mardi 15 septembre 2020

Vient de paraître: un manuel d'histoire du livre

Vient de paraître:

Frédéric Barbier, Histoire du livre en Occident,
3e éd. revue, corrigée et considérablement augmentée,
Paris, Armand Colin, 2020,
415 p., 53 ill. in texte, cartes et graphiques,
couv. ill. en coul.
bibliographie, glossaire

«Mnémosya».
ISBN 978-2-200-62288-6

Et toujours: Frédéric Barbier, Histoire des bibliothèques, d'Alexandrie aux bibliothèques virtuelles, 2e éd., Paris, Armand Colin, 2016, 404 p., ill? couv. ill. en coul. («Collection U»). Troisième éd. à paraître début 2021.





 

mercredi 9 septembre 2020

Michel de Marolles et Dürer

Un coup d’œil (mais de nos jours, un coup d’œil ne peut être que… virtuel) dans la collection réunie par Michel de Marolles permet de découvrir quantité de pièces exceptionnelles, qui toutes ne relèvent pas de la gravure. Parmi elles, des dessins, dont «Le Moulin aux saules», d’Albrecht Dürer (BnF, Estampes, Rés. B 13).
Nous avons déjà abordé la géographie de la Franconie (Franken): un paysage complexe de collines, où la Pegnitz prend sa source à proximité de celle du Main, dans ce qu’il est convenu d’appeler la Suisse franconienne. La rivière coule d’abord vers le sud/ sud-ouest jusqu’à Nuremberg, puis se jette dans la Regnitz, laquelle part vers le nord, pour à son tour se jeter dans le Main. Nous sommes donc devant un cours d’eau de moyenne importance, la Pegnitz étant en définitive un sous-affluent du Main. Quant à la place de Nuremberg, sur le cours inférieur de la rivière, elle n’apparaît dans les sources qu’à partir du XIe siècle (1050): son développement n'en sera que plus rapide.
Car le rôle de notre rivière est beaucoup plus important sur le plan historique que géographique. Depuis le XIIIe siècle en effet, la Pegnitz forme un tronçon de la «Route d’or» (Goldene Straße) conduisant de Prague et de la Bohême vers Nuremberg, l’Allemagne du sud et les cols de l’Italie (via Augsbourg, Innsbruck et le Brenner). Son importance s’accroît encore, pour des raisons politiques, sous le règne de Charles IV († 1378). Le Palatinat supérieur (Ober-Pfalz) est en effet intégré au royaume de Bohême alors même que Charles IV de Luxembourg, né en Bohême (1316), ceint la couronne de saint Venceslas (1346) avant que d’être élu au trône impérial (1355). Désormais, le royaume touche directement la ville libre et impériale de Nuremberg, et la «Route d’or» devient le principal axe politique de l’Empire, qui conduit le plus facilement vers Francfort et vers la région rhénane.
Quant à Nuremberg, elle est désormais devenue une des métropoles de l'Empire, avec ses quelque 30000 habitants gouvernés par un Magistrat de patriciens. Les célébrissimes Chroniques de 1493 nous proposent la gravure partout reproduite d’une ville richissime, très puissante, et très active par la concentration de ses ateliers d’artisans (dont les imprimeurs), de son commerce (dont les libraires) et d’une pléiade d’artistes exceptionnels : architectes, sculpteurs, verriers et orfèvres, peintres ou encore graveurs sur bois… (cliché 1).

Parmi eux, Albrecht Dürer, déjà à plusieurs reprises évoqué sur ce blog. Les Dürer sont d’origine hongroise (Ajtós), d’où Albrecht l’Ancien vient à Nuremberg en 1455 et y épouse la fille d’un orfèvre. Albrecht Dürer naît à Nuremberg en 1471, et c’est Anton Koberger, lui-même orfèvre avant que de se lancer dans la «librairie», qui est son parrain. Le jeune Dürer est d’abord formé dans l’atelier de son père, avant d’entrer comme apprenti chez le peintre et graveur Michael Wohlgemut (1486), et d'enchaîner par un long voyage de formation qui le conduit probablement aux Pays-Bas, puis sur le Rhin moyen (Colmar, Bâle et Strasbourg). Il est de retour à Nuremberg en 1494, et se marie cette même année… mais se lance dès l’automne dans son premier voyage d’Italie. C’est alors, au fil des paysages rencontrés sur la route, qu’il aurait donne les premières peintures de paysage de l’art occidental.
Le «Moulin aux saules» (cliché 2) appartient précisément à ce genre, et il a été daté, sans certitude, de 1496/1498 (parfois aussi une dizaine d’années plus tard). Il s’agit d’un petit dessin à l’aquarelle rehaussée de gouache (25 x 36cm) et portant le monogramme de Dürer avec l’indication manuscrite du sujet (Weydenmull). Le motif a été pris sur place: nous sommes aux portes de la ville, sur le cours aval de la Pegnitz. Un petit pont (plutôt, une passerelle en bois) traverse la rivière, avec de chaque côté, de hautes maisons dont on devine les colombages et les pilotis, et qui abritent des moulins: le «Petit» et le «Grand moulin» se font face, où l’on produit à la fois de la farine, mais aussi… du papier, et qui servent en outre à l’irrigation des jardins attenants. La localisation est aujourd’hui parfaitement connue: la Hallerwiese («Prairie Haller»), en arrière de la Hallertor (porte Haller) (1), est devenue au fil des siècles l’un de ces pittoresques espaces périurbains, où l’on fait volontiers une excursion pour quelques heures. La propre maison de Dürer (Dürerhaus) n'en est d'ailleurs pas éloignée.

