mardi 29 juin 2010

L'héritage de la Révolution

Après la chute de Rome, la civilisation livresque ne réapparaît pratiquement en Alsace qu'avec  la christianisation et la fondation des grandes maisons religieuses des VIIe et VIIIe siècles, notamment Munster et Murbach, cette dernière fondée par saint Pirmin en 727. Mais pour l'historien du livre, la vallée du Rhin marque surtout, au XVe siècle, l'épicentre de l'innovation technique en matière de "médias": l'imprimerie en caractères mobile est mise en œuvre pour la première fois par Gutenberg entre Strasbourg et Mayence dans les années 1452. L'axe qui court de Bâle à Cologne et aux Pays-Bas est alors une des région les plus modernes d'Europe, associant densité démographique, présence de nombreuses villes, importance des activités économiques et des échanges commerciaux, et vie intellectuelle intense. C'est aussi une géographie stratégique, disputée entre le royaume de France et le Saint-Empire, aux portes de la Lorraine et des cantons suisses, et un temps convoitée par le "grand duc d'Occident", le duc de Bourgogne.
La rive gauche du Rhin est alors très morcelée sur le plan politique, entre les Habsbourg et les seigneurs de moindre importance, l'évêché de Strasbourg et les villes libres d'Empire. La Décapole réunit depuis le milieu du XIVe siècle dix villes d'Alsace, dont Colmar, en une ligue politique, militaire et financière. Aujourd'hui, Colmar est une ville de près de 70000 habitants, célèbre pour son centre ancien et pour son Musée Unterlinden. Mais Colmar abrite aussi une institution exceptionnelle pour une ville de cette importance. Rien de surprenant en effet si la Bibliothèque, héritière d'une tradition prestigieuse, apparaisse comme l'une des plus riches de France pour ses fonds patrimoniaux. La centrale est installée dans l'ancien couvent fondé par les dominicains dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Les bâtiments conventuels eux-mêmes, organisés autour d'un beau cloître, ont été pour l'essentiel reconstruits en 1733-1742 (cf cliché ci-dessus).
La Bibliothèque conserve depuis la Révolution les fonds des abbayes bénédictines de Murbach et de Munster, ainsi que de plusieurs autres maisons religieuses, dont les cisterciens de Pairis et les jésuites d'Ensisheim. Parmi les fonds laïques, l'un des plus importants est celui des comtes de Ribeaupierre, mais les dons se succèdent aux XIXe et XXe siècles - dont la bibliothèque d'Ignace Chauffour (†1879), très riche en pièces intéressant Colmar et l'Alsace. Le legs de la famille hongroise des barons Szendeffy est plus récent. Un certain nombre de ces fonds ont conservé leur autonomie au sein des collections, tandis que, comme à la BNU de Strasbourg, un ensemble spécifique a été constitué pour réunir les Alsatica, la plupart reliés en rouge (cf ci-contre).
Les collections ont connu un certain nombre de déménagements depuis le début du XIXe siècle avant leur installation dans les locaux actuels en 1951. La destruction de la Bibliothèque de Strasbourg au cours du bombardement de cette ville en 1870 poussera les autorités allemandes à reconstituer un fonds ancien dans la capitale du nouveau Reichsland: Colmar cède alors près de 500 incunables et ouvrages du XVIe siècle. Mais, malgré les multiples avatars de l'histoire, la Bibliothèque de Colmar conserve aujourd'hui environ 1200 manuscrits, et surtout 2700 incunables et quelques 120000 volumes antérieurs à 1918. Cette richesse unique en fait un véritable musée du livre et de la civilisation écrite - un musée malheureusement surtout virtuel, jusqu'à présent.
Bien entendu, les anciens locaux des Dominicains sont à certains égards mal adaptés pour accueillir une bibliothèque moderne, mais ils ont été aménagés de la manière la plus rationnelle, notamment pour les magasins à livres. La Bibliothèque, à laquelle sont jointes les Archives  anciennes, dispose aussi d'un service propre de reliure. Le problème est moins dans le caractère plus ou moins approprié de locaux historiques par ailleurs très agréables et idéalement situés au cœur de la vieille ville, que dans la confusion des fonctions qui est une part de l'héritage révolutionnaire.
La Bibliothèque, comme nombre de bibliothèques municipales en France, est une institution patrimoniale: au couvent des Dominicains, c'est une part essentielle de la mémoire de la ville et de la région qui est aujourd'hui conservée. Elle sert en outre, comme il est logique, de bibliothèque d'études - pratiquement, de bibliothèque universitaire. Mais elle doit aussi remplir toutes les fonctions d'une bibliothèque de lecture publique, activité qui s'est considérablement, et heureusement, développée en France depuis un certain nombre d'années. La faiblesse des moyens en personnel scientifique (sur laquelle il y aurait beaucoup à dire...) complique encore la tâche, dans un espace définitivement trop étroit.
La solution la plus rationnelle viendra de la distinction efficace des fonctions, comme cela se fait par exemple à Bâle: conservation, étude et consultation aux Dominicains, et centrale de lecture publique dans un autre bâtiment, mieux adapté et de taille suffisante. La valorisation des fonds patrimoniaux pourrait alors s'accompagner, comme c'est le projet à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, d'une véritable "mise en scène" que le cadre et la richesse de la Bibliothèque de Colmar rendraient particulièrement spectaculaire.
Clichés: 1) Cloître des Dominicains; 2) Tableau des donateurs; 3) Magasin à livres: partie des Alsatica; 4) Mention d'achat avec prix, 1497: "Paiez por lezdits II [2] livre sy devant XVII sous. Et pour le reliage ainssy qu'il est VI sous. Le Xe jour de mars l'an IIII XX [quatre-vingts] et XVII".

