samedi 30 avril 2011

Histoire de caractères

Il est bien trop rare que les éditeurs modernes –entendons, les éditeurs d’aujourd'hui– accordent suffisamment d’importance à la «mise en livre» des manuscrits qui leur sont confiés. Pourtant, les travaux d’histoire du livre montrent bien non seulement que le texte ne saurait exister seul, mais que le livre en tant qu’objet apporte au lecteur, par les dispositifs matériels qu’il met en œuvre, bien autre chose que le seul texte. «Mettre en livre» avec compétence et élégance un livre qui traite précisément d’un aspect de la «mise en livre», à savoir l’histoire du caractère typographiques, est tout particulièrement bien venu.
On ne peut par conséquent qu’être reconnaissant à l’éditeur Atelier Perrousseaux de l’ouvrage que Rémi Jimenes a consacré aux Caractères de civilité d’avoir réussi à nous offrir un livre dont l’élégance formelle se combine avec un contenu textuel de qualité. L’étude de la typographie et des caractères reste trop peu développée en France, et encore mal intégrée aux travaux d’histoire générale du livre –une exception remarquable étant bien évidemment celle du Musée de l’imprimerie dirigé par Alan Marshall à Lyon. L’exposition d’Écouen sur Geoffroy Tory et son Champfleury constitue aussi, en ce moment même, une excellente occasion d’approcher ce domaine.
Rémi Jimenes, doctorant au CESR de Tours, définit les caractères de civilité, alias lettre française d’art de main, comme « une typographie gothique reproduisant l’écriture cursive qu’employaient les hommes de plume français au milieu du XVIe siècle » (p. 10). Histoire et civilisation du livre donnera de cet élégant volume un compte rendu circonstancié, mais le sommaire que nous publions ci-dessous donne une bonne image d’un contenu présenté à la manière d’une pièce de théâtre classique.

Rémi Jimenes, Les Caractères de civilité. Typographie & calligraphie sous l’Ancien Régime, préf. Hendrik D. L. Vervliet, [Gap], Atelier Perrousseaux éditeur, 2011, 120 p., ill. (diff.: Pollen Diffusion) («Histoire de l’écriture typographique»).
Sommaire
Préface
Introduction
Acte I- Splendeur & misères de la cursive française, XVIe-XVIIe siècles
Chapitre I- Granjon et ses contrefacteurs: histoire d’un succès
Chapitre II- Les formes de la cursive française
Chapitre III- Le déclin de la cursive française
Entracte- 1649-1703: nouveautés
Acte II- Une anachronique renaissance, XVIIIe-XIXe siècles
Chapitre IV- Une surprenante résurrection
Chapitre V- Apprendre à lire, apprendre à écrire
Chapitre VI- La civilité réinventée
Épilogue- La fin de l’histoire

jeudi 28 avril 2011

Conférences d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre
Monsieur Frédéric Barbier, directeur d’études

Lundi 2 mai 2011
16h-18h.
Séance des doctorants

Karim Ifrak, «Masahifs incunables en Europe chrétienne»
Geneviève Deblock, «Le Bastiment des receptes, un « livre de secrets » réédité pendant quatre siècles»
Daniel Saraiva, «Vaincre et convaincre : la polémique autour de la bataille de Montijo»
Livia Castelli, «Charles Chardin (1743-1826), libraire à Paris ?»
Peggy Manard, «Recherches sur la bibliothèque du comte d’Artois»

Nota: La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage).
Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2010-2011.

Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterand).

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

Annonce : la séance foraine de la conférence d’Histoire et civilisation du livre aura lieu, cette année, le vendredi 24 juin, et sera consacrée à la très riche Bibliothèque de Dole (Jura). La ville de Dole est facilement atteinte depuis Paris en 2 heures par TGV direct. Tout participant intéressé sera le bienvenu. Un programme détaillé sera publié prochainement.
Rappel: conférences de Mme Nuria Martinez de Castilla Munoz, sur le livre musulman en Espagne pendant le Siècle d’or, le lundi de 10 h. à 12h., dans le cadre de la conférence de Monsieur François Déroche, directeur d’études.

