mercredi 29 janvier 2014

Conférences dhistoire du livre

 École pratique des hautes études,
IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre


Lundi 3 février 2014 

14h-16h
La librairie scolaire et l'espace urbain
à Paris au XVIIIe siècle
 par
Madame Emmanuelle Chapron,
maître de conférences à l'Université de Provence,
 membre de l'Institut universitaire de France,
chargée de conférences à l'EPHE 

16h-18h  
Du nouveau sur les bibliothèques Mazarine(s):
localisations, aménagement, décor (1642-1974)

par
Monsieur Yann Sordet,
directeur de la Bibliothèque Mazarine

 
 Une relecture des sources de l’histoire du palais Mazarin et l’examen de nombreux documents inédits permettent aujourd’hui de proposer une chronologie précise des localisations successives des bibliothèques parisiennes de Mazarin, de l’hôtel de Clèves au site actuel, en passant par l’hôtel de Chevry-Tubeuf (devenu le siège historique de la Bibliothèque nationale de France). Cette enquête renouvelle la connaissance du décor de la grande «bibliothèque des colonnes» et identifie les acteurs responsables de sa mise en place (1648) et de son transfert, désormais daté en toute certitude de mai à août 1668.
Le rôle des architectes Pierre le Muet et Maurizio Valperga est discuté. On révèle la part prise par plusieurs artisans, notamment les menuisiers de talent Pierre Dionys, collaborateur du peintre Charles Errard dans les années 1640-1660, et Jean Charon, qui réajusta le décor dans le palais conçu par Le Vau pour le nouveau Collège Mazarin. Les résultats de cette enquête conduite par Yann Sordet ont récemment fait l’objet d’une publication dans le cadre d’un colloque international consacré au décor des bibliothèques de l’âge classique (Actes sous presse). 
On revient à cette occasion sur l’interprétation classique selon laquelle la Mazarine introduit en France le modèle architectonique de la bibliothèque moderne, on interroge les principes qui ont présidé à son aménagement, et on la confronte aux modèles qui ont inspiré son dessin: l’Escorial (1563-1584), l’Ambrosiana (1609), la Barberiniana (1630), la bibliothèque inachevée de Richelieu (1642). 
On évoque également les circonstances qui auraient pu entraîner soit sa disparition, soit une modification significative de son décor. Certaines sont connues (périls sur les structures dès le XVIIe siècle, projets haussmaniens à partir de 1853), mais la plupart sont inédites (proposition de supprimer les colonnes en 1666, volonté d’acquisition par le duc de Nevers en 1668, ou projets de mise en peinture à partir de 1966). La séquence continue des transformations ou destructions auxquelles, depuis le XVIIe siècle, la Mazarine a échappé parfois in extremis, tend à montrer que les décors des bibliothèques sont peut-être plus vulnérables que les livres. 

Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand). 
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