Note bibliogr.: Exposition. Trésors des Bibliothèques de Colmar et de Sélestat [catalogue d'exposition], Colmar, [s.n.], 1998.

vendredi 25 juin 2010

Une structure originale

Le Musée des lettres et manuscrits, à Paris, est une institution originale en France, puisqu'il s'agit d'une structure privée, fondée et fonctionnant avec le soutien d'un certain nombre d'investisseurs.
L'objectif est de réunir un ensemble de manuscrits - lettres et autres documents autographes, dessins, mais aussi livres manuscrits, le cas échéant imprimés, etc. La grande presse s'est fait l'écho d'un certain nombre d'acquisitions spectaculaires récentes, parmi lesquelles le Testament politique de Louis XVI, retrouvé aux États-Unis, mais le Musée possède aussi le Manifeste du surréalisme rédigé par André Breton, des lettres de Napoléon Ier, des poèmes manuscrits de Rimbaud et de Verlaine, le manuscrit de la Théorie de la relativité d'Eisntein...
Aujourd'hui, les quelque 60000 pièces conservées dans l'immeuble du 222 boulevard Saint-Germain sont présentées par roulement dans le Musée. Le plus ancien document est une charte de Corbie datée de l'époque carolingienne.
L'historien du livre trouve beaucoup à glaner au Musée des lettres et manuscrits, comme le montre l'exposition inaugurale (présentée jusqu'au 29 août 2010) sur "Marcel Proust, du Temps perdu au Temps retrouvé". On y découvre un certain nombre de pièces provenant de l'auteur de la Recherche, des épreuves corrigées (À l'ombre des jeunes filles en fleurs) et bien entendu des exemplaires de différentes éditions de ses livres, exemplaires enrichis la plupart du temps de particularités remarquables.
Autour de Marcel, c'est toute une partie du "monde" parisien des années 1900 qui surgit: les mondains, à commencer par les familles de certains camarades du prestigieux Lycée Condorcet. La mère de Jacques Bizet, veuve du compositeur de Carmen, jouera un rôle essentiel pour Proust, surtout après son remariage avec l'avocat Émile Straus. L'exposition qui vient de se clore au Musée Marmottan nous a fait toucher un autre pan de ce même monde, celui des "femmes-peintres", et de la première d'entre elles, Madeleine Lemaire ("Femmes peintres et salons au temps de Proust").
Mais revenons boulevard Saint-Germain. Les documents proposés au fil des vitrines mettent en évidence certains aspects de la manière de travailler de l'écrivain - nous les connaissions, mais il est toujours émouvant d'en retrouver des témoignages souvent inconnus. Ainsi, sa correspondance est-elle truffée de demandes d'informations sur tel ou tel sujet, informations qui lui serviront à enrichir son texte. Surgit aussi son souci constant de pouvoir se faire éditer, et de contrôler aussi loin que possible les conditions matérielles de l'édition. Une manière, encore, d'échapper au temps en se survivant à soi-même, comme le souligne ce passage d'une lettre à l'éditeur Bernard Grasset:
"Il est assez habituel qu'avec l'instinct de l'insecte dont les jours sont comptés, je me hâte de mettre à l'abri ce qui est sorti de moi et me représentera..."
Donc, indiscutablement, le Musée constitue une entreprise originale et riche. Elle pose cependant plusieurs questions auxquelles l'historien du livre sera sensible. D'abord, il s'agit évidemment d'une collection, au sens archivistique du terme, et non pas d'un fonds ou d'un ensemble de fonds: il faut demander au Musée ce qu'il est en mesure de proposer, c'est-à-dire des documents isolés, souvent remarquables, ou des ensembles de documents qui viendront enrichir une documentation plus large réunie par le chercheur sur le sujet sur lequel il travaille. La deuxième question est celle du statut du patrimoine et de sa politique de valorisation. Enfin, l'entreprise du Musée privé soulève bien sûr en filigrane la question de sa propre pérennité, et de ses rapports avec ceux qui la financent.
