Après la journée (remarquable à plus d'un titre) passée à Eger, nous quittons donc la ville en pleine nuit, à 5 heures du matin, pour prendre la route du Nord, vers Békécsaba et la frontière roumaine après Gyula. La route 79A pique ensuite vers l’Est, à travers le pays totalement plat des Partium, tandis que les montagnes commencent à se détacher sur l’horizon. Nous remontons de plus ou moins loin la rivière de la Criş / Körös blanche (Weiße Kreisch), avant de quitter cet itinéraire à Valfurile pour suivre la route 76 en direction de Brad. Une crevaison nous retarde d’une heure environ.
Une fois passé Brad, nous entrons franchement dans le paysage montagneux de la Transylvanie au sens historique et géographique du terme, par la route 74, qui monte jusqu’à Abrud, avant de redescendre vers Alba Julia (Gyulafehérvár / Weißenburg), notre destination finale: nous y sommes à 13 heures, donc après quelque 7 heures de route. Même si le paysage forestier est superbe (cliché 1) et même si les routes ne sont pas mauvaises, elles ne sont pas non plus toujours bonnes, tant s’en faut, et on ne circule pas si facilement en Transylvanie…
Alba Julia se situe sur la grande rivière du Mureș / Maros, affluente de la Tisza. C’est une ville très importante aujourd’hui, et nous venons y visiter la bibliothèque du Batthyaneum (cliché 2). Le nom est dérivé de celui de la famille hongroise des Batthyány, elle-même divisée en trois branches, les princes, les comtes et les barons Batthyány. Boldizsár Batthyány (1537-1590), converti au protestantisme, possédait dans sa résidence de Güssing (Németújvár) une bibliothèque dont l’essentiel a été acheté à Francfort.
Mais les Batthyány reviennent bientôt au catholicisme: d’autres membres de la famille auront, au XVIIIe siècle, d’importantes bibliothèques, notamment le comte Adam Batthyány (1697-1782) et le prince Károly József Batthyány (1698-1772), dans sa résidence viennoise.
Le comte Ignaz Batthyány (1741-1798), après un cursus remarquable d’études achevées à Rome, est pendant une quinzaine d’années chanoine à Eger, où il aide l’évêque Esterházy à créer et à développer la bibliothèque de la Haute École par lui créée (Eger).
Nommé en 1781 évêque de Transylvanie en résidence à Weißenburg, il est le fondateur du Batthyaneum, un complexe comprenant observatoire astronomique, collections diverses (notamment numismatique et géologie) et bibliothèque. Une imprimerie catholique est aussi fondée. L’évêque enrichit les collections de livres grâce à diverses acquisitions, notamment celles des anciennes bibliothèques de Löcse, mais aussi de l’archevêque de Vienne Migazzi.
L’ensemble du complexe du Batthyaneum est entièrement abrité dans une église désaffectée, et dont la nef a été subdivisée en différents niveaux, la bibliothèque occupant le dernier de ceux-ci. L’aménagement intérieur, parfaitement conservé, date de la fin du XVIII siècle, et la décoration picturale est très remarquable, avec des figures allégoriques diverses (Minerve, etc.) et une suite de petites peintures sur le thème de la bibliothèque (cliché 3). Les collections peuvent atteindre quelque 50000 livres anciens, dont un riche fonds de manuscrits et plus de 500 incunables. La pièce la plus remarquable est le Codex aureus du IXe siècle.
On ne peut que regretter que, pour des raisons à la fois politiques et administratives, cet ensemble ne soit pas plus largement accessible au public –notre époque n’est apparemment pas aussi ouverte ni aussi confiante que pouvait l’être celle des Lumières. Le Batthyaneum constitue en effet un témoignage exceptionnel par sa richesse de la vie intellectuelle en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, en même temps qu’un ensemble patrimonial de tout premier plan. Il devrait bien évidemment être un des fleurons culturels d’une ville comme Alba Julia aujourd’hui.
