Plus sans doute que bien d’autres villes d’importance comparable, Angoulême est, surtout depuis le XVe siècle, une cité dont l’histoire est liée à l’écrit et au livre. Depuis 1373 apanage d’une branche de la maison de France, le comté d’Angoulême échoit aux Orléans– jusqu’à l’accession de François d’Angoulême au trône (François Ier, 1515).
La proximité immédiate du fleuve Charente assure déjà la fortune de la ville, par ailleurs à la rencontre de deux importantes voies commerciales, la route de Paris à Bordeaux et celle du Limousin et de l'Auvergne vers leur débouché naturel, La Rochelle.
Parcourons quatre thèmes autour desquels se déploie la présence de l’écrit et du livre à Angoulême. La facilité des échanges y joue un grand rôle, surtout jusqu'à l'époque de la révolution industrielle.
1) Le premier domaine auquel chacun pensera concerne évidemment la fabrication du papier: une papeterie est connue à proximité de la ville en 1516 et, bientôt, le papier d’Angoumois est réputé dans tout le royaume et à l’étranger (Hollande, Angleterre). Le faubourg de l’Houmeau, au pied des remparts enserrant la vieille ville, est proche du fleuve et de la grande route de Bordeaux: c’est le lieu des voitures, des auberges et du port, et de toutes sortes de métiers (charrons, tonneliers, meuniers, etc., et papetiers).
Un moulin à papier tourne sur la Charente en 1792, saisi sur les biens de l’abbaye de Saint-Cybard. L’usine se spécialisera plus tard dans le papier à cigarettes (papier «Le Nil»), et elle a été aménagée, après sa fermeture (1972), pour accueillir une école des beaux-arts et un petit musée du papier éditant par ailleurs des fascicules intéressant sur l'histoire de la branche. Mais il est dommage que l’environnement immédiat soit aussi médiocre et dégradé, avec un grand nombre d’immeubles évocateurs des anciennes activités du quartier, et aujourd’hui à l’abandon…
2) Le second lien d’Angoulême et de sa région avec le livre vient de la présence de la famille royale, surtout Louise de Savoie, femme du duc Charles d’Orléans, et de Marguerite d’Angoulême, sœur de François Ier et future reine de Navarre.
L’imprimerie apparaît à Angoulême en 1491, et la première moitié du XVIe siècle marque une période de grande effervescence, avec la présence en ville d’humanistes, de savants et d’écrivains. Voici les frères de Saint-Gelais, tandis que c’est chez Louis du Tillet que Calvin se réfugie en 1533 pour préparer la Christianae religionis institutio, publiée d’abord en latin à Bâle en 1536, puis en français (L’Institution chrétienne) en 1541. Voici encore André Thévet, compagnon de Villegagnon sur les côtes du Brésil (1555-1556), aumônier de la reine et «cosmographe du roi», mais surtout auteur des Singularitez de la France antarctique, autrement nommée Amérique et de la Cosmographie universelle: Thévet est cordelier, et chanoine de la cathédrale d’Angoulême.
La région est très durement touchée par les Guerres de religion, mais l’historien du livre ne saurait passer sous silence la figure de Guez de Balzac, non seulement en tant qu’auteur (il est né à Angoulême en 1597), mais aussi comme théoricien de la «mise en livre» moderne et de la systématisation des alinéas. Le premier en effet, il justifie par la facilité plus grande de lecture la disposition du texte imprimé en alinéas raisonnés (1644):
Je voudrais qu’il prist la peine de diviser [le texte] en plusieurs sections ou, pour parler comme [le libraire] Rocollet, en des alinéas, comme le sont tous mes discours, qui est une chose qui aide extrêmement celui qui lit et démesle bien la confusion des espèces.
3) Descendons le temps. Impossible de ne pas aussi penser à Illusions perdues, le roman d'un autre Balzac, Honoré. Celui-ci rejoint Zulma Carraud à Angoulême (1831) et séjourne un temps dans la ville. Il mettra en scène dans son roman le «père Séchard», ancien compagnon pressier devenu maître imprimeur, qui souhaite passer la main à son fils, non sans le gruger si possible quelque peu. Balzac nous propose une description à la fois évocatrice et très juste de l’immeuble de la vieille ville abritant l’imprimerie Séchard (au coin de la rue de Beaulieu et de la place du Mûrier, auj. place Louvel):
L’imprimerie (…) s’était établie dans cette maison depuis la fin du règne de Louis XIV. Aussi depuis longtemps ces lieux avaient-il été disposés pour l’exploitation de cette industrie. Le rez-de-chaussée formait une immense pièce éclairée sur la rue par un vieux vitrage, et par un grand châssis sur une cour intérieure. On pouvait d’ailleurs arriver au bureau du maître par une allée, [mais] jamais personne n’était arrivé sans accident jusqu’à deux grandes cages situées au bout de cette caverne (…) et où trônaient d’un côté le prote, de l’autre le maître imprimeur. (…) Au fond [de la cour] et adossé au noir mur mitoyen s’élevait un appentis en ruine où se trempait et se façonnait le papier. Là était l’évier sur lequel se lavaient avant et après le tirage les formes, ou, pour employer le langage vulgaire, les planches de caractères (…). Le premier étage de cette maison, au-dessus duquel il n’y avait que deux chambres en mansardes, contenait trois pièces [d’habitation].
4) Terminons par les années 2000. Depuis une trentaine d’années environ, Angoulême, qui n’est évidemment plus une capitale de la papeterie ni un pôle politique susceptible d’impulser une activité littéraire exceptionnelle, s’est pourtant imposée dans un autre domaine lié au livre: il s’agit de la bande dessinée (la bd), à laquelle un festival est consacré depuis 1974. Le succès de la manifestation a conduit à installer, à proximité immédiate des anciennes papeteries, une institution double, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (CIBDI). Sous les remparts, c’est d'abord la bibliothèque (cf. cliché), qui reçoit le dépôt légal de la bd et dont les collections spécialisées sont parmi les plus riches du monde. Et, sur l’autre rive de la Charente (accessible par une élégante passerelle), c’est le Musée, installé dans d’ancien chais du XIXe siècle.
Une exposition permanente y est présentée, dont nous regrettons pourtant la muséographie quelque peu vieillie (la disposition des pièces dans de grandes vitrines horizontales baignant dans la pénombre obligée suppose d’être relativement grand, mais aussi d’avoir une vue excellente pour pouvoir les voir précisément…). Mais la bd investit aussi la ville, avec les murs peints, avec les noms des rues (dont les plaques adoptent la forme de «bulles»), avec les bustes et autres monuments faisant référence à tel ou tel scénariste ou dessinateur… (cf. cliché).
Bref, une étape moins touristique qu'on ne s'y attendait, mais qui est réellement à découvrir pour l'historien du livre, et pour les autres voyageurs. Sans compter la cathédrale Saint-Pierre, l'église Saint-André, le tour des remparts et la découverte de la ville haute.
Clichés : 1) À Saint-André, la Vierge apprenant à lire (statue en bois, que la notice sur place présente comme datant du XVe siècle?). 2) La bibliothèque de la CIBDI. 3) En ville, un mur peint mettant en scène une star de la bd.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire