
Le Miracle du livre fait référence à cette période. La scène se déroule à Fanjeaux, dans l’ancien hôtel de la famille de Durfort, où une «dispute» est organisée entre catholiques et hérétiques:
«Après avoir échoué à se convaincre l’une l’autre, les deux parties couchèrent par écrit leurs positions (…) et convinrent de procéder immédiatement à une ordalie; alors que la doctrine des hérétiques fut immédiatement consumée, le livre de saint Dominique non seulement échappa aux flammes (où on le jeta à plusieurs reprises), mais il apparut (…) planant au-dessus du brasier, proclamant la juste foi de son auteur» (art. cité, p. 960).
Fra Angelico, dont il faut rappeler qu'il était lui-même dominicain, reprend l'épisode: sur la gauche, le saint se présente pour l’épreuve; sur la droite, nous sommes à l’intérieur du bâtiment, et le livre semble flotter au-dessus du foyer. La scène fait très tôt partie du canon dominicain, et figure parmi les scènes décorant le tombeau du saint à Bologne dans les années 1264 (cliché 2: cliché FB). Sur le tableau, le livre tenu par saint Dominique possède une somptueuse reliure, qui souligne son caractère particulier. Avec la peinture, nous restons d’ailleurs dans le registre de la vie du saint, puisque le Miracle du livre s’insère dans une prédelle représentant plusieurs épisodes successifs de son parcours. Outre le Polyptyque de Cortone, on retrouve la même représentation à la prédelle du Couronnement de la Vierge, aujourd'hui au Louvre (cliché 3).

L’articulation originale entre la raison et la foi est pourtant bien rendue par l’épisode de Fanjeaux: la discussion (disputatio) est d’abord conduite à son terme, sur le mode universitaire, et on ne se réfère à l’intervention divine que dans un second temps, faute de pouvoir emporter la décision par la seule raison humaine. De même, la mise en scène adoptée par le peintre associe-t-elle le nouvel espace pictural rationalisé par la mise en œuvre d'une savante perspective, et la manifestation surnaturelle de la puissance de Dieu. Comme les études de théologie couronnent l’enseignement délivré par les universités, les manifestations de la Parole révélée l’emportent toujours sur une raison humaine qui reste essentiellement bornée.
(Sur le Polyptyque de saint Dominique de Cortone).
Bibliogr. : Gábor Klaniczay, Ildikó Kristóf, «Écritures saintes et pactes diaboliques. Les usages religieux de l'écrit (Moyen Âge et Temps modernes)», trad. Marie-Pierre Gaviano, dans Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2001, n° 4 et 5, p. 947-980 (également disponible par le site persée : http://www.persee.fr/web/revues).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire