samedi 23 mai 2020

Sémantique de l'éditeur (1)

En bonne méthode, les historiens ont de longue date une pratique de la critique qui s’étend aussi à la sémantique, autrement dit à la connaissance du sens des mots et de son évolution –ce que l’on appelle la mutation sémantique. De fait, le risque est double:
On transposera, sans plus de précaution, dans le passé, un mot aujourd’hui toujours d’usage courant: pensons par exemple aux mots, et aux concepts, de nation, ou encore d’État, mais aussi, pour l’historien du livre, de bibliographie. Nous sommes confrontés au risque d’anachronisme, risque d’autant plus grand que l’usage courant nous semble en quelque sorte naturel, et que le danger n’est donc pas immédiatement perceptible.
L’inverse est plus facile à déceler, puisqu’il s’agit du contre-sens: interpréter un texte ancien en donnant à tel ou tel terme ou ensemble de termes un sens erroné.
C'est que, bien évidemment, la langue a une histoire, et que la pratique de la langue change selon les époques. Nous ne nous arrêterons pas sur la problématique de la sémiologie, l’articulation entre le signifiant (le mot) et le signifié (l’objet désigné, quelle que soit sa nature), mais  soulignerons l’importance qu’il y a, dans un certain nombre de cas, à envisager rapidement l’histoire d’un mot, son articulation avec un concept, et les utilisations qui en ont été faites. L’historien non spécialiste du langage pourra se reporter utilement aux usuels classiques que sont les dictionnaires étymologiques (dans notre cas, le français, mais aussi le latin, etc.), les dictionnaires anciens (par ex. les différentes éditions du Dictionnaire de l’Académie française), et les bases de données du type de celle proposée en ligne par le Trésor de la langue française et ses autres outils de travail (le CNRTL notamment, mais aussi Gallica).
Une autre méthode, particulièrement fructueuse, permet aussi de se déprendre autant que possible de certains automatismes de pensée: il s’agit de faire appel au comparatisme linguistique. Comment la même réalité historique ou le même concept sont-ils rendus selon les époques dans différentes langues ou, inversement, comment tel terme sera rendu (traduit) dans une autre langue (1)? Un outil extrêmement précieux, mais relativement méconnu en France (par suite surtout de la méconnaissance de la langue), nous est fourni par le monumental usuel de Brunner, Conze et Koselleck, Concepts historiques fondamentaux. Dictionnaire historique de la langue socio-politique en Allemagne (2). L’introduction, signée de Reinhard Koselleck, précise que le Dictionnaire informe sur l’utilisation de chaque concept retenu envisagé dans les langues autres que l’allemand, et sur son évolution sémantique.
Mais passons maintenant à un exercice d’histoire du livre, à propos de la famille de mots développée autour d’«éditer». Quelle figure plus classique, dans notre littérature, que celle de l'éditeur, ce «baron de la féodalité industrielle», pour reprendre la formule d’Henri-Jean Martin. Curmer le met en scène, Balzac et Maupassant s’étendent sur les rapports entre l’écrivain et l’éditeur, tandis que les Goncourt reviennent sur leur passage, un soir, au Café Riche, à Paris boulevard des Italiens, où trône l’éditeur milliardaire, alias Michel Lévy –même si le mot d’«éditeur» n’est toujours pas prononcé:
Nous allons avec lui [Xavier Aubryet, écrivain et critique littéraire] au café Riche, où Marchal lit le Rabelais et où Lévy, à côté de lui, prend magistralement un sorbet au rhum, un œillet à la boutonnière. Il est là, le pacha de la librairie, daignant sourire, pendant qu’Aubryet le gratte, le déride, lui tape moralement sur le ventre, fait des cabrioles de phrases, jongle avec ses plus beaux paradoxes et joue son grand jeu (…). Lévy le remercie de l’œil, à la façon d’un sauteur par lequel un roi se laisserait amuser… (3)
Lrs Français peints par eux-mêmes, t. IV p. 522: "L'éditeur"
Le triple cliché se répand de plus en plus largement, de l’écrivain famélique, du bourgeois (comprenons, du public) ignare, et de l’éditeur rapace. Mais, en définitive, qu’est-ce qu’un éditeur, et surtout comment fonctionne la constellation sémantique qui se déploie autour du terme?
Le mot est évidemment d’origine latine, à travers un dérivé (< edere) de dare, dans le sens de «donner au dehors», «mettre au jour», «publier» (Arnoult et Meillet, qui renvoient au grec ἐκδίδωμι). La référence au français «édit» éclaire tout particulièrement bien cette acception. Le latin emploie effectivement edere au sens de «publier un texte», comme le montre une Lettre bien connue de Pline le Jeune (fin du Ier siècle ap. J.-C.). Pline explique comment le texte, une fois rédigé, peut passer dans le circuit public, mais selon des protocoles très variés: l’auteur ou le dépositaire du texte en fera la lecture à un cercle d’amis et de connaissances (dans un salon de lecture, un auditorium), ou à un public plus large (dans un odéon, c'est-à-dire un théâtre couvert accueillant les représentations musicales, les déclamations et les lectures). La Lettre éclaire bien les concepts de «livrer au public» (publicare), et d’«éditer» (edere), par opposition au choix de «conserver [son travail] par devers soi» (continendo):
Ayant l’intention de donner lecture d’un petit discours que je songe à livrer au public [publicare], j’ai requis quelques invités pour redouter leur critique (…). Car j’ai deux motifs de donner des lectures: le premier, c’est d’aiguiser mon application, le second, c’est de me faire avertir des fautes qui, venant de moi, m’échappent à moi. J’ai eu ce que je souhaitais, j’ai trouvé des auditeurs pour accepter de former mon conseil; de plus, j’ai moi-même noté des corrections à faire. J’ai corrigé l’ouvrage, je vous l’envoie. Vous en apprendrez le sujet par le titre (…). Je désire qu’à votre tour vous m’écriviez votre sentiment sur le tout, sur les parties, car je serai plus porté soit à la sagesse de le conserver [par devers moi: in continendo], soit au courage de l’éditer [in edendo] selon que le poids de vos conseils fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre… (Lettres, V, 14, à Terentius Scaurus).
En français au contraire, l’acception du groupe «éditeur» («éditer») est plus ambivalente. En effet, sur le plan historique, l’usage est d’abord celui de désigner l’éditeur scientifique. La première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694) reste indécise: le seul mot retenu est celui d’«édition», avec l’acception de «publication du livre» et, par extension «impression» (sic), ce dernier point étant illustré par l’exemple «De l’édition de Griphe». Le Dictionnaire de Trévoux, dans son édition de 1732, ne signale lui aussi que l’acception de l’éditeur scientifique.