Mais nous ne pouvons globalement que nous réjouir de voir réuni et présenté à Paris un ensemble aussi riche de pièces aussi remarquables, voire souvent extraordinaires.

Le Musée, dirigé par Pascal Fulacher, lui-même titulaire du doctorat (avec une thèse d'histoire du livre), publie une Lettre (La Lettre du Musée des lettres et manuscrits), des catalogues de ses expositions et un certain nombre d'autres titres.
Le Magazine Plume, trimestriel, traite des manuscrits et des livres d'une manière générale, et propose aussi une partie d'"actualité de l'écrit".
Plus d'informations sur le site: http://www.museedeslettres.fr/public/

lundi 21 juin 2010

L'été est là

Chers Amis,
Voici venue la saison d'été, malgré les apparences encore trompeuses aujourd'hui (mais il paraîtrait que l'été serait en fait pour demain, tout au moins en France au nord de la Loire).
L'été, c'est à dire le plus souvent le 21 juin: la théorie des mois est largement présente dans l'iconographie, entre autres dans les livres manuscrits (une des séries les plus célèbres est naturellement celle des Très riches heures du duc de Berry) ou imprimés (par ex., le Compost ou Calendrier des bergers dont nous avons parlé ici même, ou encore les multiples livres d'Heures imprimés).
Mais, pour quitter un instant l'histoire du livre (et puisque les vacances approchent), tournons-nous vers "le pays où fleurissent les citronniers" (Goethe) et admirons les bas-reliefs sculptés à la façade polychrome de la cathédrale de Lucques (Lucca), en Toscane. Le symbole classique du mois de juin est celui de la moisson (cf ci-dessus). D'ailleurs, le petit bois figurant en tête de juin dans le Compost représente lui aussi un paysan occupé à aiguiser sa faux.
Donc, voici aussi venu le temps de la moisson. Notre blog existe depuis février dernier, et le compteur mis en place à partir de juin (faute de capacités techniques et de temps) permet d'avoir une idée de sa fréquentation: un peu plus de 900 visiteurs en trois semaines, ce qui semble constituer un chiffre non négligeable et qui encourage en tous les cas à poursuivre.
Mais les séminaires et autres colloques se raréfient pendant les mois d'été, laissant d'autant plus de temps pour la lecture et pour l'écriture. La librairie de gare (cf ci-dessous) illustre l'un des volumes de la célèbre "Bibliothèque des chemins de fer", Les Vacances à Trouville de Louise Chéron de la Bruyère (éd. 1888): les enfants, au moment de partir pour la mer, choisissent leurs lectures de voyage, et on s'amusera de voir Hachette faire plus ou moins discrètement, par le texte et par l'image, la promotion de sa propre maison et de ses propres titres. La scène se déroule certainement Gare Saint-Lazare, et l'habillement de nos jeunes voyageurs témoigne de l'aisance de la clientèle du nouveau quartier de l'Europe, et de l'ouest parisien en général, depuis le dernier tiers du XIXe siècle. Dans l'imagerie de la Librairie Hachette, la bibliothèque de gare est d'une certaine manière un lieu "distingué" au sens bourdieusien du terme.
Quant à nous, même si le rythme des billets sur ce blog pourra décroître, nous souhaitons à tous l'été le plus agréable possible. Nous continuerons à rester en relations par le biais conjoint des livres... et des NTIC (alias les nouvelles technologies de l'information et de la communication, pour revenir au XXIe siècle).