samedi 25 janvier 2014

Une bibliothèque baroque des Lumières

Les collections livresques des Habsbourg sont bien évidemment anciennes (déjà à Ambras) et très riches, et l’on s’inquiète, à Vienne dans la seconde moitié du XVIIe siècle, de les abriter dans un cadre approprié. Mais l’entreprise ne pourra être menée à bien que dans les premières décennies du XVIIIe siècle, après que l’échec du siège de Vienne par les Turcs (1683) et le progressif éloignement de la frontière orientale aient permis de mettre la ville à l’abri, et d’y entreprendre les travaux d’aménagement qui doivent en faire la véritable capitale de l’Empire.
Le rôle du père de Marie-Thérèse, Charles VI (règne 1711-1740) est à cet égard décisif. La nouvelle «Bibliothèque de la cour» (Hofbibliothek) est achevée en 1726, et aussitôt ouverte au «public»: elle constitue l’un des premiers exemples au monde, d’un bâtiment conçu spécifiquement pour abriter une bibliothèque, et d’une collection princière dont l’accès n’est pas réservé aux seuls membres de la cour (Hof). 
Le modèle est celui de la galerie monumentale se développant de part et d’autre d’un grande salle centrale à coupole. Le dispositif architectonique et l’iconographie (les fresques sont achevées en 1730) exaltent à la fois la dignité éminente de la connaissance, et la figure du prince en tant qu’il est le protecteur des sciences et des arts, dont il favorise la diffusion parmi ses sujets –même si, bien évidemment, il s’agira d’abord des «lettrés» et des «savants». Une inscription antiquisante proclame, sur la façade, la gloire de l’Empereur, tandis que l’édifice est surmonté par le quadrige de Minerve (cliché 1).
Un monumental escalier conduit au premier étage, où la perspective de la «salle d’apparat» (Pruncksaal) ne peut qu’impressionner celui qui y pénètre (cliché 2). La grande statue de Charles VI est au centre de tout le dispositif (cliché 3). L’empereur est représenté en «Hercule des muses», ainsi que le proclame l’inscription du socle. Son effigie constitue le pivot autour duquel se déploient à la fois le bâtiment, et l’universalité de la connaissance contenue dans les livres (le classement est, bien évidemment, systématique): l'empereur est le souverain laïc du monde, dont le pape est le souverain spirituel. Autour de l’espace sous coupole, une série de statues aux effigies des princes de la maison de Habsbourg mettait en scène la gloire de la famille impériale (ces statues sont aujourd’hui déposées au château de Laxenburg). 
A l’aplomb exact de la statue de Charles VI, le sommet de la coupole centrale présente une figure ailée soutenant une couronne de laurier, tandis que deux personnages entourent un grand médaillon soutenu par un aigle et présentant le profil de l’empereur. Ce n’est bien sûr par le lieu de présenter ici, même sommairement, l’ensemble d’une iconographie aussi riche. Bornons-nous à un détail significatif, celui de la maquette de la bibliothèque que soutiennent plusieurs petits personnages, dans un geste analogue à celui de ces prélats et princes du Moyen Âge portant dans les bras la maquette de l’église qu’ils ont fait construire (cliché 4).
En charge de l’article «Vienne» dans l’Encyclopédie, le chevalier de Jaucourt souligne encore combien la ville, malgré les transformations, reste  éloignée, du moins aux yeux d’un Français, des canons définissant la «résidence» ou la «capitale» d’une grande puissance: Vienne
n'a pas l'agrément de ces villes dont les avenues charment par la variété des jardins, des maisons de plaisance & des autres ornements extérieurs qui sont les fruits d'une heureuse situation, que la sécurité de la paix porte avec soi. [Elle] n'a point de ces grandes rues qui font la beauté d'une ville; la rue même qui aboutit à la cour [auj. Kohlmarkt] n'est ni plus grande, ni plus large que les autres (…). L’église métropolitaine est d'une architecture gothique…
On appréciera cette dernière note s'agissant de la cathédrale Saint-Etienne, et la comparaison avec les appréciations louangeuses que Jaucourt décerne à la Bibliothèque est d’autant plus significative. 
Nous sommes ainsi devant le paradigme idéal de la bibliothèque des Lumières: la gloire du prince se construit non seulement parce qu’il est le protecteur des arts et des lettres, mais aussi parce qu’il joue le rôle du passeur, qui impulse le mouvement de diffusion du savoir et qui favorise le progrès. La façade de la Hofbibliothek portera à terme une seconde inscription, commémorant la restauration effectuée sur ordre de Joseph II et de Marie-Thérèse en 1769. L’étape complémentaire est celle de la publicité, par l’édition de catalogues imprimés, travail qui a en réalité déjà été commencé par Peter Lambeck (Peter Lambetius), préfet de la Bibliothèque impériale, avec les huit volumes de ses Commentariorum de (…) augustissima bibliotheca Caesarea Vindobonensi libri (Vienne, 1665-1679).
Le modèle politique du baroque évolue pourtant. Avec les Lumières, le rôle politique du média imprimé est tel que l’imitation, bientôt la concurrence, se développe entre ceux qui cherchent à s’attribuer le rôle actif de l’inventeur ou du «passeur». Les plus grands seigneurs entretiennent de somptueuses bibliothèques, soit comme un élément démonstratif de leur gloire (à l’image des Liechtenstein, pour ne pas quitter l’espace politique des Hasbourgs), soit, dans une perspective plus engagée, parce qu’ils veulent favoriser la construction de l’identité collective et la diffusion du progrès. Et ce seront bientôt, en France, les assemblées de la Révolution, qui s’emploieront, avec quelles difficultés!, à restituer les livres à la «Nation» dans ces nouvelles bibliothèques dont l’organisation se révélera, on le sait, plus que problématique… 