Comme on le sait, le terme d’usage dans le domaine de la librairie est celui non pas d’«éditeur», mais de «libraire de fonds»: il s'agit du professionnel possédant les droits sur un ensemble de titres qui constituent son fonds (le fonds éditorial) et qu’il s’emploie à exploiter. La nouvelle édition du Dictionnaire de l’Académie donnée en 1740 tend implicitement vers cette acception à travers la formulation suffisamment vague d'après laquelle l’éditeur est «celui qui prend soin de revoir & de faire imprimer l’ouvrage d’autrui» –même si la dimension scientifique du travail  domine toujours, l’investissement financier peut se lire dans l'idée d'un donneur d’ordres commandant le travail à l’atelier d’imprimerie (4). En revanche, cette même édition du Dictionnaire ne définit toujours le «libraire» que comme un «marchand de livres» (avec quelques exemples que l'on dira... bien choisis, comme celui de «libraire de l’Académie françoise»), mais ne dit rien de la fonction éditoriale. De même, l’article « éditeur » donné par Diderot à l’Encyclopédie ne se réfère-t-il toujours qu’à la dimension scientifique du travail éditorial.
En France, l’un des premiers éditeurs au sens moderne du terme est certainement Charles-Joseph Panckoucke, qui fait ses classes dans le domaine de la presse périodique, mais qui n’hésite pas à étendre ses affaires par des «coups» financiers –même si ceux-ci ne réussissent pas toujours. Après avoir  fondé le Moniteur, il y donne une définition plus exacte du travail éditorial qui est le sien... en même temps qu’un bel exemple de discours éditorial. C’est la «manutention économique» de ses affaires qui l’accapare tout entier, et il ne saurait bien sûr intervenir en rien dans le travail de ses auteurs (octobre 1790, p. 156):
Je déclare de nouveau que je n’ai aucune part, ni directe ni indirecte, à la rédaction & composition de ces ouvrages périodiques. Accablé par les détails de la manutention économique de mes propres affaires, je n’ai point le temps de lire les épreuves des journaux, je n’ai point le droit d’en être le censeur, je n’ai point celui d’en changer les auteurs à ma volonté, ayant passé avec eux des actes devant notaire…
Que la lexicographie soit en retard par rapport à des évolutions dont elle ne peut rendre compte qu’après coup ne saurait nous étonner. Plus remarquable apparaît en revanche la relative rapidité avec laquelle la nouvelle désignation de l’«éditeur» comme celui qui édite des livres se répand, en français, à partir du tournant des années 1800. Le paysage de la librairie tend alors à changer de manière de plus en plus sensible selon que l'on avance vers la seconde révolution du livre, la révolution de l'industrialisation et, surtout, de la librairie de masse:
Éditeur, puissance redoutable qui sers au talent d'introducteur et de soutien! Talisman magique qui ouvre les portes de l'immortalité, chaîne aimantée qui sert de conducteur à la pensée et la fait jaillir au loin en étincelles brillantes, lien mystérieux du monde des intelligences; éditeur, d'où vient que je ne sais de quelle épithète te nommer? Je t'ai vu invoqué avec humilité et attaqué avec fureur, poursuivi du glaive et salué de l'encensoir; j'ai vu les princes de la littérature t'attendre à ton lever comme un monarque puissant, et les plus obscurs écrivains te jeter la pierre comme à un tyran de bas étage... (Élias Regnault, art. «L'éditeur», dans Les Français peints par eux-mêmes, ouvr. cité).  
Mais que le lecteur trop indulgent se rassure: dans une semaine, nous publions la deuxième partie du présent billet, laquelle sera relative à la sémantique allemande de l’éditeur, le Verleger. Et, par là même, nous changerons de constellation, donc de perspective, par rapport à la géographie des langues latines.

Notes
(1) L’historien germaniste connaît de longue date la difficulté de rendre en français des termes comme Aufklärung («Lumières»), Bildung («formation»), Bürgertum («bourgeoisie») ou encore Öffentlichkeit («publicité»).
(2) Geschichtliche Grunbegriffe. Historisches Lexicon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, dir. O . Brunner, W. Conze, R. Koselleck, Stuttgart, Ernst Klett, 1972-1997, 8 t. en 0 vol. On remarquera les problèmes posés par la simple traduction du titre.
(3) Journal des Goncourt, 1857, p. 377.
(4) La même édition de 1740 propose un article «fonds» dont le développement est sensiblement plus long: le fonds désigne une «somme d’argent» engagée dans une opération financière. Les mêmes acceptions seront pratiquement celles  retenues dans l’édition de 1798.

Quelques billets récents
Gabriel Naudé confiné
En 1867, un «voyage extraordinaire»
Passeur culturel et fondateur de bibliothèques
Retour au blog

samedi 16 mai 2020

Héraldique à l'université de Bologne

István Csízi, Zsuzsa Kovács, Csilla Utasi,
Stemmi di studenti ungaro-croati all’Archiginnasio di Bologna,
Budapest, MTA Könyvtár és információs Központ, Kossuth Kiadó, 2020,
326 p., ill.
ISBN 978 963 544 046 7

Apparue à la fin du XIe siècle, l’Université de Bologne est, avec celle de Paris, la plus ancienne du monde occidental, et elle est tout particulièrement réputée (avec Orléans, en France) pour l’enseignement du droit. Au XVe siècle, la ville de Bologne elle-même, l’une des plus importantes d’Europe, est contrôlée par la famille des Bentivoglio mais l’élection pontificale de Jules II (1503) est rapidement suivie de l’annexion de la Romagne et des possessions de César Borgia. Bientôt, Bologne est intégrée dans l’État pontifical, et dès lors administrée par un légat nommé par le pape. Son importance, sa richesse et sa position géographique stratégique sur les routes d’Italie expliquent que la ville ait été choisie pour le couronnement impérial de Charles Quint, en 1530, et que le concile de Trente y ait été un moment déplacé, en 1547.
Dans l'un des escaliers du palais: partout, des armoiries
Au tournant des années 1560, le pape Pie IV, de la famille Médicis –et lui-même ancien étudiant de Bologne–, entreprend de regrouper dans un nouveau bâtiment les deux facultés de droit et d’arts libéraux, dont les écoles sont jusqu’alors dispersées: le projet de l’Archiginnasio est établi par l’architecte Antonio Morandi. L’Université y aura son siège jusqu’au tout début du XIXe siècle. Signalons que, depuis 1838, le bâtiment abrite aussi les richissimes collections de la Bibliothèque de la ville de Bologne (Biblioteca communale dell’Archiginnasio) (1). Une particularité du palais est d’avoir été entièrement décoré de fresques représentant les armoiries d’anciens membres de l’Université, professeurs comme étudiants: quelque 7000 blasons au total (2).
Rien de surprenant si le renom de l’Université a attiré à Bologne des étudiants de l’Europe entière, voire d’outre-mer. Le premier étudiant venu des Amérique est Diego de León y Garavito, né à Lima en 1575, et reçu docteur en droit à Bologne en 1610. L’ouvrage dont nous rendons brièvement compte ici présente le catalogue des personnalités ayant travaillé à Bologne, qui sont originaires de l’ancien royaume de Hongrie et dont les armoiries sont conservées à l’Archiginnasio (avec des corrections pour les fausses attributions).
Bien évidemment, la conjoncture de la Hongrie à l’époque moderne est tout à fait particulière. La défaite de Mohács (1526) et la chute de Buda (1541) aboutissent à la dislocation de l’ancien royaume de Mathias Corvin: au centre, la plaine du Danube est occupés par Ottomans; à l’ouest et au nord, un territoire en arc de cercle correspond au royaume de Hongrie, avec sa capitale de Presbourg (Pozsony / Bratislava); à l’est, la Transylvanie constitue une principauté pratiquement indépendante; au sud, le royaume de Croatie, partiellement amputé par l’avancée des Turcs, est en union personnelle avec la Hongrie (3).
Les jeunes gens du royaume de Hongrie faisaient souvent leurs études supérieures en Italie et à Bologne, mais la crise du XVIe siècle entraîne une baisse des effectifs, à la fois à cause de la guerre dans el bassin du Danube et par suite de la diffusion de la Réforme. C’est pour répondre à cet état de choses que la prévôt (praepositum) d’Esztergom (Gran) et de Zagreb Pál Szondy fonde en 1557 à Bologne un collège pour accueillir ses compatriotes: dans la pratique, l’Université de Bologne enregistrera d’abord des membres originaires de Croatie (Illyrie), tandis que les étudiants catholiques hongrois se tourneront plutôt vers le Collegium Germanum-Hungaricum fondé en 1580 à Rome. 
Dans l"'une des salles de la Bibliothèque de l'Archiginnasio
Une introduction d’une trentaine de pages propose une synthèse efficace sur les étudiants bolognais venus de Hongrie, de Croatie et de Transylvanie, puis une présentation de l’héraldique hongroise à l’Archiginnasio. L’essentiel du volume est constitué par les quarante-quatre notices biographiques des étudiants dont les armoiries ont été conservées et identifiées avec certitude. L’ensemble est complété par des plans de situation, par une vaste bibliographie, et par un index nominum et locorum. Enfin, on ne peut que souligner la richesse iconographique exceptionnelle qui est celle de l’ouvrage.
Au total, un approfondissement précieux sur les l’histoire des universités, sur la pratique de la peregrinatio, et sur les liens du monde des clercs avec l’économie du livre (4). Les aperçus implicites sur l’anthropologie historique sont partout présents, à travers les systèmes de sociabilité (pensons aux «livres d’amitié» (5)), le statut et le rôle de l’héraldique, l'organisation des «Nations» ou encore la trajectoire de certaines familles (comme les Cikulini, p. 83 et suiv.). Nous savons que l’Europe danubienne des XVIe et XVIIe siècles n’est pas encore intégrée aux réseaux de la librairie occidentale, et qu'une grande partie des imprimés entrant dans le pays y sont rapportés par les voyageurs et par les étudiants partis se former à l’étranger: l’exemple de Bologne fournit des clés pour approfondir ces phénomènes.
Notre seul regret sera l’absence, dans le volume ici présenté, d’une carte permettant de situer les lieux d’origine des différents personnages.