Sur les Très riches Heures du duc de Berry, voir: http://crdp.ac-amiens.fr/ingedoc/carte_ressources/trhlivre.htm

vendredi 18 juin 2010

Séance foraine d'Amiens

La séance foraine organisée en 2010 par la Conférence d'Histoire et civilisation du livre s'est déroulée dans les conditions les meilleures à Amiens le 15 juin dernier, grâce à l'obligeance de Madame Séverine Montigny, directrice des bibliothèques d'Amiens-Métropole, et du personnel de la Bibliothèque. Madame Montigny a d'abord présenté aux participants le bâtiment même de la Bibliothèque, l'un des très rares exemples de constructions nouvelles réalisées en France pour abriter une bibliothèque publique dans la première moitié du XIXe siècle.
Puis, Monsieur Jean Vezin, membre correspondant de l'Institut, a commenté entre autres le Psautier ms 18C, le magnifique De Laudibus sanctae Crucis (ms 223F) de Raban Maur, un évangéliaire de Corbie (ms 24C) et un Psautier du XIe siècle à l'usage de l'église d'Angers (ms Lesc. 2C). La Bible de Pampelune (ms 108C) est plus une Bible en images qu'une Bible historiée, et elle a été réalisée pour le roi de Navarre au début du XIIIe siècle.
Madame Montigny a notamment présenté pour sa part les magnifiques Heures à l'usage de Rome réalisées pour le roi Henri II et qui avaient figuré à l'exposition Le Livre (Paris, 1972, n°225). La reliure à la fanfare épouse les contours du manuscrit en forme de fleur de lys, et l'ouvrage est entré à la Bibliothèque avec la collection du comte de L'Escalopier.
En ce qui concerne les livres imprimés, la séance avait été centrée sur la problématique de la langue d'édition. Elle s'est ouverte avec un exemplaire du Rationale de Guillaume Durand provenant de Corbie et illustrant la continuité entre le manuscrit et l'imprimé, qu'il s'agisse de la "mise en livre", du support (le parchemin), du contenu ou de la langue (le latin) (Rés. 18F). La Cité de Dieu imprimée à Abbeville en 1486-1487 a donné l'occasion d'illustrer le passage à la langue vernaculaire, en même temps que la première implantation d'un atelier typographique dans le nord de la France actuelle (Rés. 31E). Le De Imitatione Christi (Paris, 1491) est le titre majeur de la devotio moderna: support de lectures pieuses individuelles, il est décliné dans l'original latin, mais aussi dans les traductions en différentes langues vernaculaires, et cela dès l'époque du manuscrit (Rés. 482A).
Avec la Mer des hystoires (Paris, 1488-1489), nous sommes devant un processus de transfert culturel caractéristique, en même temps que nous retrouvons la Picardie et le Beauvaisis: en effet, le texte latin est traduit par un chanoine de Mello (Oise) à partir du Fasciculus temporum de Werner Rolewinck. Madame Denise Hillard a consacré un article publié dans les Mélanges Pierre Aquilon à la monumentale initiale gravée "L" qui ouvre le volume (Rés. 174F).
Il était impossible de venir à Amiens sans voir le célébrissime Boccace conservé par la Bibliothèque (Rés. 188E). L'exemplaire porte une mention de provenance pratiquement contemporaine: "Charles de Wacoussains" à Amiens (on connaît un négociant de ce nom en 1484). Il entre plus tard à la bibliothèque des jésuites de la ville. On sait qu'il présente la suite des gravures en taille-douce collées au fil du texte. La figure du calligraphe, puis libraire et libraire-imprimeur Colard Mansion, à Bruges, illustre parfaitement le modèle des ateliers travaillant d'abord pour la cour (ici, la cour de Bourgogne) et donc privilégiant la langue vulgaire. La Peregrinatio in Terram Sanctam de Breydenbach est un succès européen, d'abord publié en latin (1486), puis successivement en allemand, en français et en flamand. La Bibliothèque d'Amiens conserve un exemplaire de l'édition en français donnée à Lyon dès 1488 (Rés. 165C).
Enfin, la Conférence a abordé, trop brièvement, le travail philologique sur le texte même de la Bible, avec le Quintuplex Psalterium de Lefèvre d'Étaples - autre personnalité originaire de Picardie (Rés. 410C); puis l'admirable Nouveau Testament donné par Érasme chez Froben en 1516 (Th. 211C: l'exemplaire vient de Saint-Pierre de Corbie); enfin, la première Bible polyglotte, en l'espèce de la Biblia sacra entreprise à l'initiative et sous l'impulsion du cardinal Ximénès à Alcalá (Th. 82).
Madame Lyse Schwarzfuchs avait eu l'obligeance de se joindre à la Conférence, et de commenter pour nous un certain nombre d'éditions hébraïques ou comportant des caractères hébraïques.

