vendredi 7 octobre 2011

Le luthéranisme, le Livre et les livres

Pour la Réforme luthérienne, la Bible est la référence absolue: il convient donc de pousser à la lecture de la Bible, notamment en privé, et donc de promouvoir une alphabétisation la plus large possible. C’est dans ce but qu’un certain nombre de villes passées à la Réforme vont promouvoir le système des bibliothèques de communauté (Gemeindebibliothek), très souvent liées aux écoles, mais qui préfigurent aussi les bibliothèques municipales.
Alors qu’il est de retour à Wittenberg après le séjour à la Wartburg, Luther publie en 1524 une adresse aux Magistrats de toutes les villes allemandes (cliché 1) pour les engager à créer des écoles pour tous les enfants, filles et garçons, et à renouveler complètement le fonds de livres mis à leur disposition.
Le canon bibliographique nouveau est fondé d’abord sur la Bible (dans les trois langues bibliques, mais aussi en allemand et dans les autres langues modernes) et sur les commentaires de la Bible; il exclut un certain nombre de domaines, comme les Pères de l’Église ou encore le droit canon; mais il s’étend désormais plus largement au savoir profane, à la grammaire, aux classiques et aux traités spécialisés, par exemple sur la médecine. L'avance de l'Europe protestante en matière d'alphabétisation, voire de formation scolaire, trouve son origine dans ces prises de position.
Luther est vigoureusement aidé dans cette voie par Philippe Schwarzerd dit Mélanchton (1497-1560), personnalité relativement moins connue en France que dans l'espace germanophone et en Europe centrale. Originaire du Palatinat et très vite réputé sa connaissance du grec, Mélanchton est appelé en 1518 par le duc Frédéric le Sage pour enseigner cette langue à Wittenberg. Il est convaincu de l’importance morale de la formation intellectuelle, se forme à la théologie auprès de Luther, mais intervient dans toutes sortes de disciplines, du grec à l’histoire et à l’astronomie.
L’influence du «précepteur de la Germanie», est immense: Mélanchton publie lui-même un grand nombre de manuels pédagogiques, et son enseignement attire de nombreux étudiants allemands et étrangers à Wittenberg.
Fréquemment, les nouvelles écoles protestantes créées dans les villes prennent la suite d’anciennes écoles latines, y compris s’agissant de la bibliothèque. Les collections de livres sont en revanche considérablement augmentées par suite de la sécularisation des biens d’Église décidée par les princes et les villes passés à la Réforme. À Augsbourg, métropole de la Réforme dans le sud de l’Allemagne, le Magistrat décide ainsi, en 1537, d’ouvrir une Stadtbibliothek (Bibliothèque de la ville) à partir des collections sécularisées, et de consacrer un budget annuel de 50 florins pour son enrichissement. La bibliothèque est d’abord installée aux Dominicains, puis transportée près de l’école Sainte-Anne (1562), dont le recteur fait désormais office de bibliothécaire.
C’est ce modèle qui est importée par Johann Honter à Kronstadt (Brasov), ville peuplée par les Saxons allemands aux confins orientaux de la Transylvanie (clichés 2 et 4: bâtiment ayant succédé à l'ancienne bibliothèque, et aujourd'hui en attente de rénovation). Honter est né en 1498 à Kronstadt; de 1520 à 1533, il fait des études supérieures et voyage à l’ouest, notamment à Bâle (Bâle vient de passer à la Réforme et de chasser son évêque en 1527). Durant ce long périple, le royaume de Hongrie a été détruit par les Ottomans (1526), de sorte que la Transylvanie est désormais une principauté pratiquement indépendante, mais isolée à l’est de l’Europe.
Mais l’influence de Mélanchton touche aussi la Transylvanie, et 227 étudiants transylvains fréquentent d'ailleurs l’université de Wittenberg jusqu’en 1560. Rappelé par le Magistrat de Kronstadt en 1533 pour réorganiser les écoles en ville, Honter met en œuvre le modèle luthérien. Il crée dès 1534 une bibliothèque scolaire (Schulbibliothek), pour laquelle il commence lui-même à imprimer sans doute en 1539. Il correspond régulièrement avec Mélanchton, et onze éditions de Mélanchton sortent en Transylvanie entre 1548 et 1570, dont huit à Kronstadt et les trois autres Klausenburg (Cluj) (cliché 3).
L’école de Kronstadt, abritée dans le cloître de l’église, est installée dans un nouveau bâtiment en 1541. L’année suivante, alors que Buda est tombée aux mains des Ottomans, la ville franchit le pas et passe à la Réforme: Honter est nommé pasteur de la nouvelle communauté en 1544. C’est cette communauté, associant église réformée, école et bibliothèque (un temps aussi imprimerie) qui existe toujours aujourd’hui sous le nom de son premier pasteur (Honterusgemeinde).
Hic fuit bibliotheca scholæ Coronensis- Johannes Honterus- 1547


Martin Luther, An die Ratsherren aller Städte deutsches Landes, daß sie christliche Schulen aufrichten und halten sollen, Wittenberg, [M. Lotter, ou L. Cranach et C. Döring ?], 1524.

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