Notes
(1) Biblioteca communale dell Archiginnasio, dir. Pierangelo Bellettini, Firenze, Nardini editore, 2001.
(2) Un ensemble comparable, mais moins important, est conservé dans le bâtiment historique de l’Université de Padoue. Les blasons de Bologne sont reproduits en ligne.
(3) La plus grande partie de la côte dalmate est sous domination vénitienne, tandis que, au nord, les Habsbourg contrôlent les débouchés sur l’Adriatique entre Trieste et l’Istrie.
(4) Nous signalons au passage un ouvrage récemment paru et qui analyse dans une perspective comparatiste l’articulation entre l’institution universitaire et l’économie du livre des origines à nos jours : Livros e Universidades, dir. Marisa Midori Deaecto, Plinio Lartins Filho, São Paulo, COMARTE, 2017.
(5) Cf «Ars longa, vita academica brevis». Studien zur Stammbuchpraxis des 16.-18. Jahrhunderts, éd. Klára Berzeviczy, Péter Lökös, Budapest, Országos Széchényi Könyvtár, 2009 («L’Europe en réseaux / Vernetztes Europa», VI).

samedi 9 mai 2020

Théorie de la modernisation

Le temps du confinement est l’occasion de reprendre des travaux anciens, de découvrir (ou de redécouvrir...) des publications datant de quelques années, voire de plusieurs décennies. La catégorie et la théorie de la «modernisation» ont de longue date intéressé les historiens européens, à la suite de leurs collègues anglo-saxons. Heinz Schilling l’aborde avec précision, dans un article important publié en 1982 et où l’auteur fait un sort à part à la géographie des «Pays-Bas du nord», celle des Provinces-Unies (1): la case study permet  d’articuler une certaine forme de pensée théorique avec l’expérience qu’apporte seul le travail sur les realia de l’histoire. Dans le même temps, c’est peu de dire que la «modernisation» intéresse au premier chef l’historien du livre et de la «civilisation du livre», pour prendre l’intitulé de la conférence inaugurée à l’École pratique des Hautes Études par Henri-Jean Martin.