mercredi 27 avril 2011

Histoire du livre et histoire des Lumières

Il est bien agréable de croire au genius loci, au génie du lieu, et de découvrir à l’occasion d’une visite la maison dans laquelle tel auteur important, tel peintre ou tel artiste a vécu et travaillé. Le succès d’institutions comme la Maison de Claude Monet à Giverny témoigne de l’intérêt d’un public plus large qu’on ne croirait, et les itinéraires de «maisons d’écrivains» se dévoilent ici et là à travers la France (Balzac à Saché), mais peut-être plus particulièrement à Paris et autour de la capitale (voir, tout récemment, l'ouverture de la maison de Jean Cocteau à Milly-la-Forêt).
Si certaines de ces «maisons» n’ont finalement qu’un lien assez lâche avec une figure qui n’y a que peu résidé, tel n’est absolument pas le cas pour La Vallée aux Loups, la maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry, aux portes de Sceaux...
Chateaubriand en tant que tel intéresse bien évidemment l'historien du livre, mais ce n'est pas de lui qu'il sera question ici. La Maison de Chateaubriand ouvre en effet aujourd’hui même sa nouvelle exposition consacrée à une figure exceptionnelle des salons des Lumières: «Madame Geoffrin, une femme d’affaires et d’esprit» (exposition ouverte jusqu’au 24 juillet).
On sait le rôle des salons dans l’organisation de l’espace public au XVIIIe siècle, et on a vu dans le développement de cette forme particulière de sociabilité un des indices les plus évidents de l’affaiblissement, après 1715, du règne de la cour louis-quatorzienne au profit de la ville, en l’occurrence la capitale -et ses salons. Or, de 1727 à 1766, Madame Geoffrin, née Marie-Thérèse Rodet, tient précisément le premier et le plus influent de ces salons, ouvert aux personnes de qualité, aux artistes, aux «philosophes» et aux gens de lettres.
L’hôtel de la rue Saint-Honoré s’impose alors comme une institution des Lumières, connue de toute l’Europe éclairée et à ce titre visitée par les diplomates et par les voyageurs étrangers de marque à l'occasion de leur passage à Paris: citons Kaunitz, envoyé du Saint-Empire, futur chancelier autrichien, et habitué du salon lors de son séjour parisien de 1750 à 1753; on pourrait aussi penser au comte de Caylus, dont on connaît le rôle dans le domaine de l’histoire de l’art, et à bien d’autres. Le célébrissime tableau de Lemonnier conservé au Musée de Rouen les met en scène à la manière d'une véritable galerie rassemblée a posteriori (cf. cliché): d’Alembert, Buffon, Caylus, Fontenelle, La Condamine, Marivaux, Malesherbes, Marmontel, Montesquieu ou encore Turgot, sans oublier Choiseul-Stainville...
L’exposition de La Vallée aux Loups n’est pas une exposition d’histoire du livre, mais on comprendra que l’historien du livre spécialiste des Lumières y trouve quantité d’informations à glaner et de découvertes à faire. Ajoutons qu’un salon est une œuvre temporaire, et que celui de Madame Geoffrin n’échappe évidemment pas à la règle.
C’est peu de dire qu’une telle institution n’est que bien difficilement présentable sous forme d’une exposition: et c’est tout le mérite de Bernard Degout, directeur de la Maison de Chateaubriand et l’un des deux commissaires de l’exposition, que d’avoir parfaitement réussi cette évocation, en réunissant un ensemble extraordinaire de pièces dont beaucoup appartiennent à des collections privées ou sont rarement accessibles au public français. Pour reprendre la formule d'un célèbre guide, l'exposition de La Vallée aux Loups vaut d'autant plus le voyage que celui-ci est très facile par le RER (le RER B jusqu'à Robinson, sur l'ancienne ligne de Sceaux, soit un trajet qui représente en lui-même une page de l'histoire de Paris et de sa banlieue).
Rappelons pour conclure la publication récente du beau livre de Maurice Hamon consacré à Madame Geoffrin, cette attachante figure d’un moment clé de l’histoire culturelle et sociale de la France dans le dernier siècle de l’Ancien Régime. Le riche catalogue publié à l'occasion de l'exposition vient compléter cette biographie exemplaire.