Tous nos remerciements vont à notre collègue et ami Monsieur Hans Petschar, directeur du département des arts graphiques et de la photographie à la Bibliothèque nationale autrichienne, pour ses savants commentaires et pour son obligeance à nous faire découvrir les détails de la Pruncksaal.

Conférence d'histoire du livre


École pratique des hautes études,
IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre


Lundi 27 janvier 2014
16h-18h

Corporations du livre, vie des ateliers
et main-d'œuvre typographique sous l'Ancien Régime (1),
par
Monsieur Jean-Dominique Mellot,

conservateur général à la Bibliothèque nationale de France
Delamarre, "Traité de la police", bandeau de tête (1713)
Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

jeudi 23 janvier 2014

Nouvelle publication: catalogue d'incunables

Aujourd’hui, où la norme est celle du catalogue (et du catalogue collectif) en ligne, la publication d’un catalogue «classique» d’incunables (nous voulons dire, un catalogue imprimé) se justifie-t-elle? Le tout récent Catalogue des incunables de la Bibliothèque de l’Académie hongroise des sciences nous démontre que oui, et cela d’autant plus que, avec ses quelque 1200 unités, la collection de l’Académie est la seconde du pays après celle de la Bibliothèque nationale.
Le Catalogue s’ouvre par une importante préface (en anglais) sur l’histoire de la collection. On sait en effet le rôle fondateur de l’Académie des sciences dans la construction de la nation hongroise. L’entreprise de réforme et de modernisation impulsée par le corégent, puis empereur Joseph II visait à instituer un Etat centralisé sur le modèle français, Etat organisé autour de sa capitale de Vienne, et dans lequel la  langue officielle serait l’allemand. Mais, avec la mort de l’empereur (1790) et le déclenchement de la Révolution française, la conjoncture se renverse: alors que toutes les forces du pays devront bientôt être rassemblées contre un ennemi extérieur très décidé, il faut se montrer d’autant plus prudent que les réformes éclairées du joséphisme ont suscité des oppositions dans l’Église, au sein de la haute noblesse et auprès des représentants des différentes «nationalités».
A côté de la Bibliothèque nationale (Bibliotheca Regnicolaris) fondée en 1802, l’Académie hongroise des sciences (1825) constituera la seconde institution savante centrale de la nation en construction, et, comme pour la Bibliothèque, l’initiative est prise non pas par le souverain (l’empereur de Vienne est aussi roi de Hongrie), mais par les représentants de la plus haute noblesse: le comte Istvan Széchényi est la figure centrale, et le premier président de la nouvelle Académie sera le comte Jozsef Teleki (1790-1855) (cliquer ici pour s'informer sur les bibliothèques des Teleki). L’institution s’adjoint bientôt une bibliothèque, dont la caractéristique est d’avoir été principalement constituée par les dons des grands magnats, membres de l’Académie et qui, en l'absence d'une cour royale, s'attribuent le rôle de fondateurs et d'organisateurs de la nation
Comme nous le rappelle la précieuse introduction au catalogue (p. 7-17), il s’agit d’abord des Teleki, avec quelque quatre cents incunables. Les bibliothèques de György Rath (1828-1905) et des comtes Antal, Sandor et Ferenc Vigyazo sont également à la base de la collection, tandis que d’autres dons sont aussi à noter (parmi lesquels Imre Jancso, et un certain nombre d'autres). L’introduction résume les caractéristiques du fonds actuel des incunables, mais elle donne surtout de très précieuses informations sur les sources d’archives qui peuvent s’y rapporter (anciens catalogues, et quelques factures correspondant à des achats plus ou moins spectaculaires, comme le montre l’illustration 1b).
Il y a quelques temps déjà (!) que l’intérêt majeur des incunabulistes s’est en effet déplacé, de la simple identification bibliophilique des éditions vers les particularités des exemplaires, particularités bien trop rarement reprises par les fiches catalographiques, et donc la plupart du temps par les catalogues numérisés. Pourtant, ce sont précisément ces particularités qui nous apportent le plus d'informations sur l'histoire sociale des livres et des textes. Le Catalogue des incunables de la Bibliothèque de l’Académie hongroise des sciences répond de la manière la plus heureuse à cette insuffisance, en donnant toutes les précisions possibles sur la provenance, etc., des exemplaires conservés, en décrivant le cas échéant la reliure avec la plus grande exactitude, et en publiant in fine un certain nombre d'excellentes reproductions en couleurs.
Exemplaire de Guy de Chauliac, provenant de la bibliothèque de Hartmann Schedel
Nous voici par conséquent devant un volume qui correspond aux critères les plus récents de la recherche scientifique, et qui attire l’attention sur un fonds trop souvent ignoré, notamment en Occident. Alors, oui, les catalogues «sur papier» constituent encore des outils irremplaçables, quand ils ont cette qualité et quand ils complètent notre information pour des points sur lesquels les données des catalogues informatisés sont très largement insuffisantes –au passage, nous nous permettrons de rappeler que nous attendons toujours la conclusion de l’entreprise pleine de promesses des Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques de France… 