1- LEXICOGRAPHIE ET HISTORIOGRAPHIE
Lexicographie
Mais qu’est-ce précisément qu'être «moderne» (2)? Un détour par la lexicographie peut nous éclairer: «moderne» est bien évidemment d’origine latine, en tant que dérivé du substantif modus (i), au sens de «mesure» physique (mesure de surface) puis abstraite. L’ablatif modo est employé adverbialement, et signifie «avec mesure», «de manière juste» et, par restriction «seulement» (non modo… sed etiam). Par suite, le terme pourra aussi glisser vers une acception temporelle, comme l’explicite Donat commentant Térence: Hic «modo» adverbium temporis praesentis est.
L’adjectif bas-latin modernus est formé à partir de l’adverbe, sur une construction du type hodiernus (< hodie, aujourd'hui): le sens est celui de «récent», «actuel» (Arnout et Meillet). Le mot passe en français au XVe siècle, et il est d’abord employé dans l’enseignement universitaire: les moderni sont «les hommes des époques récentes», par opposition aux Anciens. Cette acception domine toujours au XVIIe siècle, avec la célèbre «Querelle des Anciens et des Modernes» : même si nous la retrouvons encore dans l'article «moderne» de l'Encyclopédie, l'acception s’élargit pourtant au XVIIIe siècle, et fait l’objet d’une valorisation croissante jusqu’à aujourd’hui. Ce qui est moderne est assimilé à une marque de progrès (Dict. étym. Langue fr.). Nous sommes donc devant un concept dont la signification se déplace: à chaque époque, le «moderne» désigne peu ou prou ce qui est «actuel» (par rapport à ce qui a précédé), avec une implication généralement positive. Le Trésor de la langue française confirme l'analyse:
[L'idée dominante pour le locuteur est celle de présent ou de proche passé] Qui existe, se produit, appartient à l'époque actuelle ou à une période récente.
En revanche, le substantif dérivé, «modernité», garde un sens plus abstrait: il s’agit de désigner le moderne en soi et, pour l’historien, les composantes qui le constituent en tant que tel et qui le donnent à voir d'une époque à l'autre. Un second dérivé, celui de «modernisation», désigne non plus l’état, mais le procès même de construction de la modernité.
Historiographie
Nous retrouvons bien la perspective de l’actualité lorsque nous reprenons la question sur le plan historiographique. En s’appuyant sur le double concept  «modernisation» / « modernité», les chercheurs anglo-saxons travaillant dans le domaine de la sociologie se sont en effet efforcés de proposer des outils qui permettraient de caractériser la transition vers la société industrielle et vers la démocratie –il s’agissait donc avant tout des XIXe et XXe siècles. Leurs travaux montrent que l’essor économique se combine alors avec la spécialisation des activités, avec la montée en puissance de la participation politique, l’essor de l’individualisation et la sécularisation (du moins dans le domaine intellectuel et scientifique). Encore une fois, il est logique que la «modernisation» soit globalement connotée positivement, et que sa théorie amène à distinguer les sociétés «pionnières» des sociétés «suiveuses», établissant ainsi une échelle entre niveaux de développement plus ou moins «avancés».
Avouons que l’idée est séduisante, et qu’elle recouvre une part de la réalité historique (l’industrialisation, la démocratisation). Mais, sans entrer dans une discussion qui ne relève pas de notre propos, la théorie se réfère implicitement à un projet téléologique –dans le pire des cas, le concept sera «daté», parce qu’il se fonde sur un a priori, ou sur une démonstration d’ordre idéologique, voire politique.
Nous l'avons dit, la galaxie «moderne / modernité / modernisation» intéresse tout particulièrement l’historien du livre. Schilling explique en effet que le concept de modernisation ne saurait désigner exclusivement des phénomènes relatifs à la période la plus récente (XIXe et XXe siècles), mais qu’il se décline aussi pour des périodes antérieures –et tout particulièrement pour les XVIe et XVIIe siècles. Dès lors, il ne s’agira plus de construire une analyse globalisante d'un processus donné (d'ordre principalement économique et socio-politique), mais de proposer une mise en perspective comparatiste entre différents espaces géo-politiques, mise en perspective appuyée sur un élargissement du champ même de la «modernité» au domaine de la «culture».
Dès lors que la modernité est assimilée à un concept constamment actualisé et réactualisé, le travail portera en effet d’abord sur les phénomènes de langue. En tant que concept dont le contenu change d'un temps à l'autre, la «modernité» relève de l’habitus culturel de chaque époque se présentant et se représentant elle-même comme différente sur un certain nombre de points de celles qui l’ont précédée. Que les humanistes se soient représentés eux-mêmes comme les acteurs d’une modernité opposée à l’«obscurité gothique», et que l’invention de la typographie en caractères mobiles soit pour eux un des événements principaux qui marquent le changement, le fait n’est pas douteux (on pensera à Rabelais). Dans le même temps, à côté des faits de langage, l’historien de la «modernité» voudra appuyer son travail sur des données statistiques, renforçant ainsi le statut scientifique de sa démarche: or, l’histoire du livre dispose de données chiffrées, par lesquelles caractériser dans le temps l’économie de la production et de la «consommation» des imprimés. Schilling insiste lui aussi sur le fait que le processus de «modernisation» implique des transformations d’ordre culturel au sens large: la «seconde révolution du livre», la révolution gutenbergienne, engage en effet un certain nombre de sociétés occidentales sur la voie de la modernité, comme l’explicite aussi le sous-titre de L’Europe de Gutenberg (3).