Ici, la vue est prise vers l’ouest. Nous sommes au soir, des nuées d’orage s’éloignent –peut-être le paysage reste-t-il mouillé de pluie–, tandis que le ciel aux couleurs tragiques se reflète dans la rivière. La perspective linéaire est parfaitement construite, mais le traitement marque une opposition radicale entre l’arrière-plan, traité de manière presque impressionniste, et l’arbre figurant au premier plan, très précisément reproduit. La généalogie de l’œuvre est aujourd’hui toujours discutée: est-elle prise sur place, où s’agit-il d’un travail d’atelier, d’après des esquisses rapidement dressées? En tous les cas, on peut aussi considérer que ces peintures de paysage sont des morceaux préparatoires pour les arrière-plans réalistes d’un certain nombre d’œuvres postérieures: on pense par exemple à la série de l’Apocalypse, publiée peu après par Dürer. L’inclusion du présent (un paysage connu) dans le passé proclamerait aussi en elle-même l’universalité d’un message biblique qui s’adresse en tous temps à chacun et dans le monde qui est le sien.
À l’époque de Marolles, la concurrence entre amateurs s’agissant des œuvres graphiques de maîtres de la Renaissance restait relativement limitée, ce qui a permis à l’abbé d’acquérir cette exceptionnelle petite pièce. Pour autant, c’est peu de dire que nous serions curieux de savoir où et dans quelles conditions cette acquisition même a pu se faire… 

Note
(1) Haller est un nom de personnes: le Magistrat de Nuremberg achète le terrain (environ 1,4 ha) en 1434 de Margareta Heyden, née Haller (les Haller von Hallenstein). La Hallerwiese a été acquise pour l’agrément des citadins, et constitue ainsi un exemple très précoce d’«espace vert» mis à la disposition de tous.

Voyez, sur Michel de Marolles, les cinq billets précédents (cliquer ici pour revenir au blog).

mercredi 2 septembre 2020

Michel de Marolles (5): le mémorialiste et le collectionneur

1- Le mémorialiste
Notre abbé à la fois pieux, érudit et mondain, en même temps que lecteur très précoce de Montaigne, se lance dans un exercice qui tend précisément à se banaliser au tournant des années 1600, à savoir la rédaction de Mémoires qui sont une forme d’autobiographie. Le genre était d’abord pratiqué par les personnages importants, qui, sur le modèle antique, font du récit de leur vie un exemplum moral. Avec Michel de Marolles, le projet est quelque peu différent, puisqu’il s’agit d’un membre d’un lignage de petite noblesse, d’un supérieur d’une abbaye de moindre importance, et d’un personnage qui ne joue qu’un rôle très limité sur le plan politique.La lecture de ses Mémoires laisse en fait à penser que l’abbé prolonge, à travers sa propre trajectoire, le projet de Montaigne: il définit, même implicitement, le modèle de la «bonne vie» menée par l’homme de bien, une vie d’abord dominée par les commandements de la religion, mais qui devra aussi permettre à l’auteur de s’intégrer au mieux dans la société de son temps, et d’y tenir le rôle pour lui défini (1).
Ainsi s’explique pour partie la place tenue, au fil des pages, par le complexe articulant la présentation des lignages avec le détail des rencontres et des conférences au sein d'une société choisie. Les Mémoires de Marolles combinent étroitement l’affirmation d’un espace public spécifique et la construction de la personne individuelle. Même si l’abbé se pose comme étant lui-même aux marges du «monde», son espace est celui des lignages, des jeux d’hommage et de protection, et de la «République des Lettres». Il constitue un réseau d’alliances et de signes électifs (Éric Méchoulan) assurant la position et le pouvoir du mémorialiste. Celui-ci ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il écrit, en tête de sa dédicace :
Je ne saurois vous donner une meilleure marque de l’estime que je fais de votre amitié, que de vous donner ma propre vie. (...) Là, Messieurs, vous vous trouverez vous-mêmes…

