (par erreur!) du Nouveau Monde

La conférence d’Histoire et civilisation du livre de l’École pratique des Hautes Études (IVe Section) ouvrira, le lundi 21 janvier prochain, une série de cinq conférences consacrées à l’histoire du livre au Brésil. La conférence a été et reste trop attirée par un tropisme oriental (l’Europe centrale et orientale), pour ne pas regarder comme très heureuse l’occasion qui lui est ainsi offerte de renverser son horizon.
À Belem, près de Lisbonne, la représentation d'une caravelle
La première séance constituera une séance d’«Introduction à l’histoire du (livre au) Brésil». Elle aura pour objet de familiariser les auditeurs avec une géographie et une chronologie souvent mal connues de nos concitoyens. Les quatre conférences suivantes porteront spécifiquement sur l’histoire brésilienne du livre, et seront tenues par Madame Marisa Midori De Aecto, professeur d’histoire du livre à l’université fédérale de São Paulo, directeur d'études invité étranger à l'École pratique des Hautes Études.
Nous envisagerons notamment, au titre de l’introduction, la problématique des découvertes, elles-mêmes étroitement liées à la connaissance livresque. L’œuvre de Ptolémée d’Alexandrie était évidemment connue des Byzantins, mais aussi des Arabes, et elle est traduite en arabe au IXe siècle. Les curiosités nouvelles pour la Grèce antique font qu’un manuscrit grec de Ptolémée est apporté de Constantinople à Florence au début du XIVe siècle. Il est traduit en latin par Jacobus de Angelo, et les copies se multiplient rapidement. Dans le même temps, Pierre d’Ailly rédige son Imago mundi (L'Image du monde), elle aussi appelée à un grand succès.
Les Indes rêvées déduites des constructions de Ptolémée
Or, pour Ptolémée, qui reprend l’enseignement d’Aristote, l’univers tourne autour de la terre, laquelle est effectivement sphérique, mais fixe. L’influence du savant d’Alexandrie, par le biais du livre, est absolument considérable: outre les manuscrits, la première édition imprimée de la Cosmographie sera donnée en latin à Vicence dès 1475, mais sans cartes. Six autres suivront jusqu’à la fin du XVe siècle, dont celles de Bologne (1477) et d’Ulm (1482), la première d’Allemagne à être illustrée de cartes gravée (Claudius Ptolemaeus, Cosmographiae liber…, Ulm, Leonardus Hol, 1482).
Les éditions de John of Hollywood (Johannes de Sacro Bosco) et de Hartmann Schedel sont elles aussi illustrées de gravures représentant des sphères construites d’après les conceptions aristotélo–ptolémaïques (Hartmann Schedel, Liber chronicarum, Nürnberg, Anton Koberger, 1493). Au XVe siècle, l’idée de la sphéricité de la terre est admise, d’où se déduit l’hypothèse qui consiste à gagner l’Orient (Indes orientales, Chine et Japon) en partant vers l’ouest. C’est ce principe que Christophe Colomb met en œuvre lorsque, après plusieurs tentatives pour monter une expédition, il quitte Palos, le 3 août 1492, pour son grand voyage de découverte.
Mais de découverte, il n’est pas immédiatement question, même quand on prend pied dans le Nouveau Monde. Les conceptions ptoléméennes ont en effet pour résultat de surestimer considérablement la masse représentée par le continent eurasiatique (qui s’étendrait sur quelque 180° de longitude). Par suite, lorsque Colomb, après quelque deux mois d'une très brillante navigation, débarque dans les Bahamas, il croit avoir déjà dépassé... la position du Japon, qu’il cherchera un temps en revenant vers l’est, à partir de Cuba (cf cliché 2, et note infra).
De Insulis nuper in mare Indico repertis
Pour autant, l’idée que les «îles récemment découvertes» constituent un bloc de terres nouvelles, dont la position et la structure restent pratiquement tout à préciser, est déjà implicite dans la Lettre de l’amiral, publiée à Barcelone dès 1493 et rééditée ou traduite au moins neuf fois à la période incunable (par ex. De Insulis nuper in mari Indico repertis, Basel, Johann Bergmann, de Olpe, 1494).
En 1507 enfin, à Saint-Dié, Conrad Waldseemüller (1470-1518) publie sa Cosmographie, où il désigne du nom d’Amérique le nouveau continent. Le même donne à Strasbourg en 1513 une carte du Nouveau Monde (Tabula terrae novae) dans une traduction de Ptolémée, puis, trois ans plus tard, un atlas maritime de douze planches gravées (Carta marina) précisant l’état des connaissances à cette date (Strasbourg, Johann Grüninger, 1516).
Quant à la découverte du Brésil lui-même… nous en reparlerons le 21.

Note sur le cliché 2. La carte représente, en fond, la position réelle des continents; en surimpression, la position des continents d'après la mappemonde de Martin Behaim (1492), donc à la veille de la découverte de l'Amérique: on reconnaît le Japon (Cipango), l'archipel des Philippines (à hauteur de l'Amérique du sud), et l'Extrême-Orient asiatique (Source: Atlas historico de la América del Descubrimiento, Madrid, 2004, p. 60).

dimanche 13 janvier 2013

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 14 janvier 2013
16h-18h
Des objets… et des livres
La tradition du musée et de la bibliothèque, des origines à l’époque moderne


Aux portes d'Innsbruck, le château d'Ambras abritait les collections de Ferdinand II de Habsbourg
Nota: La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2012-2013.
Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).
 
…et, pour changer encore une fois de sujet (et bien commencer l'année), partons faire un petit tour à la montagne.

jeudi 10 janvier 2013

Homme de guerre, homme de plume: Blaise de Monluc

Lui-même le proclame volontiers, et à un certain nombre de reprises: né au tout début du XVIe siècle et mort en 1577, Blaise de Monluc est un gascon, né dans une famille noble, mais sans aucune fortune, à Saint-Puy, une bourgade des environs de Condom. Ils sont une douzaine de frères et sœurs et, quoique l’aîné, Monluc doit bientôt quitter son pays pour chercher fortune auprès des grands: tout jeune, le voici page à la cour du duc de Lorraine à Nancy, avant d’entrer sous les armes, où il fera dès lors toute sa carrière.
Ce gascon bientôt passé au service du roi (on sait comment l'image du jeune noble gascon deviendra cliché sous la plume des romanciers du XIXe siècle) devient en effet un homme de guerre, ce à quoi correspond indiscutablement sa vocation: il guerroie en effet sans cesse, sur les frontières du royaume, en Artois, dans le nord ou sur les Pyrénées, il est à plusieurs reprises en Italie, mais il combat aussi, après 1561, contre les Huguenots dans le sud ouest de la France. Parcourir les Commentaires en témoigne éloquemment: Monluc est homme d’action, constamment sur la brèche, qui commence comme simple «archer» mais sera fait chevalier de Saint-Michel et finira maréchal de France.
Rien de surprenant, on s'en doute, si cet homme d’action n’est pas un grand lecteur. Pourtant, le livre apparaît à plusieurs reprises dans ses Commentaires. Pour Monluc, le modèle absolu est celui des grands hommes de l’Antiquité romaine, dont on devra s'efforcer de copier la conduite :
Il me sembloit, lorsque je me faisois lire Tite-Live, que je voyois en vie ces braves Scipions, Catons et Césars; et quand j’estois à Rome, voyant le Capitolle, me ressouvenant de ce que je j’avois ouy dire (car de moy j’estois un mauvais lecteur), il me sembloit que je devois trouver là les anciens Romains… (p. 341).
Très certainement, le Tite-Live de Monluc est une traduction française; mais on appréciera aussi la mention selon laquelle le futur maréchal déclare de lui-même être «un mauvais lecteur» et préférer, selon la tradition, se faire lire par quelque secrétaire. À côté des grandes figures de l’époque classique, un autre modèle de textes littéraires est également volontiers lu et relu, celui des romans de chevalerie. Monluc rapporte, il est vrai pour la critiquer, l’habitude de ce gouverneur qui
deux heures par jour s’enfermoit dans son cabinet, feignant quelque dépesche d’importance, mais c’estoit pour lire Rolland le Furieux en italien. Son secrétaire mesme nous le disoit, ce qui faisoit despiter car ce pendant nous étions à arpenter sa salle ou sa court, en attendant d’être reçus (p. 346).
Blaise de Monluc, "Portraits dessinés de la cour de France", BnF, Paris
Le deuxième problème intéressant l'historien du livre et la problématique de la communication est celui des langues. Dans ces deux premiers tiers du XVIe siècle, les troupes au service des différents protagonistes mêlent les nationalités: on trouve des Français et des Italiens, mais aussi des Allemands, des Espagnols, des Albanais et des «Grisons» –entendons, des Suisses habitants des Grisons et longtemps alliés de la France. Le tout sans préjudice des patois, puisque Monluc, par exemple, parlait très certainement aussi le gascon, ce qui l’aura peut-être aidé pour apprendre l’italien. Il explique en revanche lui-même qu'il ne parlait pas allemand, et devait faire appel à des interprètes pour s’adresser aux officiers et aux troupes placées sous ses ordres (par ex.: «Parce que les Allemands n’entendoient point mon jargon, je dis au truchement du Reincroc…» (p. 278): il s'agit de l'interprète du colonel allemand Georg Reckenrot, lequel inversement ne parle pas français (p. 293, et p. 299)).
En revanche, Monluc connaît l’italien, qu’il a appris dans les camps, et il le parle même assez couramment pour tenir de longues harangues dans cette langue, harangues qui lui permettent à plusieurs reprises d’emporter la décision. Ainsi à Sienne, quand il s’agit de conforter la résistance des habitants face à un siège de plus en plus dur:
Je me rendis au Palais environ les neuf heures, et alors commençay à leur dire en italien, lequel je parlois mieux qu’à présent je ne sçaurois escrire. Voilà pourquoy je l’ai couché en françois, afin aussi que les gentils-hommes gascons, qui n’entendent guières ce langage et qui liront, comme je m’asseure, mon livre, n’ayent la peine de se le faire interpréter, me ressouvenant à peu près de ce que je leur dis; et croy certes que je n’y manque pas dix mots, car tout mon faict estoit autant que la nature m’en avoit peu apprendre sans nul art (p. 267).
Troisième et dernier point: si Monluc n’est pas un lecteur, il est finalement un auteur. Affreusement défiguré par une blessure et enfin retiré dans son château d'Estillac, le voici qui rédige, ou plutôt qui dicte, des Commentaires –le titre porte à nouveau témoignage de la fascination du vieux soldat pour le modèle antique. Ne nous arrêtons pas sur l’histoire éditoriale du texte, ni sur les conditions de sa rédaction: Monluc était en disgrâce, et cherchait aussi à se justifier. Mais soulignons simplement le fait que l’auteur poursuit, avec son livre, deux objectifs majeurs.
Le premier est celui de l’enseignement, dans la mesure où il s’adresse avant tout aux «capitaines ses compagnons (…) qui [lui] feront cest honneur que de [le] lire» (p. 339). Il souhaite les faire profiter de son expérience. Une justification supplémentaire réside dans la véracité des faits rapportés, dans la mesure où, Monluc le dit à plusieurs reprises, il ne traite que de ce qu’il a vu personnellement. Pour lui, les historiens non militaires seraient plus enclins à accommoder le texte en fonction de la rhétorique:
Pleust à Dieu que nous qui portons les armes, prinsions ceste coustume d’escrire ce que nous voyons et faisons! Car il me semble que cela seroit mieux accomodé de nostre main (j’entends du faict de la guerre) que non pas des gens de lettres; car ils desguisent trop les choses, et cela sent son clerc. Lisez donc ces livres, et songez en vous mesmes: «Si je fais comme Antoine de Lève à Pavie [suivent plusieurs autres exemples], que dira-t-on de moy, quel honneur rapporteray-je à ma maison!»… (p. 340).
C'est là le deuxième argument de Monluc, celui de la gloire et de l’honneur: il s’agit de fournir en exemples ceux qui nous suivent (une des formules favorites de l’auteur est celle du «bel exemple»), de manière à les encourager à vivre dans la fidélité à leurs engagements (et d'abord dans la fidélité au roi), et à perpétuer ainsi le renom de leur lignée (p. 341). Pour un soldat aussi, l’écriture, dans ces années 1570, se fait substitut de l’action.
Mais Monluc, qui n’est pas d'abord un homme de plume, ne sera finalement pas vraiment non plus un homme du livre: il décède trop tôt, et son texte sortira que de manière posthume, à Bordeaux en 1592.

Blaise de Monluc, Commentaires, éd. Florimond de Raemond, Bordeaux, Simon Millanges, 1592.
Blaise de Monluc, Commentaires, éd. Paul Courteault, préf. Jean Giono, Paris, Gallimard, 1964 (édition à laquelle renvoient nos indications de pagination).

dimanche 6 janvier 2013

Nouvelle publication sur les imprimeurs lyonnais

La tradition française est celle d’associer étroitement, dans l’enseignement, l’histoire et la géographie, et nous pensons que c’est là une tradition heureuse. Heureuse, du moins, à supposer que les deux domaines aient pu conserver un certain contenu, et échapper (mais par quel miracle auraient-ils pu y échapper?) aux vagues successives de réformes et de remises à niveau, ou de modernisation, des programmes. Il est en effet très difficile, voire impossible, de s’opposer à la marée bureaucratique et aux effets de mode, comme en témoigne éloquemment une lettre de Georges Pompidou, alors pourtant président de la République, à son ami Robert Pujol, en 1971 (déjà!):
Ce que tu me dis de l’enseignement du français ne m’étonne pas. (…) J’ai essayé d’obtenir [du ministre] qu’on soit raisonnable, et il m’a promis que sa circulaire (prochaine) le serait. C’est bien beau d’être moderne, mais encore faut-il apprendre les bases… (cf. réf. infra).
Les meilleures intentions du monde ne font apparemment pas les meilleurs programmes...
Mais là n’est pas notre propos d'aujourd'hui (même si nous aurions beaucoup à dire). Si la combinaison de l’histoire et de la géographie nous semble effectivement heureuse, c’est parce que la chronologie –le déroulement du temps– se donne aussi à lire dans la géographie, à quelque échelle que ce soit, de la nation à la province, au canton, à la ville, au quartier, au bourg (avec son château!), etc. L’un de ses grands plaisirs reste pour l’historien, qui est en même temps un amateur (au sens étymologique du terme: qui aime), celui d’aller à la découverte d’un espace dans lequel il apprend à reconnaître les traces du passé, toujours apparentes dans un présent auxquelles elles sembleraient parfois pourtant bien étrangères.
Le petit guide Sur les pas des imprimeurs lyonnais, récemment publié par Sheza Moledina, docteur de l’EPHE, dans les collections du Musée de l’imprimerie de Lyon, ne nous propose pas autre chose qu’une promenade sans prétention, mais réellement savante, dans la capitale des Gaules, à la recherche des imprimeurs et des libraires de ces six derniers siècles.
L’ouvrage s’ouvre par un plan de la presqu’île, qui a regroupé l’essentiel des activités du livre lyonnais depuis le XVe siècle. Puis il développe un plan chronologique organisé en chapitres très courts : «Lyon à la Renaissance», «Le quartier des imprimeurs», «Barthélemy Buyer et les débuts de l’imprimerie à Lyon», «Constitution d’un corps de métier», «Les premiers ateliers d’imprimerie à Lyon» présentent en deux douzaines de pages environ les débuts lyonnais de la nouvelle activité. L’auteur nous conduit ensuite de l’humanisme lyonnais aux premières (et célèbres) grèves des années 1539-1541, à la topographie urbaine, aux grandes figures de Rabelais, de Gryphe et de Dolet, à la crise religieuse, à l’activité des jésuites, aux contrefacteurs lyonnais de l’âge des Lumières, etc. Le livre se termine sur l’invention de la lumitype («La lumitype: une invention lyonnaise», p. 89-93), avant de se refermer sur une brève mais précieuse bibliographie.
Voici donc un volume dont nous ne pouvons qu’espérer qu’il inspire d’autres publications analogues. L’illustration est non seulement élégante, mais souvent très pertinente (la marque du graveur et éditeur d’estampes Jacques Fornazéris, toujours visible sur le linteau d’une porte de la rue Mercière, p. 15!). Si l’ampleur réduite du volume (moins de cent pages) interdit évidemment d’aborder tous les sujets, on n’en apprécie pas moins la réussite de l’entreprise. Le petit format invite à la promenade (c'est vraiment «un livre de poche»), le prix reste tout à fait raisonnable, et la réalisation matérielle est de très bonne facture. Enfin, rien n’interdit de prolonger l’excursion en visitant, bien sûr… le Musée de l’imprimerie de Lyon.