2- LA PROVINCE DE HOLLANDE
Les Provinces-Unies en 1648 (© Andreas Nijenhuis)
Les Pays-Bas du nord et la Hollande
En bonne méthode, Schilling appuie l’essentiel de sa théorie de l'émergence de la «modernité» sur l’étude d’un cas, en l’occurrence celui des Pays-Bas du nord, puis des Provinces-Unies. De fait, les Provinces-Unies sont le lieu d'un véritable «miracle» qui permettra à une coalition de quelques provinces d'importance a priori secondaire (moins de 2 millions d'habitants vers 1680...) de mettre en échec la puissante monarchie espagnole. Revenant sur le rôle des indicateurs culturels et remontant la chronologie, Schilling évoque rapidement le rôle des Frères de la Vie Commune et de leurs écoles, et le développement de la devotio moderna, notamment dans une ville de transit (un port) comme Deventer (cf p. 513). Puis il souligne le rôle du média dans le processus de modernisation: la prototypographie, puis la typographie (4) apparaissent très tôt dans les anciens Pays-Bas, où les livres circulaient déjà de longue date.
La géographie de développement n’est pas figée, et l’axe majeur des anciennes provinces bourguignonnes se déplace progressivement vers le nord: la première partie du XVIe siècle est le temps du triomphe d’Anvers, et de Plantin, quand les sept «provinces du nord» font sécession du royaume d’Espagne (1568), ouvrant ainsi la «Guerre de quatre-vingts ans» (jusqu’en 1648, avec les traités de Westphalie). Une autre histoire commence dès lors à s'écrire.
La principale des Sept provinces est celle de Hollande, sur laquelle Schilling se penche plus précisément. Elle est caractérisée par sa densité de population et par son urbanisation, regroupant les grandes villes de Rotterdam (40 000 hab. vers 1680), Leyde (70 000 hab.), Haarlem (40 000 hab.) et Amsterdam, à la fois principale pôle démographique du pays (quelque 200 000 hab.) et son centre économique, avec la Bourse, entourée par les boutiques des libraires (cf cliché) (5). Sa démographie présente aussi des caractères très spécifiques, avec une population au sein de laquelle le poids du secteur primaire (l’agriculture) se fait plus relatif par rapport aux secteurs secondaire et tertiaire. Les échanges et les déplacements sont constants, facilités par l’essor précoce des moyens de transport réguliers (la route, certes, et le cabotage, mais aussi les canaux):
[les] villes [sont] distantes de deux ou trois heures (...). Il n'y a pas autant de carrosses dans les rues de Rome qu'il y a ici de charrettes remplies de voyageurs, tandis que les canaux qui coulent dans toutes les directions à travers le pays sont couverts (...) d'innombrables bateaux (Isaac de Pinto, 1627).
Pour autant que l’on puisse les connaître, les taux d’alphabétisation sont remarquables, avec, à Amsterdam, 60% de la population masculine en mesure de signer son acte de mariage au XVIIe siècle, et 85% à la fin du XVIIIe (32% et 64% pour les femmes). 
Les conditions du développement: liberté, participation 
Le siècle d’or des Provinces-Unies est le XVIIe siècle, quand la petite république protestante détient les trois-quarts du tonnage marchand des flottes européennes, détrônant ainsi l’ancienne domination de Venise (Andreas Nijenhuis). L’essor de la flotte et du commerce s’accompagne de la montée en puissance de la production cartographique à Amsterdam, avec les Hondius, Jansson et Blaeu. Les voyageurs ne s’y trompent pas, qui soulignent la modernité d’une société érigée en modèle. On connaît la formule de Descartes, même si celui-ci se réfère non pas précisément à la modernité... mais bien à la renaissance des anciens:
Y a-t-il un pays au monde où l’on soit plus libre, où le sommeil soit plus tranquille, où les lois veillent mieux sur le crime, où les empoisonnements, les trahisons, les calomnies soient connus, où il reste enfin plus de traces de l’heureuse et tranquille innocence de nos pères? (Lettre à Guez de Balzac, 1634).
Dans le même temps, les Provinces-Unies deviennent une terre de refuge non seulement pour les Huguenots wallons (les Français suivront surtout à la fin du XVIIe siècle), mais aussi pour les auteurs et intellectuels cherchant à échapper à des contrôles trop tatillons.
La «librairie»
L’alphabétisation élevée, et le haut niveau de tolérance (6), sont les deux facteurs qui rendent possible l’essor de la librairie néerlandaise. Les professionnels sont organisés en guildes locales, et fixent eux-mêmes de concert leurs pratiques de travail et leurs modes d’apprentissage (donc, les conditions d’accès à la profession) –d'une certaine manière, nous sommes devant un système qui préfigure celui que mettront en place les libraires allemands autour de Leipzig à partir de la décennie 1760.
Un autre élément intervient encore, qui concerne la diffusion: la participation à la vie publique se manifeste, certes, par la diffusion large d'une littérature de colportage, mais aussi à travers le développement de la presse périodique, et Schilling souligne le fait que, en 1645, dix périodiques sortent chaque semaine à Amsterdam. Le dernier point concerne les activités de négoce: en dehors même des Provinces-Unies, les réseaux de professionnels du livre, appuyés sur ceux des banquiers et des négociants, s’étendent à travers tout le monde occidental, d’Édimbourg à Copenhague, Breslau / Wroclaw, Rome et Lisbonne. Il n’est que de citer, à nouveau, l’exemple de Descartes, faisant paraître son Discours de la méthode à Leyde en 1637. Au total, la librairie des Provinces-Unies ne travaille évidemment pas pour les seules Provinces-Unies, mais elle se fera aussi une spécialité de l'édition en langue française pour l'étranger.
Herman De la Fontaine estimait, dans ses travaux pionniers que la «librairie hollandaise» a assuré peu ou prou la moitié de la production mondiale d’imprimés au XVIIe siècle...
Retour sur la modernité néerlandaise
Ill. d'après Otto Lankhorst, art. cité
La société des Provinces-Unies est ainsi très tôt marquée par une forme de liberté individuelle, par la déconcentration des pouvoirs et par l'usage constant de la concertation et de la négociation entre les acteurs. Pour autant, elle reste, pour Fernand Braudel, une société traditionnelle, en tant qu'elle marque le triomphe d'une «économie ancienne à domination urbaine» (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, III, p. 145). La question du statut des religions est plus complexe, même si nous sommes dans un modèle de développement multiconfessionnel. En définitive, le modèle politique se distingue autant du modèle de l’absolutisme centralisé à la française que du modèle de la monarchie tempérée à l’anglaise –les deux exemples classiques sur lesquels a été bâtie la théorie de la modernité / modernisation. La conjoncture des Pays-Bas deviendra pourtant plus médiocre au XVIIIe siècle (cf Braudel, loc. cit.), y compris dans la branche de la librairie, en partie par suite de la concurrence extérieure (on pense par ex. à l’essor des presses périphériques hors de la Hollande, à Bouillon, Liège, Deux-Ponts, etc.). Dans le même temps, l’Angleterre s’impose de plus en plus évidemment comme la première puissance mondiale.
Au total, la diversité des expériences historiques illustre la diversité des trajectoires de la «modernisation»: la modernité n’est pas un état, et son étude suppose une mise en perspective chronologique. Du côté de l'histoire du livre, le travail a été engagé, s’agissant autant de la «révolution gutenbergienne» que de l’industrialisation de la librairie (6). Nous ne pouvons en définitive que suivre Heinz Schilling lorsqu’il plaide pour la réappropriation du concept de «modernisation» et pour l’étude des conditions préliminaires du phénomène qu'il désigne. Et nous ne pouvons que l’approuver encore lorsqu’il plaide pour un décloisonnement de concepts, qu'il convient en effet de dégager des gangues idéologiques dans lesquels ils se sont parfois trouvés pris.

