Lors de sa dernière conférence, le 21 novembre 2011, Madame Emmanuelle Chapron est revenue sur une problématique en vogue, celle de l’édition scolaire.
Ce secteur éditorial aujourd’hui reconnu comme l’un des principaux de la branche est souvent présenté comme trouvant son origine, en France, dans les premières décennies du XIXe siècle, notamment à l’occasion des «lois Guizot» sur l’organisation de l’enseignement élémentaire.
En réalité, comme le confirme Emmanuelle Chapron, ces origines sont bien antérieures: elles remontent à la fin du XVIIe siècle, même s’il reste difficile, sous l'Ancien Régime, de distinguer précisément les titres à vocation pédagogique de ceux à vocation récréative (le livre d'enfant en général). Les publications de Fénelon (1687) et de Locke (1693) marquent d'ailleurs, en Europe, un temps fort au cours duquel la compréhension du statut de l'enfant, et donc implicitement, pour ce qui nous concerne, du livre d’enfant a été profondément renouvelée.
De fait, l’idée est largement reçue au XVIIIe siècle, selon laquelle le domaine de l'école et de la pédagogie constitue une catégorie en soi au sein de la production imprimée: mais il s’agit d’une catégorie «éclatée» d’un centre de production ou d’un établissement d’enseignement (collège, etc.) à l’autre. La typologie des titres permet de distinguer grossièrement trois segments:
1) au niveau inférieur, les abécédaire, etc.;
2) au niveau médian, les «rudiments» et autres publications notamment destinées aux écoles et aux collèges;
3) au niveau supérieur enfin, les éditions ayant fait l’objet de privilèges en bonne et due forme, et dans lesquelles la «récréation» sera davantage présente.
Emmanuelle Chapron attire avec justesse l’attention sur le caractère très hétérogène du secteur, mais aussi sur le fait que l’édition scolaire joue souvent un rôle stratégique pour l’équilibre économique et financier de nombreuses maisons, notamment dans les villes de province. Elle étudie avec finesse les résultats de la célèbre enquête de 1701, pour mettre en évidence le fonctionnement d’une «culture graphique» du formulaire: d’une étape à l’autre (autrement dit, de la collecte initiale à la synthèse finale), l’information s’appauvrit, de sorte que beaucoup d’indications relatives à la librairie scolaire ont très probablement disparu. Ces publications relèvent souvent du genre des «bagatelles» (par ex. les «feuilles de classiques» pour les collèges), dont le signalement est, pour un atelier typographique, plus le signe d’une misère professionnelle avérée que d’autre chose.
Une caractéristique spécifique se rapporte d’autre part à ce qu’Emmanuelle Chapron appelle les «usages scolaires», alias les petites impressions relevant de la piété et destinées aux enfants. Elle rappelle à ce sujet que, depuis 1669, les écoles de chaque diocèse sont placées sous l’autorité et le contrôle de l’évêque (l'ordinaire) du lieu: par suite, le titre envié d’imprimeur de l’évêque apportera le cas échéant un ensemble important de commandes régulières relevant de ce secteur.
Emmanuelle Chapron s’est arrêtée sur la question de la distribution de ces petites publications, distribution qui, au niveau supérieur, mobilise des librairies de détail, mais qui fait aussi appel à des structures plus spécifiques. Il s’agit notamment de systèmes de revente: des imprimeurs-libraires ou de gros libraires contrôlent un réseau de revendeurs, lesquels vont des libraires établis aux colporteurs, étaleurs de foires et merciers (dans les villages, surtout peut-être dans le dernier tiers du XVIIIe siècle), voire à certaines personnes privées.
Un petit peuple resté en retrait, mais en fait bien présent, est constitué de tous ceux qui hantent les abords des écoles et des collèges, proposant friandises et sucreries, et rachetant aux enfants leurs manuels voire des vêtements (les « hardes ») pour les revendre ensuite. Les libraires en place se plaignent bien sûr de ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale, et, à Reims par exemple, les responsables de la police réussissent à saisir des classiques, mais aussi des titres de la Bibliothèque bleue, cédés par les élèves et proposés ensuite à la vente par les «étaleurs» en ville.
Enfin, Emmanuelle Chapron a conclu en revenant sur la problématique de la diffusion dans une géographie plus large, à travers l’exemple des accords existant entre des professionnels de Troyes et de Paris, au premier chef les Oudot. Toutes ces problématiques débouchent sur la question des «transactions sur l’espace» (nous nous permettons d’ajouter: et sur ses représentations) qui est certainement l’une des plus porteuses que l’on puisse envisager.
La seconde partie de cette conférence novatrice sera présentée à Paris (EPHE) le lundi 28 novembre de 14h à 16h.
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