Georges Pompidou, Lettres, notes et portraits, 1928-1974, Paris, Robert Laffont, 2012, p. 445.
Sheza Moledina, Sur les pas des imprimeurs lyonnais, collab. Christiane Partensky, Pierre Janin, Nicole Dejean, Marie-Odile de Curraize, Guy Parguez, Régis Neyret, Lyon, Éd. LivresEMCC, 2012, 96 p., ill. ISBN 978-2-35740-251-5.

jeudi 3 janvier 2013

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 7 janvier 2013
16h-18h
Des objets… et des livres
La tradition du musée et de la bibliothèque, des origines à l’époque moderne
 

par 
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études

Les origines du Musée, alias la «Maison des Muses», sont connues de tous: il s’agit du Musée fondé par Ptolémée Ier dans sa capitale d’Alexandrie. Le Musée regroupe une bibliothèque à vocation universelle et des collections d’art, le tout couplé avec un collège de savants et, très probablement, avec des édifices cultuels. Le prestige d’Alexandrie est tel, dès l’Antiquité, que l’institution aurait notamment été reproduite à Pergame, alors capitale des Attalides.
Car le Musée de Ptolémée accède bientôt au rang de mythe, et sa destruction totale rajoute paradoxalement encore à ce statut. Un très grand nombre de notices historiques relatives à telle ou telle grande bibliothèque de l’époque moderne –c’est notamment le cas de la Bibliothèque royale de France– font référence au «Musée», dont l’institution décrite se veut le successeur privilégié dans une logique de translatio imperii et studii.
Le principe de jumeler musée, au sens actuel du terme (donc, le plus généralement collection d’objets d’art), et bibliothèque, perdure de fait jusqu’à l’époque contemporaine. Du Louvre de Charles V à la Prague de Rodolphe de Habsbourg, puis à la Bibliothèque du roi, à celle de Genève ou encore à celle de Besançon, la conférence examinera les avatars successifs du «Musée» en articulation avec les livres et avec la collection de livres. Le modèle est d'abord celui du «trésor» princier, puis du studiolo et de la «chambre de merveilles» (Kunst- u. Wunderkammer), pour passer ensuite au «cabinet de curiosités», et finir avec la bibliothèque moderne. Outre les fresques, les tableaux (souvent des portraits) et les bustes (cf. cliché), la bibliothèque intègre souvent un certain nombre de collections ou de départements spécialisés, comme les Cartes et plans, et surtout les Monnaies et médailles.
En conclusion, nous évoquerons la manière dont cette problématique se trouve très profondément réorientée à l’époque de la Révolution.


Cliché : «Grande salle de la Bibliothèque au Collège Calvin», aquarelle de Jean-Jacques Dériaz, 1872 (© Bibliothèque de Genève, Tab. 201). Un autre exemple est donné par une toile représentant la Bibliothèque de Dole également dans les premières décennies du XIXe siècle.
 
Nota: La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2012-2013.
Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

 
…et, pour changer un instant de sujet (et pour bien commencer l'année), partons faire un petit tour à la montagne.