La bibliothèque moderne, c'est-à-dire la bibliothèque encyclopédique et accessible au public, se profile d’abord en Italie autour de 1600, avec la fondation par certains grands prélats de bibliothèques disposées dans une salle faisant office tout à la fois de salle de lecture et de magasin à livres (les rayonnages sont disposés le long des murs). La Bibliotheca Ambrosiana, fondée à Milan par le cardinal Federico Borromeo, fonctionne à partir de 1609 et sert de prototype à un plusieurs réalisations semblables en Europe.
Nous sommes dans la perspective post-tridentine: l'Ambrosiana est une bibliothèque savante, conçue comme devant fournir aux théologiens et aux chercheurs les outils nécessaires pour pouvoir répondre à l’érudition des savants réformés. Le modèle milanais sera importé en France par Gabriel Naudé, qui théorise la bibliothéconomie moderne dans son Advis pour dresser une bibliothèque publié pour la première édition en 1627.
Dans le royaume précisément, c'est le temps du libertinage érudit et de la constitution de la culture française moderne. Naudé dédie son Advis à Henri II de Mesmes, président à mortier du parlement de Paris et célèbre amateur de livres dans son hôtel parisien de la rue Saint-Avoye. On sait que, plus tard, Naudé passera au service du cardinal ministre, Mazarin.
Le titre IX de l'Advis justifie la création et l'entretien de bibliothèques par leur ouverture au public, mais la référence reste faite à Rome, avec laquelle les modernes doivent entrer en compétition:
[C’était] une des principales maximes des plus somptueux d’entre les Romains ou de ceux qui affectionnoient plus le bien du public, que de faire dresser beaucoup de ces librairies pour puis après les vouer & destiner à l’usage de tous les hommes de lettres; (...) suivant le calcul (…) de Palladius, [il y en avoit] trente-sept [à Rome], qui estoient des marques (…) certaines de la grandeur, magnificence & somptuosité des Romains (…). Il n’y a maintenant, au moins suivant ce que j’en ay peu sçavoir, que celles du chevalier Bodleui à Oxfort, du cardinal Borromée à Milan & de la Maison des Augustins à Rome, où l’on puisse entrer librement & sans difficultés, toutes les autres (…), qui sont toutes belles & admirables, n’estant si communes, ouvertes à un chacun & de facile entrée comme sont les trois précédentes.
C’est sur les conseils de Naudé que Mazarin ouvrira sa propre collection, chaque semaine le jeudi, à partir de 1643: cette bibliothèque, après bien des vicissitudes, est reconstituée en 1689 au Collège des Quatre Nations, tandis que la Bibliothèque du roi, installée dans l’ancien Palais de Mazarin, sera elle aussi rendue accessible en 1720-1721.
Plus peut-être que le XVIIIe, le XVIIe siècle est ainsi, en France, le temps d'innovation majeur dans le domaine des bibliothèques. Le jésuite Claude Clément (1596-1642) publie alors un célèbre traité de bibliothéconomie, tandis que sort le Traité des plus belles bibliothèques du Père Louis-Jacob de Saint-Charles (1644), lui-même un ami de Naudé. La bibliothèque parisienne de Saint-Victor est ouverte aux savantes, et le modèle se répand en province: ainsi chez les Cordeliers de Troyes (1651) comme, plus tard, avec le don de ses livres fait par l’abbé Boisot aux Bénédictins de Besançon (1694).
Pour autant, si les lecteurs dépassent peu à peu le cercle le plus étroit, il ne s’agit encore que d’un public de savants, d’amateurs et de personnes de qualité, au-delà duquel l’ouverture reste très limitée.
Avec cette première ouverture, nous sommes donc devant un mouvement d’abord impulsé par l’Église, et dont la référence ultime est celle de l’Antiquité. Cette référence reste présente tout au long du XVIIIe siècle, mais, avec Louis XIV, elle débouche se prolonge avec la problématique de la translatio studii: l'imitation des anciens permet de les dépasser (pensons à la célèbre Querelle) et, désormais, la richesse des bibliothèques, à commencer par celle du roi, fait de la capitale du royaume l'héritière indiscutable d'Alexandrie et de son Musée. À l’époque moderne (XVIIe et XVIIIe siècles), la géographie savante par excellence est celle de l'Europe occidentale, et la concurrence se développe bientôt entre les principaux centres, Paris et Londres en tête, mais aussi certaines villes de résidence ou d'université.
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