lundi 25 avril 2011

Pâques et le comput

À plusieurs reprises, nous avons évoqué dans ce blog les problèmes du comput, autrement dit de la détermination des dates (cf. notre billet sur le carême). Le comput, surtout le comput ecclésiastique, a en effet souvent à faire avec l’histoire, avec l’archivistique, avec la codicologie et –avec l’histoire du livre. La manière la plus répandue de mesurer le temps est de faire référence au mouvement des astres, particulièrement le soleil, qui est à l’origine de la succession des saisons –mais la lune peut aussi entrer en ligne de compte.
À la base du comput usuel, la mesure de l’année correspond au temps que la terre met à effectuer une rotation autour du soleil, soit un petit peu plus de 365 jours. Le calendrier julien (appellation choisie en l’honneur de Jules César) établit que l’année aura 365 jours un quart, et il intercale tous les quatre ans une année bissextile comptant 366 jours et permettant de rattraper le décalage.
La plus importante fête chrétienne de l’année est celle de Pâques, qui commémore la résurrection du Christ, trois jours après sa passion. Le premier concile de Nicée (325) a fixé sa date pour les chrétiens au dimanche suivant la première pleine lune après le 20 mars (équinoxe de printemps). À partir de la date de Pâques, on calcule facilement la date des autres fêtes mobiles, telle que la Pentecôte (49 jours après Pâques), etc. Or, dans un calendrier solaire, les dates des fêtes fixées par rapport au calendrier lunaire sont mobiles, de sorte qu’il convient de les calculer. La science du comput ecclésiastique a donné naissance à toute une littérature au Moyen Âge, parmi laquelle on citera notamment le De temporum ratione de Bède la Vénérable.
La fixation de la date de Pâques est d’autant plus importante que, du Ve siècle jusqu’en 1564, c’est en général le style de Pâques, dit «vieux style», qui est suivi –autrement dit, l’année commence à Pâques. Les historiens du livre sont bien au fait de ces difficultés, qui imposent de corriger la date de toutes les éditions, par exemple incunables, achevées dans les trois premiers mois de l’année (d'où, parfois, les indications «v. st.» portées dans certaines références).
À partir de 1563/1564, le style de la Circoncision est généralisé, et l’année commence, comme aujourd’hui, le 1er janvier (soit sept jours après Noël, dont la date est fixée au 25 décembre à partir du IVe siècle).
Enfin, le décalage du calendrier julien avec le mouvement réel du soleil s'accumule au fil des siècles: en 1582, la bulle Inter gravissimas instaure le calendrier grégorien, qui «gomme» le décalage accumulé en supprimant certains jours (les 10-19 décembre 1582 n’existent pas en France) et qui, dans le détail, permet une dérive moindre de la norme par rapport à la réalité.
À titre d’exemple, le Calendrier des bergers (édition de Guy Marchand, Paris, 18 VII 1493) donne tous les éléments utiles pour le comput, notamment un tableau permettant de calculer la date de Pâques (ill. 1), un tableau permettant de connaître les deux éléments nécessaires pour ce calcul, à savoir le nombre d’or et la lettre dominicale (ill. 2), et, bien entendu, le calendrier des mois, en l'occurrence pour une période de vingt ans (1493-1512). Un simple coup d’œil sur les tableaux en question permet de juger de la complication et de la qualité du travail du typographe (notamment le deuxième tableau, imprimé en rouge et noir), et permet aussi de comprendre que les titres comme le Calendrier des bergers ne sont absolument pas destinés à un quelconque lectorat supposé «populaire», mais bien à un lectorat peut-être constitué de clercs et en tous les cas familier des techniques de l’écrit –et des problèmes du comput.

