Saint-Victor de Paris a été fondé au XIIe siècle, sur l’emplacement d’une ancienne chapelle (ancienne Halle aux vins, aujourd’hui université Jussieu), par Guillaume de Champeaux. C’est d’abord un prieuré de chanoines réguliers, puis une abbaye (1113). Celle-ci devient très vite réputée pour son école et pour sa bibliothèque. La bibliothèque est, au XVe siècle, dans une salle attenante au cloître, entre l’église et le dortoir (Franklin, I, 148), mais elle est reconstruite au tout début du XVIe siècle: les volumes sont disposés par ordre systématique sur des pupitres, et Claude de Grandrue en établit un nouveau catalogue. C’est alors la principale bibliothèque du royaume. Sa réputation lui vaut d'être brocardée par Rabelais (Pantagruel) dans le célèbre Catalogue de Saint-Victor, en tant que collection caractéristique d'une culture traditionnelle fermée à l'humanisme...
Franklin explique que le règlement de l’abbaye concerne aussi la bibliothèque: celle-ci doit être garnie de boiseries, pour protéger les volumes de l’humidité; les pupitres et les livres doivent être à bonne distance les uns des autres; il faut en faire un recollement plusieurs fois par an ; le fonds sera organisé en deux ensembles, les usuels enchaînés et les livres destinés le cas échéant au prêt. Le bibliothécaire (armarius) a aussi en charge ce qui regarde la copie des manuscrits: il
est chargé de tout ce qui regarde la fourniture du parchemin et des autres objets nécessaires à l’écriture ; il choisit et surveille les copistes du dedans et du dehors ; ceux-ci ne peuvent rien transcrire sans son consentement ; il les établit dans un lieu spécial, au sein de l’abbaye, mais tranquille et écarté, afin qu’ils se livrent au travail loin du bruit et des distractions ; il veille à la pureté des textes, à la ponctuation, à la reliure (Franklin, I, 151).
Un nouveau catalogue est entrepris en 1623. La salle de la bibliothèque sera chauffée en 1651, et, l’année suivante, Henri du Bouchet lègue sa bibliothèque (environ 6000 volumes) à Saint-Victor avec l’obligation de la rendre publique. Il y joint une rente annuelle destinée à permettre d’enrichir le fonds et de payer le bibliothécaire, mais il confie aussi la donation à la surveillance du parlement. La bibliothèque est ouverte dès la même année.
L’année 1651 est aussi marquée par une crue de la Seine qui impose de mettre les livres à l’abri au deuxième étage : il est alors fait mention d’«armaria» (des armoires), d’une double rangée de pupitres au centre de la salle, et de portraits décorant les murs. C’est le dispositif qui est mis en scène sur le dessin publié par André Masson (cf. cliché infra).
André Masson présente le compte rendu d’une inspection faite en 1684 (p. 104 et suiv.). La bibliothèque est alors riche de 3000 manuscrits environ, et de 18000 imprimés, et elle accueille cent à deux cents lecteurs par jour, le lundi, le mercredi et le samedi. Comme elle demande à bénéficier du dépôt légal, les chanoines appuient leur requête en y joignant une vue mettant en scène la salle de lecture : une grande salle couverte d’un plafond cintré, avec des rayonnages muraux disposés en placards superposés adaptés aux différents formats (2 x 3 rayonnages, et un rayonnage en haut pour les petits formats). Les placards sont eux-mêmes surélevés sur des pieds en forme de pattes, et ajustés par des chevilles extérieures. On voit qu’ils sont fermés, comme le montre le second placard à gauche (ce sont des «armoires à jour», autrement dit très probablement des armoires protégées par un treillage, comme le conseille Claude Clément en 1635 ). Au-dessus des placards, les portraits des Pères.
Encore plus intéressantes sont les silhouettes des lecteurs. Au premier plan, l’un d’eux est monté sur un escabeau pour prendre un volume (on voit aussi une échelle sur le côté droit). D’autres sont installés deux par deux sur des tabourets dans les embrasures de croisées latérales: on remarque, à droite, qu’ils travaillent en posant le volume sur un lutrin. La plupart des lecteurs sont cependant au centre de la salle: derrière le bureau du bibliothécaire, une suite de pupitres inclinés et de chaises permet de travailler en bénéficiant de la lumière pénétrant par l’arrière. André Masson estime que la salle dispose au total d’une cinquantaine de places assises, tandis qu’on aperçoit une autre salle de bibliothèque ouverte sur le fond. Il ajoute :
Cette rangée de pupitres constitue une disposition tout à fait remarquable [au contraire des habituelles tables horizontales]. Nous n’hésitons pas à [y] voir un remploi du mobilier médiéval de la librairie primitive de Saint-Victor. [Et, note 37] Les Mémoires du P. Goureau (BN, ms. fr. 24082, p. 33) précisent qu’au début du XVIIe siècle «les livres estoient couchez et enchaisnez sur de longs pupitres et une allée entre deux».
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