Nous évoquions récemment les origines de la nouvelle bibliothèque de l’université d’Oxford, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. La récente conférence de l’EPHE tenue à la Bibliothèque Mazarine a donné l’occasion d’examiner de manière plus précise le premier catalogue imprimé de cette bibliothèque:
Thomas James, Catalogus librorum bibliothecae publicae quam vir ornatissimus Thomas Bodleius eques auratus in Academia Oxoniensi nuper instituit; continet autem libros alphabeticæ dispositos secundum quatuor facultates: cum quadruplici elencho expositorum S. Scripturæ, Aristotelis, iuris vtriusq[ue] & principum medicinæ, ad vsum Almæ Academiæ Oxoniensis, auctore Thoma James ibidem bibliothecario, Oxoniæ [Oxford], apud Josephum Barnesium, 1605, 656 p.(Early English books, 1475-1640, 741:12.)
A 14868 (ex libris manuscrit de l’Oratoire, Paris, avec la cote ancienne).
La page de titre (cliché 1) et toutes les pages du catalogue s'inscrivent dans un élégant encadrement de quatre filets. Le titre lui-même est un titre long, avec un dispositif typographique très soigné: le metteur en pages a adopté la forme d'un sablier, en jouant sur les casses (capitales / petites capitales / minuscules, romains / italiques) et sur les différents corps de caractères. L’accent est mis sur la formule de «Bibliothèque publique», et sur le nom du fondateur. Le titre annonce précisément le contenu de l’ouvrage, soit un «catalogue alphabétique des livres selon les quatre facultés», mais qui fournira aussi quatre index thématiques (sur les commentateurs de la Bible, etc.) mis à la disposition des membres de l’université. Le nom de l’auteur figure en plus petit corps, avec l’indication de sa fonction («Bibliothécaire là même», autrement dit, dans et de cette même bibliothèque). Cette mention discrètement en retrait témoigne pourtant de la professionnalisation du métier, et le catalogue est en effet une démonstration très efficace du savoir spécialisé qui est celui du bibliothécaire. Nous sommes, à la nouvelle bibliothèque d'Oxford, devant une configuration très moderne.
Les Observations fournissent le mode d’emploi du catalogue, lequel sert à trouver les volumes et les textes dans la bibliothèque (cliché 2): il s’agit donc d’un usuel pratique, et tout a été en effet conçu (le système des cotes, etc.) dans un but pratique. D’abord la cote, constituée de trois éléments: la lettre majuscule correspond au classement systématique et topographique; le premier chiffre désigne la subdivision de cette lettre; le second chiffre, la position du volume dans la subdivision. Le pied de mouche permet de traiter les recueils in folio (les volumes constitués de plusieurs textes): il s’agit d’un renvoi à la notice principale, avec la cote sous laquelle on trouvera le volume en question. Tous ces volumes sont enchaînés, et les lecteurs y ont par conséquent directement accès. Les volumes de plus petit format sont indiqués par des astérisques (*), et ils ne sont pas enchaînés, de sorte qu'on doit les demander au bibliothécaire. La mention MS désigne un manuscrit, la mention Q, un document d’archive, et le détail des quatre tables et de l’index est précisé, avec la pagination pour les tables.
Les pages du catalogue lui-même se présentent selon un modèle constant (cliché 3): la faculté (Libri Theologici) et la pagination en titre courant, puis la lettre de série et la sous-série (A 1), suivies du détail des volumes et des textes, avec le numéro d’ordre de chacun. Nous sommes ici sur la page consacrée à saint Augustin, qui présente treize volumes, dont quatre manuscrits (n° 10 à 13). À la suite figurent les œuvres de saint Augustin reliées avec d’autres textes, et que l’on trouvera aux cotes indiquées (A 2 12, A 3 8, etc.). En bas de page, un petit opuscule in quarto ne figure par conséquent pas parmi les livres enchaînés. Le catalogue est conçu de telle manière que le chercheur travaillant sur un certain auteur trouvera rassemblés sur une même page en un même lieu les œuvres disponibles de cet auteur, mais on lui fournit aussi les indications permettant de retrouver les textes isolés inclus dans d'autres volumes. En revanche, si les notices catalographiques sont normalisées, elles restent relativement peu développées, en particulier pour les manuscrits (dont rien n'est dit de la datation, etc.).
Le volume de James représente donc un catalogue systématique sous-classé alphabétiquement, mais il fait aussi office de catalogue topographique (puisque les séries et sous-séries correspondent aux pupitres et aux rayonnages). L’ouvrage constitue aussi un index par auteurs et par titres des livres et des textes figurant dans la bibliothèque, avec tout un système de renvois. Enfin, les quatre tables en font un instrument de travail précieux donnant, toujours à partir du fonds de la bibliothèque, les références des principaux textes pour les théologiens, les philosophes, les juristes et les médecins.
La langue du catalogue est évidemment le latin, qui est la langue savante dominant le monde occidental au moins jusqu'au XVIIe siècle, voire plus tard. Le catalogue de James est donc reçu dans toute la République des Lettres, et il est bientôt considéré comme un usuel de travail pour les principales bibliothèques, par ex., dans notre cas, à l'Oratoire de Paris. Nous le retrouvons entre autres mentionné sous la plume du Père Jacob: Le catalogue de cette bibliothèque [Oxford] a esté imprimé in 8° par Thomas James, bibliothécaire (…), et depuis in quarto (Traicté des plus belles bibliothèques publiques et particulières qui ont este et qui sont maintenant dans le monde, Paris, Rollet le Duc, 1644, p. 265 et suiv.). Il est en effet rapidement réédité, avec un dispositif qui évolue progressivement pour s’adapter à l’accroissement des collections.
La conférence d’«Histoire et civilisation du livre» remercie la Bibliothèque Mazarine d’avoir rendu possible la riche séance de travail sur les premiers catalogues imprimés de bibliothèques.
Transmis par Max Engammare:
RépondreSupprimerDe : Max Engammare
Date : 6 juin 2012 15:51:33 HAEC
À : frederic.barbier
Objet : Rép : Le premier catalogue imprimé de bibliothèque
"... et mon cher Frédéric, dans ce catalogue que j'avais consulté naguère à la Duke Humfrey's Library, on trouve mention des sermons de Calvin sur la Genèse que John Bodley, le père de Thomas, avait ramenés de Genève, la reliure du manuscrit étant tout à fait oxonienne (fin XVIe - début XVIIe). Catalogue particulièrement intéressant, je suis heureux que vous l'ayez découvert."