mercredi 20 avril 2011

Le livre de pierres

Dans notre dernier billet, nous parlions des estampes précieuses qui ne sont pas des estampes précieuses, mais bien des meubles –en l’occurrence, un cabinet en poirier conservé au château d’Azay-le-Rideau. Amusons-nous aujourd’hui avec un autre phénomène, celui de livres qui ne sont pas des livres, mais bien des immeubles. La petite église de Leignes-sur-Fontaine (département de la Vienne), aux portes du Poitou, nous en donne un exemple idéaltypique.
Voici en effet une implantation chrétienne particulièrement ancienne, mais une région qui se trouvera aussi au cœur des luttes religieuses de la seconde moitié du XVIe siècle : Calvin est à Poitiers en 1534, et la communauté protestante de la ville est l'une des trois premières de France au XVIe siècle -mais les
Protestants sont aussi présents à Chauvigny et à La Roche-Posay, c'est-à-dire non loin de Leignes.
L’église de Leignes est ravagée en 1567, mais,  partir de 1681, c'est la répression violente orchestrée par l'intendant Marcillac. Le protestantisme émigre ou se réfugie au «désert», et l'église de Leignes, entre autres, sera bientôt remise au culte catholique : c’est le P. Olivier Siret qui est curé au début du XVIIe siècle (1613).
Or, ce curé se considère réellement comme en terre de mission, et il travaille à parer son église de sentences gravées qui condamnent le protes-tantisme, qui exhortent à la piété ou encore qui donnent quelques notations à caractère historique. L'ensemble se place évidemment dans l’ordre de l’épigraphie, mais selon une logique qui s’assimile presque aux graffitis et autres inscriptions politiques qui se présentent notamment, jusqu'à aujourd'hui, sur les murs dans l’espace public.
On sait que le bâtiment de l’église marque le cœur de la vie de la paroisse sous l’Ancien Régime, et qu'il est le lieu en quelque sorte naturel des proclamations. Le P. Siret se sert de son église comme d’un véritable support pour publier une manière d’abrégé des principaux articles de la foi et un certain nombre d’autres sentences, tant en latin qu’en français.
Donnons quelques-unes de ces formules remarquables. À l’extérieur, près du porche: «Foy, Espérance, Charité» (cliché 1). Et encore une admonestation : «Te souvienne de la mo[r]r, du jugem[e]n[t], du paradis et de l’enfer» (cliché 2). À l’intérieur, quantité d’autres inscriptions, dont certaines font référence à l’histoire de l’église elle-même (par exemple: « Je fus ruynée l’an 1567 par les hérétiques …», cf. cliché 3).
L'église de Leignes nous fait repenser au célèbre passage de Notre-Dame de Paris où Victor Hugo compare la cathédrale à un livre de pierres. Elle confirme l'inadéquation de l'appellation comme "Bibles des pauvres" de livres qui, de fait, ne sont pas destinés aux "pauvres": le livre n'est pas une "Bible des pauvres", mais l'église l'est plus probablement comme livre. Enfin, cet exemple confirme aussi la complexité qui est celle des systèmes de la communication écrite dans les sociétés d'Ancien Régime, tout en appelant à s'interroger sur un certain nombre de problèmes plus précis -comme celui du taux d'alphabétisation et du niveau de pénétration par le livre dans la région considérée en ces débuts du XVIIe siècle.

vendredi 15 avril 2011

Histoire du livre: Callot à Azay-le-Rideau

Dans ses Caractères, La Bruyère se moque des collectionneurs de livres et d’estampes, dont la mode commence à se répandre largement au XVIIe siècle:
«Vous voulez, ajoute Démocède, voir mes estampes? Et bientôt, il les étale et vous les montre. Vous en rencontrez une qui n’est ni noire, ni nette, ni dessinée et d’ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet qu’à tapisser, un jour de fête, le Petit-Pont ou la rue Neuve : il convient qu’elle est mal gravée, plus mal dessinée ; mais il assure qu’elle est d’un italien qui a travaillé peu, qui n’a presque pas été tiré, que c’est la seule qui soit en France de ce dessin, qu’il l’a achetée très cher et qu’il ne la changerait pas pour ce qu’il a de meilleur. J’ai, continue-t-il, une sensible affliction, et qui m’obligera à renoncer aux estampes pour le reste de mes jours : j’ai tout Callot, hormis une seule, qui n’est pas, à la vérité, de ses bons ouvrages ; au contraire, c’est un de ses moindres, mais qui m’achèverait Callot : je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette estampes et je désespère enfin d’y réussir ; cela est bien rude!…» (Caractères, ch. XIII, «De la mode»).
Une visite au  château d’Azay-le-Rideau, sur les rives de l’Indre, confirme de manière inattendue la vogue qui était en effet celle du Lorrain Jacques Callot (1592-1635). On sait que l’artiste séjourne en Italie jusqu’en 1621, avant de venir à Paris et à Nancy, et qu’il privilégie pour ses estampes les sujets de genre et de mœurs : les figures de la noblesse lorraine ou  celles des gueux, la foire de Gondreville, et surtout la série des «Misères de la guerre».
Or, le château d’Azay conserve un magnifique cabinet en poirier noirci dont les tiroirs sont décorés de huit très fines reproductions d’eaux-fortes de Callot : les plaques d’ivoire sont gravées à l’échelle et le dessin rehaussé à l’encre de Chine. Plus remarquable encore, la série s’ouvre par un véritable fac-similé de l’adresse, avec le titre (Les / Misères / et les  mal-heurs / de la guerre / représentez par Jacques Callot / noble lorrain / et mis en lumière par Israël / son amy) et la date (À Paris / 1633 / Avec privilège du Roy). «Israël» désigne Israël Henrier, ami et éditeur de l’artiste, et oncle d’Israël Silvestre.
Nous connaissions les «non-livres» chers à Nicolas Petit, et qui désignent ces pièces sans valeur marchande et portant des textes très courts, avis, faire-part, billets de toutes sortes, éphémères, voire affiches. Mais voici à l’inverse, avec ce meuble particulièrement précieux, un autre exemple de «non-livre» correspondant à ce que l’on appellerait aujourd’hui un «produit dérivé» et témoignant de la diffusion, auprès d'une clientèle très privilégiée, des estampes de Callot et de leurs motifs quelques années à peine après leur publication.