2- Le collectionneur
Le programme des Mémoires se déploie bien évidemment dans le présent, mais aussi dans l’avenir. Le projet de l’abbé, de se survivre à lui-même, se retrouvera pourtant aussi dans la constitution et la préservation d’une collection monumentale d’estampes –celle à laquelle son nom restera effectivement lié. Il explique lui-même ne pas attacher de valeur aux images comme objets de piété, et avoir entrepris cette collection par goût, certes, mais aussi par suite du caractère limité de ses ressources financières –peut-être aurait-il sinon une préférence pour les peintures et pour les tableaux? On est en effet surpris de la modicité des prix pratiqués, puisque l'abbé mentionne lui-même le coût d'un Dürer, qui peut descendre à 2 f.
Dieu m’a fait la grace que pour aimer les images je n’y ai point mis de superstition, & j’en ai fait un recueil si prodigieux qu’elles se montent à plus de soixante & dix mille ; mais c’est d’images en tailles-douces sur toute sorte de sujets. Je commençai à m’adonner à cette sorte de curiosité dès l’année 1644 ; & je l’ai si bien cultivée depuis ce temps-là, & avec si grande dépence pour moy qui n’ay pas beaucoup de bien, que je puis dire sans exaggération en avoir de tous les maistres qui se sont pu trouver, tant graveurs que dessinateurs & inventeurs, qui sont au nombre de plus de quatre cents (…). J’ay aimé cette sorte de curiosité dès les premières années de ma jeunesse, [parce que] je l’ay trouvée plus proportionnée à mes forces (p. 154).
L’année 1644 doit être regardée comme marquant le début non pas de la collecte proprement dite, mais plutôt de la systématisation de la collection en tant qu’ensemble organisé. Examinons maintenant quelques-unes de questions à l’entour desquelles l’abbé développera son action de collectionneur: comment, pourquoi, et ensuite?
    Comment: la bibliothéconomie
    C’est ainsi que notre abbé se fait d'entrée spécialiste de bibliothéconomie spécialisée, lorsqu’il détaille les conditions de classement et de conservation des estampes. Le premier concept opératoire est celui de «suite»: une «suite» pourra concerner un artiste, ou un thème (2). Sans le dire, Marolles propose ainsi une grammaire (et un lexique) du collectionneur d’estampes, qu’il explicite par des exemples, tirés de son expérience: son recueil des «œuvres d’Albert» (Albrecht Dürer) est complet des 104 pièces, mais il est aussi «incomparable» par sa provenance («l’abbé de Saint-Ambroise») et parce qu’il inclut «douze pièces uniques à la plume et au crayon». L’abbé de Saint-Ambroise auquel il est ici fait allusion est Claude Maugis (1650-1658), aumônier de Marie de Médicis, et collectionneur, dont Marolles réussira à acquérir une partie du cabinet. Il disserte ensuite pour expliquer que nombre d’«œuvres complettes» des «petits Maistres et des vieux Maistres» ne pourraient pratiquement plus être rassemblées de son temps.