L’historien du livre se rappellera que cette ville a aussi joué un rôle dans le domaine de l’imprimerie. En effet, plusieurs officines s’y succèdent depuis le XVIe siècle, dont certaines sont liées aux Rákóczi. La première imprimerie catholique de Hongrie avait été ouverte à Tyrnava en 1577, à l'initiative du primat Miklós Oláh, pour lutter contre la propagande calviniste. Après plusieurs épisodes, elle est confisquée par le prince de Transylvanie Gábor Bethlen, allié à l’Union protestante pendant la Guerre de Trente ans, et transférée à Gyulafehérvár en 1620 (sur cette histoire complexe, voir: Eva Mârza, Din Istoria tiparului românesc. Tipografia de la Alba Julia, 1577-1702, Sibiu, Editura Imago, 1998, 154 p., ill.).
Notre journée s’achève par la visite de la cathédrale d’Alba Julia, aujourd’hui archevêché. La nef abrite les sépultures d’un certain nombre de princes liés à la Transylvanie (dont János Hunyadi, le père de Mathias Corvin: cliché 4). Puis, c’est la découverte trop rapide de la gigantesque citadelle (22ha !) construite par les Autrichiens pour défendre leurs frontières orientales contre les Ottomans.
La citadelle fait l’objet d’un remarquable programme de restau- ration, laquelle pourra certes sembler parfois un petit peu trop radicale et se rapprocher plus de la reconstruction que de la restauration stricto sensu. Mais l’ensemble donne une idée de l’importance d’une place militaire comme l’ancienne Gyulyafehérvár pour l’Empire de Vienne, en même temps que de la montée en puissance des Habsbourg sur le plan politique au XVIIIe siècle. Cette présence d'une forteresse "à la Vauban" explique le changement du nom allemand de la ville de Weißenburg en Karlsburg.
Sur l’histoire de l’imprimerie au XVIe siècle en Transylvanie : Christian Rother, Siebenbürgen und der Buchdruck im 16. Jahrhundert ; mit einer Bibliographie « Siebenbürgen und der Buchdruck » ; mit einer Geleitwort von P[eter] Vodosek, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2002, XXIX-408 p., ill. (« Buchwissenschaftliche Beiträge aus dem Deutschen Bucharchiv München », 71). ISBN 3-447-04630-9.
Sur l'histoire de la Transylvanie en général: Kurze Geschichte Siebenbürgens, éd. Béla Köpeczi, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1990, XVI-780 p., ill., cartes. ISBN 963-05-5667-7. Il existe une édition en français publiée à la même adresse en 1992 (Histoire de la Transylvanie).
Une fois passé Brad, nous entrons franchement dans le paysage montagneux de la Transylvanie au sens historique et géographique du terme, par la route 74, qui monte jusqu’à Abrud, avant de redescendre vers Alba Julia (Gyulafehérvár / Weißenburg), notre destination finale: nous y sommes à 13 heures, donc après quelque 7 heures de route. Même si le paysage forestier est superbe (cliché 1) et même si les routes ne sont pas mauvaises, elles ne sont pas non plus toujours bonnes, tant s’en faut, et on ne circule pas si facilement en Transylvanie…
Alba Julia se situe sur la grande rivière du Mureș / Maros, affluente de la Tisza. C’est une ville très importante aujourd’hui, et nous venons y visiter la bibliothèque du Batthyaneum (cliché 2). Le nom est dérivé de celui de la famille hongroise des Batthyány, elle-même divisée en trois branches, les princes, les comtes et les barons Batthyány. Boldizsár Batthyány (1537-1590), converti au protestantisme, possédait dans sa résidence de Güssing (Németújvár) une bibliothèque dont l’essentiel a été acheté à Francfort.
Mais les Batthyány reviennent bientôt au catholicisme: d’autres membres de la famille auront, au XVIIIe siècle, d’importantes bibliothèques, notamment le comte Adam Batthyány (1697-1782) et le prince Károly József Batthyány (1698-1772), dans sa résidence viennoise.
Le comte Ignaz Batthyány (1741-1798), après un cursus remarquable d’études achevées à Rome, est pendant une quinzaine d’années chanoine à Eger, où il aide l’évêque Esterházy à créer et à développer la bibliothèque de la Haute École par lui créée (Eger).