Bibliogr. : Marianne Grivel, « L’amateur d’estampes en France aux XVIe et XVIIe siècles », dans Le Livre et l’historien [Mélanges Henri-Jean Martin], dir. Frédéric Barbier [et al.], Genève, Librairie Droz, 1997, p. 215-228.

dimanche 10 avril 2011

Une exposition virtuelle

Puisque nous parlions d’expositions virtuelles, nous pouvons revenir sur une manifestation remarquable, et dont nous aurions dû déjà rendre compte. Il s’agit de l’exposition consacrée par l’université de Fribourg (Suisse) à Tobie de Castella et à sa bibliothèque. L’exposition avait été présentée à l’occasion du symposium Tobie de Castella, mais elle avait malheureusement été démontée après quelques jours à peine. En se connectant au site (http://www2.fr.ch/bcu/n/publications/expo_bib_Castella/Accueil.html),
le visiteur pourra prendre connaissance des riches pannels (puisque c’est là le terme consacré) réalisés par les étudiants de nos collègues fribourgeois, et des pièces manuscrites et imprimées présentées à durant ce bref laps de temps.
Rappelons le cadre. Descendant d’une famille noble de Fribourg, Tobie de Castella (1733-1815) est un homme des Lumières, qui crée un étonnant jardin «anglo-chinois», qui entretient une riche correspondance, et qui réunit une superbe bibliothèque. C’est cette bibliothèque, et les archives correspondantes, que Pierre de Castella († 2006) a confié à sa mort au canton et à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg.
L’exposition est divisée en quatre sections, dont la première présente d’abord le personnage de Tobie, sa biographie et les choix de vie de celui que les organisateurs ont désigné joliment comme «l’homme à la brouette» (voir cliché). «Car que faire en un gîte à moins que l’on ne songe» – et que l’on ne lise, se demande Tobie: la deuxième section est consacrée à la constitution de la bibliothèque, et aux relations avec les libraires, notamment ceux de Lausanne. Un pannel traite de «la librairie fribourgeoise à la fin de l’Ancien Régime», un autre des procédures publicitaires mises en œuvre par les libraires, un autre enfin ddu circuit du livre, en l’occurrence... L’Art de soigner les pieds, de l’auteur au lecteur.
La troisième section envisage la question du choix des livres (le démarchage des libraires…), et de la composition statistique de la bibliothèque, en fonction des langues de publication et des engagements personnels de Tobie de Castella –surtout s’agissant de politique. La dernière section enfin aborde le devenir des volumes: la bibliothèque ne constitue en rien un ensemble figé, les nouvelles acquisitions viennent constamment l’enrichir, mais les pertes –par prêts, dons, etc., ne sont pas rares non plus. De sorte qu’il est en définitive difficile de conclure du contenu de la bibliothèque à un tableau d'ensemble des intérêts de son propriétaire: comme dans le cas du prince de Croÿ étudié par Marie-Pierre Dion, l’«itinéraire intellectuel» de Tobie de Castella ne peut être reconstitué que par l’étude des sources exceptionnelles aujourd’hui disponibles à Fribourg.
Nous avions regretté la brièveté de l’exposition fribourgeoise: l’exposition virtuelle la prolonge dans le temps, en la mettant à la disposition de tous les chercheurs intéressés. À la suite de chaque pannel, un bouton «vitrine» permet de découvrir les imprimés et manuscrits présentés à l’occasion du symposium, chacun reproduit dans une excellente définition et accompagné d’une notice de catalogue. Bref, le fonds Tobie de Castella et son exposition virtuelle fribourgeoise nous donnent un exemple à suivre s'agissant non seulement de l'exploitation et de ce que l'on appelle la valorisation des collections anciennes des bibliothèques, mais aussi de la collaboration entre ces dernières et les universités.