Note bibliographique sur la Bibliothèque d'Amiens et ses collections: Incunables et merveilles de la Bibliothèque d'Amiens, Amiens, Bibliothèque municipale, 1993 (catalogue d'exposition), et, bien sûr, le site Internet:
http://www.bm-amiens.fr/AMIENS/Accueil.asp
Sur la problématique des langues à la Renaissance, voir notamment: Frédéric Barbier, "L'invention de l'imprimerie et l'économie des langues en Europe au XVe siècle", dans Histoire et civilisation du livre. Revue internationale, 4, 2008, p. 21-46.

NB- Les participants à la séance foraine auront sans doute plaisir à retrouver des clichés pris à cette occasion à l'adresse Internet suivante:
http://picasaweb.google.com/112490136752855584753/SeanceForaineDAmiens#
D'autres clichés sont éventuellement les bienvenus à ajouter à la série mise en ligne!

mercredi 16 juin 2010

Séminaire "Langues, livres, lecteurs: le siècle des Lumières"



Vendredi 18 juin 2010, 14h-16h
Cinquième séance du séminaire

« Langues, livres, lecteurs »
 
La dernière séance du séminaire «Langues, livres, lecteurs : le français et les Lumières», organisé par Frédéric Barbier et Sabine Juratic, aura lieu  le vendredi 18 juin prochain de 14 h. à 16 h. Elle prendra une forme un peu différente des précédentes et se déroulera en deux temps: une première partie sera consacrée à la présentation de l'enquête engagée par Isabelle Havelange, Nicole Pellegrin et Sabine Juratic sur  «Les traductions en langue française au XVIIIe siècle»; la seconde partie abordera le bilan et  les prolongements possibles du séminaire et les projets pour l'année 2010-2011.
Un pot amical terminera la séance... et l'année (mais tout "pot" n'est-il pas nécessairement "amical"?).