Catalogue of Incunables of the Library and Information Centre of the Hungarian Academy of Sciences (…). INC-MTA,
éd. Marianne Rozsondai, Béla Rozsondai,
Budapest, Argumentum Publischinh House, 2013,
458 p., pl. en coul., rel.
ISBN 978-963-446-695-6

dimanche 19 janvier 2014

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre
 
Lundi 20 janvier 2014

16h-18h
Des bâtiments nouveaux pour des bibliothèques nouvelles:
  Besançon, Douai, Amiens, Paris (Ste-Geneviève)
(1785-1851)
par
Monsieur Frédéric Barbier

La "Bibliothèque communale" d'Amiens
Les années de la Révolution et de l’Empire voient un bouleversement très profond du «petit monde» des bibliothèques, en France certes, mais aussi dans une partie de l’Europe soumise à l’influence française. Non seulement les confiscations des «biens de première» et des «biens de seconde origine» enrichissent massivement les collections, mais la question du statut de celles-ci est désormais posée, tandis que la bibliothèque est investie de fonctions nouvelles touchant aussi bien à l’information et à la formation qu’à l’expérience politique.
Dans la grande majorité des cas, les bibliothèques sont établies dans des bâtiments anciens plus ou moins réaménagés (collège, hôtel de ville, église, parfois tribunal, etc.), où elles se trouvaient parfois dès l'Ancien Régime (comme le montre le cas du Collège et du Temple-Neuf de Strasbourg). Pourtant, quelques exemples se font jour, de constructions nouvelles, conçues spécifiquement pour accueillir une bibliothèque. La conférence envisagera les principaux exemples de bâtiments de ce type, de Besançon à Amiens, pour terminer avec la première bibliothèque «moderne» du XIXe siècle français, celle Sainte-Geneviève à Paris.

Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

vendredi 17 janvier 2014

Nietzsche et l'Art nouveau (Ecce homo,1908)

Dernier ouvrage de Nietzsche, Ecce homo sort en 1908: il s’agit d’une édition posthume, puisque l'auteur a sombré dans la folie en 1888 et est décédé huit ans plus tard. La publication en est notamment organisée par sa sœur, Elisabeth Forster-Nietzsche. Ecce homo est un texte particulièrement frappant parce qu’il donne la mesure du désespoir du philosophe, passionné par la vérité mais qui éprouve le silence de plomb dans lequel toutes ses œuvres les plus chères sont tombées.
Stefan Zweig décrit avec une grande justesse la situation de celui qui, au terme de son parcours, a atteint à la «septième solitude»:
Il y a dans ses dernières œuvres comme de sourds gémissements de souffrance contenue, et des cris de colère démesurément ironiques (…). Lui, qui était indifférent, se met, dans son orgueil «exaspéré», à provoquer son temps, pour qu’enfin il réagisse (…). Et, pour le défier encore davantage, il raconte sa vie dans Ecce homo, avec un cynisme qui entrera dans l’histoire (…). Il a détruit tous les dieux, (…) il a détruit tous les autels; c’est pourquoi il se bâtit à lui-même son autel: l’Ecce homo, afin de se célébrer, afin de se fêter, lui que personne ne fête. Il entasse les pierres les plus colossales de la langue (…), il entonne avec enthousiasme son chant funèbre de l'ivresse et de l’exaltation (…). C’est tout d’abord une sorte de crépuscule (…); puis l’on entend vibrer un rire violent, méchant, fou, une gaîté de desperado qui vous brise l’âme: c’est le chant de l’Ecce homo (…). Puis, soudain, commence la danse, cette danse au-dessus de l’abîme –l’abîme de son propre anéantissement.
Paradoxe des paradoxes, c’est précisément alors même que Nietzsche disparaît au monde, que sa célébrité s’impose. Grâce à quelques intermédiaires, au premier rang desquels Brandès à Copenhague, mais aussi Strindberg et un certain nombre d’autres (dont Daniel Halévy en France), sa pensée devient mieux connue, et son œuvre éditée et diffusée de plus en plus largement. En tant que penseur de la modernité et en tant que, ironie suprême, auteur devenu à la mode, Nietzsche va notamment intéresser une maison moderne par excellence, les Edition de l’île, Inselverlag, à Leipzig.
L’Inselverlag, dont la genèse nous est aussi rapportée par Zweig dans ses Souvenirs d’un Européen, a été fondée à partir de 1899 par un groupe d’amateurs et d’esthètes fortunés qui voulaient échapper à la logique de la médiocrité, voire du mauvais goût, d’une production éditoriale de masse –la métaphore de l’ «île» est bien sûr directement signifiante:
On accueillerait les choses les plus subtiles et les moins accessibles. Ne publier que des œuvres où s'attestait la plus pure volonté d'art sous une forme impeccable, telle était la devise de cette maison d'édition très exclusive (…).Tout, même les détails infimes, avait l'ambition d'être exemplaire.
Nous sommes bien aux antipodes du primat donné à la demande... Le catalogue édité pour la foire de Pâques 1910 recense un fonds de 317 titres présentés par ordre alphabétique –dont Zarathustra et Ecce homo (Die Veröffentlichungen des Inselverlages, 1899-1909, Leipzig, Inselverlag, 1910). La plupart des titres sont proposés à 4 Marks, 5 Marks avec une demi-reliure de parchemin (Halbpergament). Les titres sont souvent imprimés par Breitkopf u. Härtel, mais aussi par Richter, tous deux dans la capitale allemande du livre, Leipzig.
Surtout, l’Insel fait appel, pour ses publications, aux stars de l’art contemporain (le Jugendstil, alias l'Art nouveau). La marque typographique est dessinée par l'architecte Peter Behrens, et représente un navire voguant toutes voiles dehors, comme un symbole de liberté. Pour Ecce homo, la couverture et la double page de titre sont réalisées d’après une maquette de Van de Velde (au colophon: Titel, Einband und Ornamente zeichnete Henry van de Velde): une demi-reliure de parchemin, les plats de papier gris, le motif du titre doré en tête du plat supérieur. Le dos est lisse, et porte le motif du titre doré en tête, tandis que la tranche de tête est également dorée.
La double page de titre, marron et ivoire, est imposante par son décor d’entrelacs symétriques, labyrinthiens, que relie un motif charnière. Les lettres ont un tracé discontinu et anguleux contrastant avec les caractères arrondis et liés du titre sur la reliure... (Bruxelles, 1993, p. 69).
Les trois éditions de Nietzsche réalisées par l’Inselvelag, Also sprach Zarathustra, Ecce homo (les deux titres en 1908) et Dionysos Dithyramben (1914), décorées par Henry van de Velde, appartiennent aujourd’hui au petit groupe des premières éditions de l'Île parmi les plus recherchées (Sarkowski, p. 131).
D’une certaine manière, l’Inselverlag industrialise pourtant la bibliophilie, même s'il s'agit d'une bibliophilie moderne de très haute tenue: le tirage de Ecce homo est de 1250 exemplaires numérotés, dont 150 sur japon. De sorte que, malgré la qualité esthétique de l’ensemble, un bibliophile de vieille souche pourra se plaindre:
Löwenberg était un véritable bibliophile comme on en faisait autrefois. Il n'aurait trouvé aucun plaisir aux impressions récentes, et aux fac-similés de manuscrits. Il aurait détesté les éditions numérotées de 1200 exemplaires… (Deutscher Bibliophilen Kalender für das Jahr 1913, p. 38-39).