jeudi 7 avril 2011

Histoire de l'histoire du livre

Le rapport d’une société humaine à son passé n’est jamais transparent, même s’il passe par la médiation de la communauté scientifique des historiens. Le double statut de l’invention de la typographie en caractères mobiles et du responsable de cette invention échappe d’autant moins à la règle que l’apparition de l’imprimerie est reconnue dès le XVe comme marquant un tournant majeur de l’histoire occidentale.
Le siècle des Lumières prolonge la tradition d’une lecture «universaliste» de l’invention (Gutenberg en tant que bienfaiteur de l’humanité), mais il s’inscrit dans le même temps dans une conjoncture contradictoire, avec la montée des concurrences autour de la mise au point de la technique. Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771) publie en 1760 ses Vindiciae typographicae, chez un libraire allemand de Strasbourg et avec une dédicace à l’électeur palatin Karl Theodor, mais ce sont les armoiries royales de France qui figurent sur la page de titre.
Lisons le commentaire que Quérard donne de l'ouvrage:
«Ouvrage estimé. L’auteur prétend que la découverte des caractères mobiles en bois a été faite à Strasbourg et qu’on les y avait déjà employés en 1435. Fournier le jeune a publié en 1760 des Observations sur le Vindiciae typographicae, Paris, in 8°, dans lesquelles il réfute l’opinion de Schoepflin ; et le professeur Baer, autrefois aumônier de la chapelle de Suède à Paris, a réfuté Fournier dans un ouvrage anonyme intitulé «Lettre sur l’origine de l’imprimerie, servant de réponse aux observations publiées par M. Fournier sur le Vindiciae typographicae», Strasbourg (Paris), 1761, in 8°».
Schoepflin articule la problématique concernant l’identité de l’inventeur avec celle sur la généalogie de l’invention (les prototypographies comme introduisant à la mise au point de la technique définitive). Par ailleurs, il est le premier à avoir étudié les pièces du procès de Gutenberg dans les archives de la ville de Strasbourg, pièces dont il donne des fac-similés d’autant plus précieux que ces documents ont été détruits lors du siège de 1870. Son approche pose aussi la question de l’appartenance de l’invention, mais en privilégiant plus le patriotisme de clocher que celui de la collectivité nationale. La même analyse est reprise par Specklin, lequel écrira, dans sa Chronique universelle, à propos des débuts de l’imprimerie à Strasbourg:
«J’ai vu la première presse [de Mentelin] ainsi que les caractères : ils étaient taillés dans le bois, ainsi que des mots ou des syllabes; ils étaient troués, on les enfilait sur une ficelle à l’aide d’une aiguille, puis on les étalait sur les lignes. Il est dommage qu’on ait laissé se perdre une telle installation, la toute première en son genre dans le monde entier…»
Gutenberg a pu, à Strasbourg, rencontrer le futur prototypographe alsacien Johann Mentelin (vers 1410-1478), puisque celui-ci, originaire de Sélestat, acquiert le droit de bourgeoisie en 1447 mais réside sans doute antérieurement de façon régulière en ville. Quoi qu’il en soit, il reste en tout état de cause impossible d’imprimer par la technique de la xylotypie des ouvrages de quelque importance, comme le sera notamment le premier titre connu de Mentelin, la Bible à 49 lignes de 1460: les xylotypes (caractères sur bois) ne sont pas reproductibles, de sorte que les travaux de gravure ne se justifient que pour des textes relativement courts (pensons aux «Donat» imprimés dans les anciens Pays-Bas dès avant Gutenberg), ou pour des textes illustrés (sur le modèle des livrets xylographiques).
Si la xylotypie a très certainement été utilisée aussi pour imprimer des textes, elle ne recouvre pas l’invention décisive qui reste vers 1450 à mettre définitivement au point. Mais la comparaison des lectures de l’histoire de Gutenberg met surtout en évidence comment le XVIIIe siècle est marqué par le glissement entre une lecture humaniste et universaliste de l’invention et de son apport, et une volonté d’intégrer cette invention décisive comme l’un des éléments importants d’identités collectives alors en phase d’affirmation. On notera au passage combien les professionnels du livre –il s’agit ici de Fournier le Jeune, mais on connaît aussi d’autres figures comme La Caille, Née et La Rochelle, etc., pour nous en tenir à la France– sont de plus en plus intéressés à s’investir dans l’histoire de leur domaine d’activité –l’histoire du livre.