Le séminaire se tient dans la salle de réunion de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine,
École normale supérieure, 45 rue d'Ulm, 75005 Paris (01 44 32 31 52).
Entrée libre dans la limite des places disponibles.

Informations sur le séminaire:
http://www.ihmc.ens.fr/Langues-livres-lecteurs-le.html

dimanche 13 juin 2010

Quelques nouvelles

1- Le professeur Hans Jürgen Lüsebrink, de l'université de Saarbrücken, a été élu directeur d'études invité étranger de l'École pratique des hautes études (conférence d'Histoire et civilisation du livre) au titre de l'année universitaire 2010-2011. Les dates des conférences du professeur Lüsebrink seront précisées avec le calendrier de la prochaine année universitaire.
2- Monsieur Frédéric Barbier, directeur d'études, a été élu docteur honoris causa de l'université de Szeged (Universitas scientiarum Szegediensis, Hongrie), université créée à Koloszvar (Cluj Napoca) en 1872.
3- Le symposium "Tobie de Castella et ses livres" vient de se tenir à l'université de Fribourg (Suisse). Cette université  a été fondée en 1889 en tant qu'université des cantons suisses catholiques, et elle se caractérise jusqu'à aujourd'hui par son bilinguisme allemand / français. La Bibliothèque cantonale et universitaire a fêté conjointement le centième anniversaire de son installation dans les nouveaux locaux de la rue Joseph Piller. Un projet de réaménagement et d'extension est en cours de développement.
Disons le tout net: l'expérience du symposium sur 'Tobie de Castella" nous semble exemplaire, en ce qu'elle a associé le plus étroitement les étudiants des Pr. Thomas Hunkeler et Simone de Reyff à la réalisation du programme de recherche et de valorisation d'un fonds documentaire exceptionnel. Il s'agissait, d'une part, d'une étude systématique de ce que peuvent nous apprendre la bibliothèque et les archives des Castella en ce qui concerne notamment l'histoire du livre; d'autre part, de la réalisation d'une exposition constituée de pièces originales et de panneaux (posters); et, enfin, de l'organisation du symposium lui-même, au cours duquel, à côté des communications proprement dites, les étudiants ont pu présenter les résultats de leurs recherches. L'ensemble donnera lieu à une publication, tandis que l'exposition elle-même sera disponible même après son démontage sous la forme d'une exposition virtuelle.
Ce programme constitue à nos yeux une réalisation particulièrement efficace, du double point de vue, de l'intégration des étudiants et des jeunes chercheurs à la communauté des historiens, et de la mise en œuvre d'une véritable problématique d'interdisciplinarité - cette perspective dont on parle toujours, mais que l'on ne rencontre que trop rarement au goût de l'historien du livre. La réussite de l'entreprise, et surtout la réussite des tables rondes du symposium "Tobie de Castella", ont démontré à la fois la justesse du projet et l'engagement de ceux qui y ont participé.
(cliché ci-dessus: le Pr. S. de Reyff et quelques étudiants au cours d'une table-ronde).
Quelques clichés en ligne:
http://picasaweb.google.com/112490136752855584753/SymposiumTobieDeCastella#

mardi 8 juin 2010

Annonce de colloque

Tobie de Castella et sa bibliothèque.
Usage et culture du livre dans le Fribourg de la fin de l'Ancien Régime

Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, 11 et 12 juin 2010

Journée d'études avec la participation de spécialistes de l'histoire du
livre comme Robert Darnton (Harvard) et Frédéric Barbier (Paris).
Communiqué par la BCU de Fribourg: détails et programme du colloque à l'adresse
http://www.fr.ch/bcuf/

vendredi 4 juin 2010

Conférence de clôture


École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre

La prochaine conférence aura lieu le
lundi 7 juin 2010 (clôture de la conférence)