La collection ayant été organisée en «suites», il faut autant que possible faire relier celles-ci, pour conserver soigneusement les estampes regroupées en albums –nous parlerions aujourd’hui de portefeuilles:
[Dans ces] livres, [les estampes] tiennent peu de place et ne se peuvent gaster, sauf par l’eau ou par le feu. [Ils] sont l’un des plus beaux ornemens qui se puissent apporter dans les grandes Bibliothèques (p. 6).
Au passage, la lecture du Catalogue de 1666 (3) apporte des précisions complémentaires sur la reliure de ces recueils, par exemple du «maroquin du Levant» pour les œuvres de Raphaël… Une autre problématique fondamentale concerne l’enrichissement de la collection laquelle, pour Marolles, ne saurait négliger les productions «populaires»:
Je ne parle pas icy des pièces communes qui se vendent au coin des rües ny chez la plupart des Marchands, lequelles sont de nulle ou de fort petite considération, bien qu’il s’en trouve aussi quelquesfois de fort belles, mais c’est d’ordinaire sans aucune suite complette.
En revanche, l’abbé critique la pratique de la bibliophilie –un thème sur lequel reviendra La Bruyère présentant Démocède, le collectionneur d’estampes (4). De fait, les amateurs ne s’intéressent qu’aux pièces les mieux
conditionnées, c’est à dire entières, blanches de papier & de belle impression, lesquelles sont presqu’uniques, ou qui se trouveroient à peine double ou triples dans un grand Royaume comme la France, tant elles sont rares de la force que je dis. Car pour les estampes originales des plus grands Maistres, lesquelles sont ou gastées, ou mal imprimées, ou de planches usées, il s’y en trouveroit sans doute bien davantage; mais les Curieux qui s’y connoissent ne les estimeroient nullement & n’en donneroient rien du tout.
    Pourquoi?
    La deuxième question est celle du «pourquoi»: pourquoi collectionner les estampes? Ici, comme nous l’avons dit, interviennent très certainement le goût personnel de Marolles, mais aussi le fait que ses moyens ne lui permettent pas de se livrer à une autre activité –comme celle de réunir une galerie de peintures. Pour autant, lorsque l'abbé s’interroge sur ce à quoi peuvent servir les estampes, il pense d’abord à la documentation historique et érudite: par exemple, les images qui représentent
des Cérémonies, des Entrées de Villes, des Devises [servent] aux connoissances de l’Histoire (…). J’ai esté beaucoup plus loin en ces choses-là que je ne l’eusse pû croire au commencement (p. 7).
Il reviendra sur cette thématique de manière détaillée un peu plus tard (p. 9 et suiv.), à propos de l’éducation «d’un jeune Prince». Même si ce n’est pas ici le lieu de théoriser le modèle de la bibliothèque moderne, celle d’un Gabriel Naudé à la Mazarine, il nous faut insister sur le fait que, pour l’abbé, une «bibliothèque universelle» devrait précisément avoir aussi un département consacré aux images, qu’il s’agisse de l’«embellir» ou de l’«augmenter»:
Il est certain aussi que de toutes les choses qu’on estime pour servir à l’embellissement & à l’augmentation d’une grande Bibliothèque, il n’en est point de plus belle ny qui puisse moins coûter. Non pas que les livres d’Estampes ne soient beaucoup plus chers que les autres Livres; mais parce que les choses qui s’y trouvent, lesquelles sont quelquesfois si rares, ne coustent rien en comparaison des pièces en huile, sur le bois ou sur la toile, (…) sans parler des Ouvriers qui excellé en Sculpture & en Architecture, don les Ouvrages ne se peuvent transporter d’un lieu à autre.
Et de dire à nouveau ses regrets:
Il me semble que les princes & les seigneurs qui font des bibliothèques n’y devroient pas négliger ces sortes d’ouvrages, (...) qui contiennnet une partie considérable des belles connoissances sur divers sujets: mais je n’en connois aucun qui s’en soit encore avisé (Mémoires, p. 158).
    Et après? Le devenir de la collection
    Marolles n’a, dans sa famille, pas d’héritier que sa collection soit susceptible d’intéresser, mais il voudrait pour autant en assurer la conservation, parce qu’elle constitue un ensemble documentaire à la fois très riche et organisé de la manière la plus cohérente:
J’ai parfaitement aimé ces choses là, & je les aime encore. Mais par je ne sçay quelle étrange fatalité qui ne souffre pas long-temps à toutes sortes de personnes une jouissance si agréable, & n’ayant pas d’ailleurs dans ma famille des personnes assez riches ou assez curieuses de ces choses-là pour les conserver, j’appréhende bien qu’après ma mort elles ne se dissipent, & que tout d’un coup un corps qui s’est formé peu à peu de diverses parties, de plusieurs endroits avec assez de difficulté, ne vienne à se démembrer (p. 17-18).
Il chiffre l’ensemble à 123 400 pièces de plus de 6000 maîtres, en plus de quatre cents volumes, «sans parler des petits, qui sont au nombre de plus de six-vingt» (p. 15). Mais,
ne voyant personne dans ma famille qui pust conserver après moy une chose si agréable et si curieuse, j’en veux bien laisser au moins cette petite marque au public,
et il rédige donc pour ce faire un catalogue imprimé. Le dispositif interne du Catalogue suit celui de la collection, de sorte qu’il constituerait effectivement une manière de collection virtuelle. L’organisation est topographique, avec la numérotation des recueils: le numéro I rassemble les œuvre de «Raphael d’Urbin. L’œuvre de ce Peintre fameux, contenuë dans un Livre en double feuille relié en Maroquin de Levant est de 740 pièces» (p. 20). Certains artistes occupent plusieurs recueils (par ex. Rubens, p. 29-30), d’autres sont regroupés sous une seule reliure. D’autres recueils sont thématiques, comme le «IV. Clair obscur» (où l’on retrouve Raphaël), ou le «XI. Grandes thèses».
Il n’en reste pas moins que, pour le collectionneur, l’idéal serait que son «grand Recueil (…) tombe un jour en quelque main puissante» (p. 14), parce que son nouveau propriétaire pourrait facilement «y adjoûter des choses qui y manquent pour le rendre toujours plus parfait». Et même, la richesse de l’ensemble ne le rendrait «peut-estre pas indigne d’une Bibliothèque Royale, où rien ne se doit négliger» –entendons, où les estampes aussi doivent être conservées et mises à la disposition du public (p. 15). Et de regretter une nouvelle fois le manque d’intérêt des richissimes collectionneurs pour les estampes:
Si plusieurs personnes de qualité, qui ont de l’esprit aussi bien que des richesses, sçavoient le plaisir que donnent les belles Estampes, lesquelles contiennent presque tout ce qu’il y a de plus considérable dans les ouvrages exquis des plus grands Peintres & Sculpteurs qui ont vescu en divers siècles…
Pourtant, le premier objectif du Catalogue est celui de la publicité, et c’est probablement sa publication qui permettra l’acquisition de la collection Marolles par la Bibliothèque du Roi. L'ensemble est en effet acheté à l’initiative de Colbert en 1667, pour le prix très raisonnable de 32 800 ll., et il entre à la Bibliothèque du Roi, dont il forme l’un des fonds à l’origine du futur cabinet des estampes: celui-ci constituera l’un des départements lors de la réorganisation de la Bibliothèque par Bignon, et il est placé sous la responsabilité de son premier «garde», Jacques Le Haye (1720). Quant à Marolles, on sait qu’il constitua ensuite une seconde collection, dont le Catalogue sera publié en 1672 mais qui sera en définitive dispersée.

