Le rôle de la haute noblesse hongroise à l’époque des Lumières et de la révolution industrielle semble relativement spécifique par rapport à la situation ailleurs en Europe continentale.
Le trône de Hongrie est en effet occupé par un Allemand, l'empereur Habsbourg, à Vienne, sous la bannière duquel les Ottomans ont été chassés et qui a réussi, au début du XVIIIe siècle, a briser les velléités d’indépendance de la Transylvanie. À la tête de très grandes fortunes, les magnats hongrois, ont conservé un rôle important dans les domaines de la culture et de la religion. Ils ont souvent fait des études dans les universités occidentales, réunissent des bibliothèques parfois très riches et s’imposent comme les acteurs-clés de la modernisation économique, avant de participer activement, au XIXe siècle, au mouvement en faveur de l’autonomie ou de l’indépendance. Parmi ces familles, celle des comtes Széchényi occupe une place remarquable.
Ferenc (Franz) Széchényi (1754-1820) a fait ses études au Theresianum de Vienne et a deux années durant visité d'Europe occidentale. À son retour, il a compris le rôle décisif qui est celui de l'imprimé comme média de la modernisation. Il crée alors deux bibliothèque, dont celle de son château de Nagycenk, en Hongrie occidentale: surtout des titres «modernes» (économie, politique, etc.) et de la littérature en hongrois (1799), outre des collections de numismatique et de minéralogie. Il en fait réaliser un catalogue imprimé (1799), qu’il diffuse pour mettre son fonds à la disposition de ses contemporains.
Puis, trois ans plus tard, Széchényi obtient de Vienne l’autorisation de faire don de ses collections à l’Académie, sous la forme de Bibliotheca regnicolaris -future Bibliothèque nationale. La formule peut surprendre: elle est en réalité très bien adaptée au caractère multiculturel du royaume de Hongrie, en ce qu’elle fait référence aux catégories politiques (ungarus) et non pas aux particularismes des différentes composantes (dont les Magyars). La loi de 1808 institue la Bibliothèque comme un département du nouveau Musée national. À la mort de Ferenc Széchényi, les collections sont relativement modestes (vingt mille documents, dont six mille cartes géographiques), mais elles s’enrichissent au XIXe siècle d’un grand nombre d’autres bibliothèques de magnats, dont celle du comte István Illésházy donnée en 1835.
Mais la figure principale est, à la génération suivante, celle d’István Széchenyi. Celui-ci poursuit en effet systématiquement, sa vie durant, une action d’innovateur et de passeur culturel visant à favorisant la modernisation de la Hongrie. Il publie lui-même, sur l’élevage des chevaux (1828), sur la situation de la Hongrie de son temps (1831, 1833), sur le crédit (1832); il participe au lancement de compagnie de navigation à vapeur sur le Danube, fait entreprendre d’immenses travaux de régulation du fleuve dans la plaine hongroise, fonde la société pour la construction d’un premier pont entre Buda et Pest (le célèbre Pont des chaînes) et participe activement à la création de la Banque nationale de Hongrie.
Ministre des transports dans le Gouvernement indépendant du comte Batthyány en 1848, Széchényi, après l’écrasement de la Révolution et la répression sanglante imposée par Vienne, sera interné à Döbling, en Autriche, où il se suicidera en 1860. Sept ans plus tard, la défaite de l’Autriche dans la guerre contre la Prusse impose à Vienne d’adopter une politique nouvelle avec la Hongrie: par le Compromis de 1867, le royaume devient très largement autonome, et l’appellation traditionnelle d'Autriche laisse place à celle, nouvelle, de la monarchie bicéphale d’Autriche-Hongrie.
Quittons un instant le monde du livre: Ödön (Edmond) Széchényi, fils d'István, est également connu comme un promoteur de la navigation: il est célèbre en France pour être venu dans son propre yacht de Budapest à Paris par voie fluviale à l'occasion de l'Exposition de 1867!
Catalogus Bibliothecae hungaricae Francisci com[itis] Szechenyi. Tomus I scriptores hungaros et rerum hungaricarum typis editos complexus, pars I [II], Sopron, Typis Siessianis, 1799, 2 vol.
Cliché: une image inattendue d'István Szechényi près du Parlement à Budapest aujourd'hui.
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