Bibliographie : Jean-Daniel Schoepflin, Vindiciae typographicae in quibus de artis typographicae originibus disseritur, Argentorati [Strasbourg], ap. Joh. Gothofredum Bauer, Bibliopol., 1760 ; Joseph Marie Quérard, La France littéraire…, tome VIII, Paris, Firmin-Didot frères, 1836, p. 543. Frédéric Charles Baer, Lettre sur l’origine de l’imprimerie, servant de réponse aux observations publiées par M. Fournier le jeune sur l’ouvrage de M. Schoepflin intitulé Vindiciae typographicae, Strasbourg [Paris], [s. n.], 1761.

mardi 5 avril 2011

Conférences d'histoire du livre

École pratique des Hautes Études, IVe Section
Dans le cadre de la conférence de M. François Déroche
Histoire et Codicologie du livre manuscrit arabe
 
Mme Nuria MARTÍNEZ de CASTILLA MUÑOZ
Université Complutense de Madrid
Maître de Conférences invitée
donnera quatre conférences sur le thème
Le livre musulman en Espagne
pendant le Siècle d’or

1. Histoire des morisques.
Le lundi 2 mai 2011, de 10h00 à 12h00.
2. Littérature et culture livresque.
Le lundi 9 mai 2011, de 10h00 à 12h00.
3. Production et circulation des manuscrits.
Le lundi 16 mai 2011, de 10h00 à 12h00. 
4. Les morisques et le Coran.
Le lundi 23 mai 2011, de 10h00 à 12h00.
Les conférences auront lieu au Bâtiment France, 190 av. de France, 75013 Paris, salle 122.

dimanche 3 avril 2011

Conférence d'histoire du livre

Centre Gabriel Naudé-enssib

SÉMINAIRE

La dernière séance 2010/2011 du séminaire
" Auteur, traducteur, collaborateur, imprimeur...

Qui écrit?"
 

aura lieu le
mardi 5 avril 2011 à 17h:


"En belle forme de livre" : Clément Marot éditeur ?
par
Guillaume Berthon,
Université de Strasbourg

Organisation: Martine Furno et Raphaële Mouren

Entrée libre sans inscription
salle N.1.29
Enssib, 17-21 bd du 11 novembre 1918 - 69623 Villeurbanne cedex - 04 72 44 43 43
Tramway T1 "Université Lyon 1" - Bus 59, 59E, 70 "Stalingrad Parc"

Raphaële Mouren, maître de conférences, Université de Lyon-enssib
http://www.enssib.fr, et http://raphaele-mouren.enssib.fr

Présidente, IFLA Rare Books and Manuscripts Section
http://www.ifla.org/en/rare-books-and-manuscripts

vendredi 1 avril 2011

Conférence d'histoire du livre

 École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation du livre

Lundi 4 avril 2011
16h-18h.
Entre universalisme et nationalités,
commémorer Gutenberg,
une Histoire franco-allemande?

par
Monsieur Frédéric Barbier,
directeur d'études

Nota: La conférence d'Histoire et civilisation du livre a lieu tous les lundis à l'École pratique des hautes études, de 16h à 18h. Pendant la fermeture de la Sorbonne, la conférence a lieu au 190 avenue de France, 75013 Paris (1er étage).
Le secrétariat de la IVe Section se situe dans les mêmes locaux, où l'on peut notamment s'informer et se procurer les livrets du Programme des conférences 2010-2011.

Accès les plus proches (250 m. à pied): Métro: ligne 6 (Nation-Pte Dauphine), station Quai de la Gare. Bus 89, arrêt Quai de la Gare (cette ligne dessert notamment la Gare Montparnasse, puis elle passe rue de Rennes et place du Luxembourg).
Accès un petit peu plus éloignés: Métro: ligne 14, station Bibliothèque François Mitterand. RER ligne C, station Bibliothèque François Mitterand. Bus: 62 (arrêt Bibliothèque François Mitterand Avenue de France) et 64 (arrêt Bibliothèque François Mitterand).

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de "rafraîchir" la page du calendrier quand vous la consultez).

Cliché: la statue de Gutenberg à Mayence (... avec une valise, qui marque la fin des cours avant une période de vacances).