Notes
(1) Heinz Schilling, «Die Geschichte der nördlichen Niederlande und die Modernisierungstheorie», dans Geschichte und Gesellschaft, 1982 (8), p. 475-517. La première date de publication de ce travail est significative d’un environnement historiographique marqué par la Guerre froide. Le texte sera repris en anglais en 1992, donc trois ans après la chute du Mur, dans Religion, political culture and the emergence of Early modern Society, quand la théorie de la modernisation déjà fait l’objet d'un certain niombre de critiques.
(2) Il faut entendre le terme comme désignant le processus de passage à la modernité (alld Modernisierung).
(3) Frédéric Barbier, L’Europe de Gutenberg. Le livre et l’invention de la modernité occidentale, Paris, Belin, 2006 (trad. en anglais, en hongrois, en portugais et en russe).
(4) À Utrecht en 1474. Mais les imprimés circulent bien antérieurement à travers les Pays-Bas du nord, et la poussée de la demande est telle que les professionnels s’emploient à y répondre par différentes techniques de gravure (les livrets xylographiques) et de prototypographie. D’une certaine manière, cette question resurgira avec la compétition entre Haarlem, Strasbourg et Mayence comme ville où s’est faite l’invention de la typographie en caractères mobiles.
(5) Le triomphe d'Amsterdam éclate dans la dynamique démographique d'une ville qui comptait à peine 12 000 hab. au début du XVIe siècle. À la fin du XVIIe siècle, Amsterdam s'est imposée comme une «ville mondiale« (Weltstadt).
(6) La tolérance est une conséquence du fait que les autorités centrales, voire régionales, ne traitent que rarement des affaires de librairie: la censure préventive n’existe pas, non plus que l’obligation du privilège. Cf Otto Lankhorst, «"Le miracle hollandais": le rôle des libraires hollandais aux XVIIe et XVIIIe siècles», dans Histoire et civilisation du livre. Revue internationale, 2007 (3), p. 251-268.

Quelques billets récents
Gabriel Naudé confiné
En 1867, un «voyage extraordinaire»
Passeur culturel et fondateur de bibliothèques
Retour au blog

samedi 2 mai 2020

Une source majeure sur la "librairie" des XIXe et XXe siècles

Notre collègue et amie Madame Christine Haug, professeur d’histoire du livre et directrice du «Centre pour la science du livre» de l’Université Ludwig-Maximilan de Munich (LMU) (voir ici), nous transmet une nouvelle importante concernant la mise en ligne de sources massives sur la période contemporaine (XIXe et XXe siècles): il s’agit de la Börsenblatt für den deutschen Buchhandel (littéralement: Feuille boursière pour la librairie allemande), qui est, depuis sa fondation en 1834, le principal périodique professionnel de la branche.
Le titre, publié en grand format, est quotidien, et son contenu se subdivise en trois parties: 1) Partie officielle: activités du Börsenverein, événements intéressant la branche, nouvelles publications. 2) Varia (Nicht-amtlicher Teil): articles (sur l’économie de la branche, etc.) et communications ponctuelles, y compris à caractère personnel. 3) Annonces (Anzeigeblatt): faillites, cessions de fonds, associations, publicités de nouveautés, etc. La richesse de cette collection est infinie et, si elle intéresse évidemment au premier chef l’histoire de la «librairie allemande», elle touche aussi aux autres géographies: en témoigne, à titre d'exemple, la notice nécrologique concernant Marie Pellechet, insérée dans la partie de Varia du n° 293, en date du mardi 18 décembre 1900, p. 10144 (!) (voir le cliché).
Nous publions ci-après la traduction légèrement adaptée du courriel de Madame Haug, en y ajoutant quelques notes pour le public moins familier des institutions de la recherche et de l’enseignement supérieur en Allemagne. Le fait que la numérisation de la Börsenblatt ait été faite en mode texte et la commodité des modes d’interrogation prévus par le site facilitent considérablement la recherche. 