Maison de Nietzsche à Sils Maria.
Nietzsche Friedrich, Ecce homo, 1ère éd., Leipzig, [Friedrich Richter, pour] Insel Verlag, [1908], 154 p., 4°. 1ère édition. Contient le texte de Ecce homo, suivi d'une postface de l’éditeur scientifique (Nachwort des Herausgebers), Raoul Richter, p. 131-154.
Stefan Zweig, Le Combat avec le démon, trad. fr., Paris, Belfond, 1983, p. 270-271 (titre original alld Der Kampf mit dem Dämon).

vendredi 10 janvier 2014

Conférences d'histoire du livre

École pratique des hautes études,
IVe section,
Conférence d'histoire et civilisation du livre
 
Lundi 13 janvier 2014
 
14h-16h
Écoles et édition scolaire (1): l’Ecole royale militaire,
par Madame Emmanuelle Chapron

16h-18h
Servir: le décor des bibliothèques, 1627-1851
par Monsieur Frédéric Barbier

Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

dimanche 5 janvier 2014

Une page d'iconologie

Titre gravé
La bibliothèque de la nouvelle université de Leyde (1575) a déjà été présentée ici: dans son environnement réformé, elle poursuit le triple objectif, de servir la science (il faut par conséquent des collections de qualité, et qui soient actualisées), d’aider à la compréhension de la Parole divine, et de contribuer à la cohésion de la communauté. C’est pour répondre à ce dernier impératif que la bibliothèque se signale comme étant la première à publier le catalogue de ses collections, dès la fin du XVIe siècle: Nomenclator autorum omnium quorum libri vel manuscripti vel typis expressi extant in Bibliotheca Academica Lugduno-Batavae. Cum epistola de origine ejus atque usu (Lugduni Batavorum, apud Franciscum Raphelengium, 1595). Ce répertoire va faire date, qui sert d’ouvrage de références dans un très grand nombre de bibliothèques de recherche (au même titre que le catalogue d’Oxford), et qui sera régulièrement réédité et augmenté (exemplaire numérisé).
L’édition de 1716 est particulièrement remarquable, par l’ampleur de la collection (le catalogue lui-même fait plus de 500p.), par les pratiques bibliothéconomiques mises en œuvre (avec notamment le cadre de classement systématique, complété par un index alphabétique), et par le soin donné à la publication. En tête, un titre gravé met en scène, d’une certaine façon, le projet de bibliothèque idéale, dans un environnement architectonique particulièrement soigné.

Le cabinet du physicien
Au centre de la salle, la figure de Minerve symbolise la sagesse et la connaissance, avec la chouette athénienne à ses pieds. Plus qu'une allusion au pouvoir pontifical, les clés figurant sur le piédestal de la statue renverraient à l’idée d’ouverture vers la sagesse que donne la connaissance, en l'occurrence la connaissance par les livres. Cette figure de la sagesse est classique, qui reflète bien évidemment le modèle antique, et qui constitue à la fois le pivot du microcosme de la bibliothèque, donc celui de l’univers des connaissances, et celui du macrocosme, l'univers réel. Les portraits des savants, et celui du prince fondateur de l’institution, décorent la salle comme autant de témoignages de la valeur de la virtus : les illustres, alias ceux qui ont effectivement consacré leur vie à l’idéal de la connaissance (et de la connaissance partagée), constituent autant d'exempla et l’on se doit autant que possible de les imiter.
En avant de la scène, deux figures féminines se font face, dans lesquelles nous pensons retrouver une variante du thème classique de la Révélation et de la connaissance rationnelle: la Révélation, à gauche, est plongée dans l’Ecriture, dont le texte est éclairé par le rayon de la vérité que darde l’œil omniscient environné de nuages. face à elle, la connaissance humaine tient de la main droite le miroir symbole de la prudence (prudentia), et de la gauche, un livre fermé. Appuyé à son siège, le caducée (la baguette ailée et entourée de deux serpents antagonistes) symbolise l’éloquence, la paix et les échanges toujours profitables.
Examinons maintenant l’arrière-plan de ces trois figures principales. Une monumentale colonnade structure l’espace des rayonnages à livres. Le soubassement montre que nous sommes toujours sur le modèle de l’Académie, ou du Musée: quatre représentations mettent en effet en scène les grands domaines du savoir, avec le laboratoire du physicien (ou de l’apothicaire?), le théâtre anatomique, l’observatoire astronomique et le cabinet de naturalia (?). Le soubassement prend d’ailleurs la figure d’un livre à-demi ouvert.
Terminons par la bibliothèque elle-même, qui se déploie en arrière-plan sur deux niveaux séparés par une sorte de balcon: le modèle est analogue à celui de nombreuses bibliothèques des XVIIe et XVIIIe siècles, à commencer par la Mazarine à Paris. Trois détails sont plus particulièrement frappants.

Conversations savantes
D’abord, de tous côtés, ce sont les silhouettes de personnages en train de discuter ou de converser les uns avec les autres. Ces silhouettes sont là pour nous rappeler que la bibliothèque (ou le Musée) est autant un espace de lecture qu’un espace de rencontre et d’échanges, parce que chaque amateur ou spécialiste sait qu’il y retrouvera tel ou tel de ses collègues, et que de la rencontre naîtra la lumière. N'y donne-t-on pas, à l'occasion, des cours publics? Le second détail qui nous arrête est celui des échelles impressionnantes (on évaluera leur hauteur à quelque 6m), que les lecteurs (ou, peut-être, les bibliothécaires?) empruntent pour accéder à tel ou tel volume qu’ils souhaitent. Il paraît bien difficile de ne pas y voir la métaphore classique, de l’accession progressive à la connaissance par la lecture et par le travail.
Le dernier détail, plus subtile, relève de la communication: les rayonnages en haut des travées sont en effet grillagés, ce qui nous rappelle que la bibliothèque, même publique, n’est pas pour autant le lieu de la libre communication. S’ils ne sont pas dans un cabinet séparé, les livres interdits seront rangés en haut des travées, c’est-à-dire pratiquement hors de vue et hors de portée, surtout si on prend la précaution de placer la tranche à l’extérieur. Et, dans notre bibliothèque modèle, ils sont en définitive abrités derrière des grillages, comme on peut l'observer dans un certain nombre de bibliothèques anciennes heureusement conservées aujourd'hui, par exemple à Kalocsa...

vendredi 3 janvier 2014

Conférence d'histoire du livre

Johann Gottlieb Millich, fondateur de la bibliothèque de Görlitz
École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre
 
Lundi 6 janvier 2014
 
16h-18h
Illustrer, persuader, servir:
le décor des bibliothèques,
1627-1851 (2)
par Monsieur Frédéric Barbier


Nota: La conférence régulière d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. (190 avenue de France, 75013 Paris, 1er étage). Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2013-2014. Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg). Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterrand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterrand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterrand).
Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).