La situation commence à changer autour de 1700, avec le premier grand recul ottoman et avec la progressive intégration de cette Europe danubienne dans les circuits occidentaux du livre. Pourtant, dans une géographie du rattrapage, le rôle d’un certain nombre d’intermédiaires reste essentiel: les grands prélats, et les nobles, qui reçoivent une formation universitaire, qui voyagent, qui rapportent ou font venir des livres, qui commencent à collectionner et qui réunissent des bibliothèques parfois remarquables.
Progressivement, ce sont ces mêmes personnalités qui assument le rôle de passeurs culturels, soutenant les processus de modernisation et la progressive élaboration des différentes identités collectives structurées autour de chaque langue.
Le comte Sámuel Teleki (1739-1822) voyage et étudie à Bâle, Leyde, Utrecht et Paris, il entre en relations avec les principaux représentants des Lumières. Devenu chancelier de Transylvanie, il séjourne le plus souvent à Vienne, et élabore alors le projet d’une institution originale.
Il s’agit de fonder, à Tîrgu Mureṣ (Marosvásárhely), petite ville de quelque 7000 habitants au centre des domaines des Teleki, une bibliothèque universelle et moderne, et de mettre celle-ci à la disposition du public –ce qui est le cas dès 1802 (Bibliotheca Telekiana).
La collection initialement réunie par le comte compte quelque 40000 volumes, parmi lesquels la plupart des titres des Lumières, mais aussi des imprimés relatifs à la Révolution française, etc. Le comte est aussi un amateur averti, qui a acquis, outre des manuscrits et 52 incunables, des exemplaires d’éditions rarissimes ou précieuses (par ex. les grands typographes, d’Alde Manuce à Bodoni). La bibliothèque de sa femme, décédée en 1797 (environ 2000 titres), est également intégrée.
Teleki s’efforce de faire connaître son entreprise, et le catalogue de la bibliothèque en quatre volumes est imprimé à Vienne de 1796 à 1819. Il n’est pas question de présenter ici de manière trop rapide le devenir de la bibliothèque. Bornons-nous à dire que la Telekiana s’est encore enrichie après la mort de son fondateur, et qu’elle est en ce moment l’objet d’une restauration très profonde, financée principalement par le département de Mures. Les travaux doivent s’achever à relativement court terme, les livres pourront regagner leurs rayonnages, et les chercheurs à nouveau travailler, dans des conditions bien meilleures, sur ce qui reste un des exemples les plus représentatifs des institutions «culturelles» de l’Europe des Lumières.
Clichés (septembre 2011) : 1) Façade du Palais sur la rue. La bibliothèque occupe la partie à droite de la porte cochère. 2) À l’intérieur de la bibliothèque, en travaux de restructuration. La mobilier en place est d’origine. 3) Un fer aux armoiries du comte.
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