Notes
(1) Frédéric Briot, Usage du monde, usage de soi: enquête sur les mémorialistes d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1994. Philippe Ariès, «Pourquoi écrit-on des Mémoires? », dans Les valeurs chez les mémorialistes français du XVIIe siècle avant la Fronde, dir. N. Hepp, J. Hennequin, Paris, Klincksieck, 1979. 

(2) Marolles possède par ex. 23 fois l’Image de la création du Monde, 121 Estampes d’Adam et d’Ève, 16 de Cain qui tuë son frère, 15 du Déluge universel & de Noé… (p. 16). Sa collection compte 17300 portraits, dont 3150 images de la Vierge (avec un sous classement : la Vierge seule, avec le Christ, entourée de rayons, etc.) (p. 15). 

(3) Catalogue de livres d'estampes et de figures en taille douce. Avec un dénombrement des pieces qui y sont contenuës. Fait à Paris en l'année 1666, par M. de Marolles abbé de Villeloin, Paris, Frédéric Léonard, 1666, 8°. Voir : Marianne Grivel, «L’amateur d’estampes en France aux XVIe et XVIIe siècles», dans Le livre et l’historien [Mélanges Henri-Jean Martin], dir. Frédéric Barbier et al., Genève, Droz, 1997, p. 215-228. 

(4) Il est évidemment absurde de penser que Démocède pourrait être l'abbé de Marolles: «“Vous voulez, ajoute Démocède, voir mes estampes?”, et bientôt il les étale et vous les montre; vous en rencontrez une qui n'est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d'ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet qu'à tapisser, un jour de fête, le Petit-Pont ou la rue Neuve; il convient qu'elle est mal gravée, plus mal dessinée, mais il assure qu'elle est d'un Italien qui a travaillé peu, qu'elle n'a presque pas été tirée, que c'est la seule qui soit en France de ce dessin, qu'il l'a achetée très cher, et qu'il ne la changerait pas pour ce qu'il a de meilleur. J'ai, continue-t-il, une sensible affliction, et qui m'obligera à renoncer aux estampes pour le reste de mes jours; j'ai tout Callot hormis une seule qui n'est pas, à la vérité, de ses bons ouvrages, au contraire c'est un des moindres, mais qui m'achèverait Callot, je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette estampe, et je désespère enfin d'y réussir: cela est bien rude» (Les Caractères). 

Cliché: Albrecht Dürer, Étude pour une sainte Vierge, 1503 (prov. Michel de Marolles. © BnF).