Nous connaissions Gryphe, la revue des Bibliothèques de Lyon, mais nous regrettons de n’avoir pas signalé plus tôt La Revue de la BNU, alias de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (information).
La Revue a été lancée au printemps 2010, et elle paraît deux fois par an sous forme d’un élégant in-quarto (environ 20 x 28 cm) illustré en couleurs. Chaque livraison (nous attendons la quatrième) comprend des rubriques régulières: «Le dossier» (un dossier thématique), «L’objet» (présentation détaillée d’un «objet» partie du patrimoine de la Bibliothèque, «L’inédit» (publication d’un texte inédit), «Portfolio» (cahier photographique), et des rubriques plus brèves («Actualités», «Acquisitions patrimoniales» et «Varia»). Un contenu éclectique, donc, et surtout d’une grande qualité.
Nous nous réjouissons de cette publication pour deux raisons en particulier.
Passons plus brièvement sur le premier point: nos bibliothèques sont trop isolées, aujourd’hui, des organismes de recherche, notamment universitaires, alors qu’elles constituent de fait de véritables laboratoires (surtout pour les sciences humaines), et qu’elles disposent d’un personnel hautement spécialisé dans des domaines rares et souvent absents de l’université. Elles sont considérées comme des prestataires de services, et les richesses et plus encore les compétences qu’elles renferment restent comme sous le boisseau. Toute initiative pour faire connaître ce capital irremplaçable, pour rapprocher la bibliothèque de son public, et surtout pour faire de l’institution un véritable acteur de la recherche ne peut qu’être saluée et encouragée, surtout s’il s’agit d’une initiative de qualité comme l’est la Revue de la BNU.
Le deuxième point est connu, mais la Revue de la BNU donne l’occasion d'y revenir. Les bibliothèques, au premier chef les bibliothèques de recherche et les bibliothèques patrimoniales, sont à la tête de richesses immenses, mais trop souvent mal mises en valeur, donc mal étudiées.
On pensera évidemment à tout ce qui relève du livre et de l’écrit, mais même à ce niveau la diversité est infinie: seul un petit nombre de spécialistes connaissent, par exemple, le fonds d’égyptologie de la BNU, avec ses ostraca et ses papyrus. Mais ce sont aussi des documents d’archives, des pièces d’archéologie, d’anciens «cabinets de curiosités» (comme à Sainte-Geneviève à Paris) ou encore des objets d’art ayant décoré ou décorant toujours les différentes salles de l'institution.
Le bâtiment de la bibliothèque est lui aussi hautement signifiant, pour les historiens en général et pour les historiens du livre en particulier: son architecture extérieure, bien sûr (signifiante, au pire, …de l’insignifiance et de la médiocrité, ce qui n’est évidemment pas le cas à Strasbourg). Mais aussi son dispositif intérieur: c'est la répartition des collections, ce sont les espaces ouverts ou non au public, spécialisés ou non, c'est la hiérarchie des services, ce sont le mobilier, les éléments décoratifs, etc. Autant d’indicateurs à interroger et à décoder, et qui informent celui qui sait les lire.
Sans oublier la localisation dans la ville, avec les questions de la visibilité et de l’accessibilité: à la BNU, nous voici dans le nouveau quartier «wilhelminien», élevé après 1870 tangentiellement au centre historique et conçu comme une proclamation de la réussite impériale sur les marches de l’Allemagne. Il y a, comme nous l’écrivions ailleurs, une «écologie» du livre et de la bibliothèque dans leur environnement.
Enfin, l’histoire de la bibliothèque est une composante du patrimoine immatériel de l’institution, et des personnalités ou des collectivités (souverain, collectionneur, ville, province, nation) auxquelles elle a appartenu (nous avions évoqué Colmar, Valenciennes, etc.). La bibliothèque est le produit d’une histoire, mais cette histoire constitue en retour l’arrière-plan qui permet de la comprendre, et d'en comprendre les composantes (jusqu'au niveau de l'exemplaire de tel ou tel texte).
La BNU n’échappe pas à la règle, en même temps qu’elle trace comme le miroir de relations franco-allemandes dont on sait la complexité et le caractère longtemps tragique. La richissime bibliothèque de Strasbourg a été détruite une première fois pendant le siège de 1870, puis ses fonds reconstitués à partir d’envois faits par les autres grandes bibliothèques allemandes. C’est donc à Strasbourg que l’on trouvera paradoxalement l’essentiel des fonds de Königsberg (40 000 titres), dont la bibliothèque a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale –Guerre mondiale au cours de laquelle une partie, heureusement moindre, des fonds strasbourgeois a à nouveau disparu.
L'épisode pousse au passage à interroger le concept de patrimoine: la BNU est aujourd’hui une composante très importante du patrimoine alsacien et strasbourgeois, mais ses collections patrimoniales ont en réalité fait l’objet d’une sorte de substitution massive.
Le statut et la désignation sont pareillement révélateurs: la bibliothèque de Strasbourg portait jusqu’en 1918 le titre de Bibliothèque impériale, universitaire et régionale (Kaiserliche Universitäts-und Landes Bibliothek), elle symbolisait comme le triomphe de l’Allemagne nouvelle et le terme même de Land était dans cette perspective chargé de sens (l’Alsace et la Lorraine du nord comme Reichsland) dont sa traduction française courante («régional») ne saurait donner la mesure. Quant à la désignation et au statut actuels de la BNU, ils sont, comme produits d’une histoire spécifique, un cas aujourd’hui unique dans le paysage des bibliothèques françaises.
Bref, la bibliothèque se donne à lire en tant que bibliothèque formant un tout dans le temps, et La Revue de la BNU nous propose pour ce faire un certain nombre de clés. Alors même que la BNU fait l’objet d’un programme massif de restauration et de restructuration, nous ne pouvons que nous réjouir de la prise de conscience des phénomènes auxquels le présent billet fait trop brièvement allusion. Nous reviendrons, dans notre prochain billet, sur la problématique du «Dossier» du premier numéro de la Revue, «Bibliothèques et identité visuelle», pour dire tout le bien que nous en pensons.
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