La Bibliothèque bénédictine de Saint-Amand au Moyen-Âge
par
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études

La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, en Sorbonne, de 16h à 18h (escalier E, 1er étage, Salle Gaston Paris).
La conférence est ouverte aux étudiants et auditeurs inscrits à l'EPHE

La conférence du 7 juin 2010 sera en principe la dernière à se dérouler dans la salle Gaston Paris de l'EPHE, l'Établissement devant l'année prochaine s'installer dans de nouveaux locaux de manière à permettre  l'ouverture de la première phase de travaux de la Sorbonne.
La Conférence a été créée par Henri-Jean Martin en 1963: c'est donc une histoire de plus de quarante ans qui se fermera lundi, et une nouvelle phase qui s'ouvrira à la rentrée universitaire prochaine. Tous les auditeurs qui ont fréquenté régulièrement ou occasionnellement la conférence à un moment où à un autre de son histoire au cours de ces quarante-sept dernières années sont cordialement invités à cette dernière séance. Selon notre habitude, la conférence clôturant l'année universitaire sera suivie d'un pot amical vers 17h.

Nota: il est encore possible à toute personne intéressée de s'inscrire pour la séance foraine d'Amiens (15 juin prochain): voir les détails dans le billet du 30 mai.

jeudi 3 juin 2010

Révolution dans les médias: le dernier cri ?

Nous avons déjà suivi, il y a quelques semaines, les difficultés d'un moine apparemment norvégien confronté à un changement de support médiatique, en l'occurrence le passage du volumen au codex (voir billet du 29 mars dernier). Mais la technique progresse tous les jours (on excusera la répétition), et voici que l'ipad (©!), après avoir soulevé les foules du Nouveau Monde, atteint enfin les rivages de l'Ancien Monde. La brève mais excellente vidéo ci-dessous laisse pourtant à entendre qu'il ne s'agirait peut-être pas là du dernier cri en matière de technologie. Le fichier, qui nous a été indiqué par une correspondante résidant à Madère (merci à elle!), permet en outre, comme celui du 29 mars, de faire le cas échéant un peu de philologie pratique.

mercredi 2 juin 2010

La folie des livres

Des récits au fil desquels le départ devient flou entre la vie réelle – celle du lecteur, et surtout celle de l'auteur – et l’histoire imaginaire – le texte lu. Des auteurs qui se retrouvent dans leurs propres textes et des personnages qui se matérialisent dans la vie de leur créateur – un procédé repris au cinéma et dans certaines bandes dessinées. Des textes hantés par des passages qui y reviennent comme en boucle jusqu’à déconstruire la linéarité naturelle de l’écriture, donc celle du temps. Des auteurs incertains, confondus avec des pseudonymes ou avec des apocryphes et qui, selon l’image ancienne, ne sont pas toujours les créateurs de ce qu’ils sont censés avoir écrit: l’auteur n’est-il pas l’interprète d’un autre monde, l’écriture ne touche-t-elle pas parfois à l’automatisme, le récit n’échappe-t-il pas toujours plus ou moins à son créateur ? Des machines produisant à la chaîne des textes promis au succès, parce qu’elles ont été programmées pour répondre à la perfection aux attentes même inconscientes des futurs lecteurs. Des bibliothèques effrayantes, écrasantes par leur masse vertigineuse et dont tous les volumes hurleraient
« leurs millions de mots en même temps et [dont] tous les cartons en révolte vomi[raient] leurs estampes et leurs dessins la fois » (Paul Valéry). Et, pour finir, des bibliomanes monomaniaques et des lecteurs drogués, fous de leurs livres au point que certains mourront d’une confusion qu’ils n’ont pas pu maîtriser.
C’est peu de dire que, sous des pathologies infiniment variées, la folie des livres est omniprésente dans les livres (souvent de manière comique) et dans le monde des livres, et qu’elle se rencontre aussi dans la vie. Trois citations éclaireront trois temps de l’histoire de l’édition, et donneront trois exemples de semblables confusions, parmi des milliers d’autres. Elles nous donneront aussi, peut-être, une occasion de relire des textes quelque peu négligés ou oubliés.