Nommé en 1781 évêque de Transylvanie en résidence à Weißenburg, il est le fondateur du Batthyaneum, un complexe comprenant observatoire astronomique, collections diverses (notamment numismatique et géologie) et bibliothèque. Une imprimerie catholique est aussi fondée. L’évêque enrichit les collections de livres grâce à diverses acquisitions, notamment celles des anciennes bibliothèques de Löcse, mais aussi de l’archevêque de Vienne Migazzi.
L’ensemble du complexe du Batthyaneum est entièrement abrité dans une église désaffectée, et dont la nef a été subdivisée en différents niveaux, la bibliothèque occupant le dernier de ceux-ci. L’aménagement intérieur, parfaitement conservé, date de la fin du XVIII siècle, et la décoration picturale est très remarquable, avec des figures allégoriques diverses (Minerve, etc.) et une suite de petites peintures sur le thème de la bibliothèque (cliché 3). Les collections peuvent atteindre quelque 50000 livres anciens, dont un riche fonds de manuscrits et plus de 500 incunables. La pièce la plus remarquable est le Codex aureus du IXe siècle.
On ne peut que regretter que, pour des raisons à la fois politiques et administratives, cet ensemble ne soit pas plus largement accessible au public –notre époque n’est apparemment pas aussi ouverte ni aussi confiante que pouvait l’être celle des Lumières. Le Batthyaneum constitue en effet un témoignage exceptionnel par sa richesse de la vie intellectuelle en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, en même temps qu’un ensemble patrimonial de tout premier plan. Il devrait bien évidemment être un des fleurons culturels d’une ville comme Alba Julia aujourd’hui.
L’historien du livre se rappellera que cette ville a aussi joué un rôle dans le domaine de l’imprimerie. En effet, plusieurs officines s’y succèdent depuis le XVIe siècle, dont certaines sont liées aux Rákóczi. La première imprimerie catholique de Hongrie avait été ouverte à Tyrnava en 1577, à l'initiative du primat Miklós Oláh, pour lutter contre la propagande calviniste. Après plusieurs épisodes, elle est confisquée par le prince de Transylvanie Gábor Bethlen, allié à l’Union protestante pendant la Guerre de Trente ans, et transférée à Gyulafehérvár en 1620 (sur cette histoire complexe, voir: Eva Mârza, Din Istoria tiparului românesc. Tipografia de la Alba Julia, 1577-1702, Sibiu, Editura Imago, 1998, 154 p., ill.).
Notre journée s’achève par la visite de la cathédrale d’Alba Julia, aujourd’hui archevêché. La nef abrite les sépultures d’un certain nombre de princes liés à la Transylvanie (dont János Hunyadi, le père de Mathias Corvin: cliché 4). Puis, c’est la découverte trop rapide de la gigantesque citadelle (22ha !) construite par les Autrichiens pour défendre leurs frontières orientales contre les Ottomans.
La citadelle fait l’objet d’un remarquable programme de restau- ration, laquelle pourra certes sembler parfois un petit peu trop radicale et se rapprocher plus de la reconstruction que de la restauration stricto sensu. Mais l’ensemble donne une idée de l’importance d’une place militaire comme l’ancienne Gyulyafehérvár pour l’Empire de Vienne, en même temps que de la montée en puissance des Habsbourg sur le plan politique au XVIIIe siècle. Cette présence d'une forteresse "à la Vauban" explique le changement du nom allemand de la ville de Weißenburg en Karlsburg.
Sur l’histoire de l’imprimerie au XVIe siècle en Transylvanie : Christian Rother, Siebenbürgen und der Buchdruck im 16. Jahrhundert ; mit einer Bibliographie « Siebenbürgen und der Buchdruck » ; mit einer Geleitwort von P[eter] Vodosek, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2002, XXIX-408 p., ill. (« Buchwissenschaftliche Beiträge aus dem Deutschen Bucharchiv München », 71). ISBN 3-447-04630-9.
Sur l'histoire de la Transylvanie en général: Kurze Geschichte Siebenbürgens, éd. Béla Köpeczi, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1990, XVI-780 p., ill., cartes. ISBN 963-05-5667-7. Il existe une édition en français publiée à la même adresse en 1992 (Histoire de la Transylvanie).
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