mardi 17 décembre 2019

Un congrès sur les collections

Le prochain (le 145e!) Congrès national des sociétés savantes se tiendra à Nantes du 22 au 25 avril 2020, et il porte sur un thème qui intéresse grandement les historiens du livre: «Collecter, collectionner, conserver». Parmi les communications proposées et qui touchent à notre domaine, nous en retenons quatre, à titre d’exemples, pour illustrer la variété des perspectives et des problématiques envisagées:il s'agira de la construction d'un domaine scientifique nouveau (la philologie), de bibliothéconomie, de la constitution de bibliothèques nobiliaires au tournant des XVe-XVIe siècles, ou encore de collecte de rarissimes éphémères. 1) Collectionner les langues: la bibliothèque Coquebert de Monbret comme cabinet linguistique, par Sven Koedel, bibliothécaire à l'Institut historique allemand de Paris.
La communication s’intéresse à la collection savante comme laboratoire du travail érudit au tournant du XIXe siècle, à partir de l'exemple de la bibliothèque privée des Coquebert de Montbret. Celle-ci comprend une vaste documentation linguistique constituée de dictionnaires et grammaires, de recueils de proverbes et de chansons, de bibles et de catéchismes en divers idiomes. Elle embrasse toutes les langues du globe, mais surtout celles de France. Pour la comprendre, nous devons l’appréhender moins comme issue d’une pratique bibliophilique que comme une mise en série de spécimens linguistiques dans le but de procéder à une systématisation des idiomes ainsi représentés. Elle répond à un projet de connaissance qui reflète l’état des sciences du langage autour de 1800, entre les pratiques héritées du XVIIIe et les méthodes de la linguistique du XIXe siècle. Dans une lecture politique et idéologique, elle rappelle la pratique des collectionneurs de la Révolution et l’effort de la conservation des traces d’un passé immédiat : la diversité des langues sous l’Ancien Régime dont la collection enregistre les débris matériels pour les transformer en patrimoine linguistique.
Pour accompagner ce billet, nous nous autorisons un clin d'œil. La Chaumière indienne, de Bernardin de Saint-Pierre, nous présente un savant anglais parcourant le monde pour chercher les réponses à un certain nombre de questions. Il visite donc des bibliothèques, des musées.... et des sociétés savantes et autres académies. La mise en page de la célébrissime édition Curmer de 1838 se signale par sa richesse iconographique et par son originalité. Voici le voyageur qui se rend dans les plus grandes académies, jusqu'à pousser discrètement la porte de la dernière de ces doctes sociétés pour se retrouver face à une assemblée de messieurs relativement âgés, parfois un peu corpulents... et tous profondément endormis (cf cliché infra): selon toute apparence, ce n'est probablement pas là qu'il recueillera les réponses qu'il recherche. Mais il convient de ne prendre l'image que comme une caricature spirituelle, et de n'en tirer aucune conclusion quant à la vitalité et à l'intérêt de nos sociétés savantes en notre début du XXIe siècle.
2) Signaler ses collections: enjeux et perspectives, par Patrick Latour, conservateur en chef à la Bibliothèque Mazarine, adjoint au directeur, et Amandine Postec, conservateur, adjointe à la directrice de la bibliothèque de l’École nationale des chartes
La description des collections de manuscrits –et d’archives– des sociétés savantes faisait partie du plan national de signalement initié par François Guizot (créateur par ailleurs du «Comité chargé de diriger les recherches et la publication de documents inédits relatifs à l’histoire de France» devenu en 1884 le Comité des travaux historiques et scientifiques). En témoigne l’existence d’une série «Sociétés savantes» du Catalogue général des bibliothèques publiques de France dont le premier tome –et seul paru!– décrivait, en 1931, 2516 manuscrits ou liasses appartenant à sept sociétés savantes. Ce travail qui reste un préalable à la valorisation de ces collections à l’intérêt scientifique indéniable autant qu’un gage de leur protection, le CTHS a aujourd’hui l’ambition de le poursuivre dans le catalogue collectif de description des manuscrits et archives des établissements d’enseignement supérieur et de recherche (CALAMES). Un premier essai concluant, en partenariat avec la Bibliothèque Mazarine, a rendu possible en 2019 la mise en ligne de la description des manuscrits de la Société archéologique du Midi et permet d’envisager la mise en place d’un protocole en s’appuyant sur l’expertise de l’École nationale des chartes.
3) Les livres Chourses-Coëtivy au musée Condé de Chantilly : itinéraire d'une collection, de sa genèse à sa postérité scientifique (XVe-XXIe siècles), par Roseline Claerr, ingénieur de recherche en analyse de sources anciennes (Centre Roland-Mousnier, UMR 8596, CNRS / Sorbonne-Université)
La bibliothèque du musée Condé, sise en l’écrin que constitue le château de Chantilly, abrite un ensemble de livres ayant appartenu à une noble dame d’origine bretonne et de sang royal : Catherine de Coëtivy (vers 1460-1528). Cette nièce d’amiral et de cardinal bibliophiles constitua, à partir de son mariage avec Antoine de Chourses en 1478, et durant son long veuvage, une collection originale de manuscrits et d’incunables. Mis à part quelques volumes partis pour La Haye, Paris ou Stuttgart, cette collection n’a pas été disséminée : elle se trouve aujourd’hui à peu près intacte sous la garde de l’Institut de France, au musée Condé, grâce à la donation du duc d’Aumale, qui reçut cette bibliothèque en 1830 du dernier prince de Condé. La communication s’attachera à retracer la genèse de cette collection à la fin du Moyen Âge et à l’aube de la Renaissance, pour ensuite évoquer son « invention » par le duc d’Aumale au XIXe siècle et l’exploitation scientifique qui en est faite de nos jours.
NB. Le blog a signalé toute l’importance de la découverte présentée par une récente exposition de Chantilly: voir ici. Rappelons au passage que le livret de l'exposition est toujours téléchargeable gratuitement.
4) Naissance et enrichissement d'une collection en mode collaboratif: les menus de la Bibliothèque municipale de Dijon, par Caroline Poulain, directrice-adjointe et responsable du patrimoine, Bibliothèque municipale de Dijon.
En 2009, la Bibliothèque de Dijon conservait 2300 menus; en 2020, la collection compte plus de 17000 pièces, en grande partie signalées et numérisées. En moins de 10 ans, grâce à une stratégie d'achats et de collectes, à une politique active de partenariats, valorisation et sensibilisation à la conservation de cet éphémère, un seuil critique a été atteint. La communication présentera la genèse du projet, ses objectifs et orientations, la typologie des acteurs publics et privés de cette collection –professionnels de la conservation, collectionneurs, libraires, particuliers, chercheurs, producteurs et institutions formant les maillons d'une seule chaîne– ainsi que les grandes lignes de sa politique de traitement, classification et mise en lumière. Elle abordera aussi la question de la légitimité de la patrimonialisation de documents de ce type, pièces historiques parfois mais aussi petites feuilles «d'en bas», et la question de la constitution de nouvelles sources faciles d'accès.
Mais la richesse du programme est beaucoup plus grande, qui passe entre autres par l’évocation de « figures de collectionneurs », ou encore par la présentation d’ensembles bibliographiques bien particuliers, par ex. concernant les «Manuels de mathématiques». et, plus largement, les «Manuels scientifiques». Nous ne pouvons qu’engager les curieux à consulter le programme du Congrès de Nantes (fichiers téléchargeables ici, avec les résumés des communications et les tables), à s’inscrire… et à participer le plus activement. 

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Ouvrage récent sur le décor des bibliothèques


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