« Monsieur Dummler déclara que jusque-là il n’avait jamais compté de chat parmi ses auteurs ; qu’il ne croyait pas qu’aucun de ses confrères eût traité avec un écrivain de cette sorte ; mais qu’il voulait bien en faire l’essai.
On mit sous presse, l’éditeur reçut les premiers placards. Mais quel fut son effroi lorsqu’il s’aperçut qu’à tout instant l’histoire [du chat] Murr s’interrompait pour faire place à des pages totalement étrangères, appartenant à un livre qui devait contenir la biographie du Maître de chapelle Johannes Kreisler.
Après de longues recherches et bien des enquêtes, il découvrit enfin ce qui suit : lorsque le chat Murr se mit à écrire ses considérations sur la vie, il arracha sans plus de façons les pages d’un livre imprimé qu’il avait trouvé chez son maître ; et il en employa innocemment les feuillets, tant comme sous-mains que comme buvards. Ces pages restèrent dans le manuscrit et… on les imprima à la suite, comme si elles eussent appartenu à l’ouvrage.
C’est avec un sentiment de mélancolique humilité que l’éditeur se voit forcé d’avouer que cet affreux entremêlement de deux sujets étrangers est dû à sa seule légèreté : il devait évidemment, avant de donner le manuscrit du chat à l’impression, l’examiner d’un bout à l’autre ».
J. T. A. Hoffmann, Le Chat Murr, trad. fr. par Albert Béguin, nelle éd., Paris, Gallimard, 1983, p. 16-17.

« Un instant, regarde le numéro de la page. Ça alors ! De la page 32, tu es revenu à la page 17 ! Ce que tu prenais pour une recherche stylistique de l’auteur est une erreur de l’imprimerie : les mêmes pages ont été reprises deux fois. L’erreur a dû se produire au brochage : un livre est fait de cahiers, chaque cahier est une grande feuille où sont imprimées seize pages, que l’on replie en huit [sic] ; quand on procède à la reliure des cahiers, il peut se faire que dans un exemplaire se glissent deux cahiers identiques ; c’est un accident qui se produit de temps en temps ».
Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, trad. de l’italien par Danièle Sallenave et François Wahl, Paris, Seuil, 1981 (et coll. Points, Seuil, 1982, p. 29).

« Il s’agissait en effet de déterminer le titre et le scénario du futur best seller, grâce à une analyse rigoureuse des succès de librairie de la saison précédente. Or, [l’ordinateur] Boomerang s’avérait incapable d’intégrer en un seul prototype toutes les données fournies par l’analyse (…).
Le rapport présentait quatre projets de romans. Il y avait d’abord, pour un tirage de 700000 exemplaires, un roman sentimental en édition populaire portant le titre de Vierge et dactylo. Venait ensuite, estimé à 550000 exemplaires, un gros roman médico-sentimental (…) à publier sous couverture cartonnée et jaquette en couleurs. Il s’intitulait À l’ombre des stéthoscopes en fleurs. Le roman policier « noir » était représenté par L’Arsouille vise au bas-ventre : 400000 de tirage. Enfin, le quatrième projet était un roman qualifié d’« objectivo-phénoménologique » et qui devait être constitué par une série de phrases à la deuxième personne du pluriel du présent de l’indicatif, sans points ni virgules. Son titre était À propos de bottes. Le rapport le présentait comme limité à une élite de 300000 lecteurs, mais comme particulièrement adaptable à un cinéma athématique et non-représentatif ».
Robert Escarpit, Le Littératron, nelle éd., Paris, J’ai lu, 1967, p. 134.

Cliché: l'image classique de la folie par les livres, L'Ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche (...) avec les dessins de Gustave Doré gravés par H. Pisan, Paris, Librairie Hachette, 1863, 2 vol.