Börsenblatt Digital (1834-1945)
Coopération avec la SLUB (Sächsische Landes, Staats und Universitätsbibliothek) de Dresde, la Bibliothèque nationale allemande de Leipzig et le Centre pour la science du livre» (LMU Munich)
Les premières réflexions sur la numérisation, l'indexation et éventuellement la fusion virtuelle des revues professionnelles des libraires de l'espace germanophone depuis leurs origines jusqu'en 1945 ont débuté dans les années 2005. À la suite de sa nomination à la chaire de «Sciences du livre» à la LMU de Munich en 2006, Christine Haug a déposé une demande auprès de la DFG (1) pour la numérisation de ces revues. Pourtant, il est vite apparu que la numérisation et l'identification OCR, en particulier pour le caractère Fraktur (le gothique allemand), étaient loin d'être pleinement développées, tandis que beaucoup de volumes de ces revues se trouvaient être déjà numérisés par leurs bibliothèques de conservation.
Des volumes de la Börsenblatt se trouvaient être déjà disponibles dans le cadre du projet de numérisation de Google, en coopération avec la Bibliothèque d'État de Bavière à Munich (BSB). À Vienne, la Bibliothèque nationale d'Autriche (ÖNB) mettait déjà à la disposition de ses utilisateurs les revues professionnelles autrichiennes, par le biais du site de la Bibliothèque.
Étape par étape et après de nombreuses discussions, il est apparu qu'il serait plus judicieux de se concentrer sur la revue professionnelle la plus importante pour la «librairie allemande», et donc de numériser la Börsenblatt für den Deutschen Buchhandel depuis sa fondation (1834) jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945) pour en mettre librement les fichiers à la disposition des utilisateurs.
Le succès de ce grand projet a été rendu possible grâce à la participation de nombreux acteurs et grâce à des soutiens décisif. L'ancienne directrice générale de la Bibliothèque nationale allemande, le Dr Elisabeth Niggemann, a déposé une édition imprimée complète (double) du périodique, dans un exemplaire qui a pu être démonté en vue de faciliter le travail. Les premières discussions avec les entreprises concernées, dont Valentin Krämer (Gauting), ont rapidement montré qu'il s'agissait d'un projet de numérisation très exigeant, à cause du format de la revue, de la combinaison de gothique et de romain (Antiqua) sur une même page, ou encore de l’insertion de publicités, parfois avec, parfois sans encadrement.
Des informations précieuses ont été fournies par la Bibliothèque de l'État de Bavière (BSB, Munich) et par la Bibliothèque universitaire de Francfort-sur-le-Main (notamment grâce au Dr Heiner Schnelling). La Commission historique du Börsenverein für den Deutschen Buchhandel (2) a financé un petit projet pilote, dont les résultats ont été évalués par le Deutsches Buch- und Schriftmuseum de Leipzig (3). Il s'en est suivi plusieurs entretiens exploratoires avec différentes bibliothèques universitaires et publiques éventuellement intéressées à participer au projet. Klaus Gerhard Saur (alors président de la Commission historique de l'Association allemande des éditeurs et des libraires) a soutenu tous ces efforts et a puissamment aidé à la recherche de partenaires.
Johannes Ulrich Schneider, directeur de la Bibliothèque universitaire de Leipzig (dont le bâtiment central est celui de la Bibliotheca Albertina) (4), a proposé d'investir dans ce projet les fonds dégagés par l'État de Saxe (Freiland Sachsen) dans le cadre de son programme de numérisation pour la science et la culture: une idée parfaitement fondée, puisque, historiquement, la Börsenblatt für den Deutschen Buchhandel a été créée et publiée à Leipzig...
Il a été décidé que la SLUB de Dresde constituait l’institution la mieux à même d’assurer la numérisation de la revue, soit environ un million de pages. Le travail a été rendu aussi possible grâce à l’aide du Musée allemand du livre et de l’écrit, dont le personnel a notamment aidé à combler les lacunes de la revue dans l’exemplaire de Dresde, et il a bénéficié de la participation active d’étudiants de l’Université de Dresde (TU Dresden). En définitive, c'est grâce au Dr Achim Bonte, actuel directeur général de la SLUB et membre de la Commission historique de l'Association allemande des éditeurs et libraires, et à son équipe très engagée, que le Börsenblatt Digital est disponible depuis la mi-avril 2020, après un travail qui a duré un peu plus de trois ans: https://www.boersenblatt-digital.de
Le Centre pour la science du livre (histoire du livre, industrie de l'édition, médias numériques), en étroite collaboration avec le Musée allemand de l’écrit et du livre, continuera à travailler sur cette mine presque inépuisable d’informations, à l'explorer en profondeur et à proposer de nouveaux projets. Mais tous ceux qui étaient habitués à travailler avec l'édition sur microfiches de la Börsenblatt (à l'époque déjà une révolution «médiatique» disponible grâce aux éditions K. G. Saur !) apprécieront d'entrée les fonctions de recherche de la Börsenblatt numérisée.
C'est un grand plaisir pour nous tous que de pouvoir vous inviter à consulter dès aujourd’hui le site Börsenblatt Digital! Et encore une fois, merci à tous les sponsors, à ceux qui nous ont soutenus, et à ceux qui nous aidées de leurs conseils!
Et merci à Madame Haug pour son initiative et pour sa très importante communication ! À bientôt, à se revoir à Munich!

Notes
(1) DFG = Deutsche Forschungsgemeinschaft, organisme principal pour le financement de la recherche en Allemagne.
(2) Association des libraires allemands, correspondant peu ou prou au Cercle de la librairie en France.
(3) Musée allemand du livre et de l’écrit, intégré à la Bibliothèque nationale allemande de Leipzig (son site ici: https://www.dnb.de/DE/Ueber-uns/DBSM/dbsm_node.html).
(4) Il est possible de télécharger une brochure, brève mais très révélatrice, sur les collections de l'Albertina de Leipzig. À titre personnel, nous sommes allés à Leipzig pour la première fois en nov-déc. 1985, et nous n'aurions jamais imaginé que la sorte de cour, abandonnée et en partie effondrée qui semblait se nicher à l'intérieur de la Bibliothèque était en réalité l'ancien hall de l'escalier principal... (voir les deux clichés de la brochure, p. 12).

Quelques billets récents
Une page d'anthropologie familiale (autour des Campe)
Gabriel Naudé confiné
En 1867, un «voyage extraordinaire»
Passeur culturel et fondateur de bibliothèques
Le président Hénault
Retour au blog