On sait que les universités médiévales ne possèdent pas de bibliothèques, et que celles-ci sont abritées dans les collèges (comme la Sorbonne à Paris). Oxford ne déroge pas à la règle, avec notamment la bibliothèque de Divinity School, mais celle-ci est dispersée lors du passage à la Réforme anglicane (1550-1556). Les manuscrits sont bradés, et le mobilier cédé à Church College.
C’est pour remédier à ces pertes que Thomas Bodley (1545-1613), fellow de Merton College et diplomate d’Élisabeth Ière, décide de s’engager personnellement en faveur de sa refondation. Il écrit au vice-chancelier de l’université, en 1598:
Là où il y a eu une bibliothèque publique à Oxford (ce qui appert, comme vous savez, de la salle qui subsiste encore et de nos archives), je prendrai sur moi la charge te les frais de la restituer à son ancien usage ; et de la rendre apte et agréable, avec des sièges, des rayons et des pupitres, et tout ce qui peut être utile, pour inciter d’autres hommes à [cette] libéralité, et pour aider à lui procurer des livres (lettre citée par Antony Grafton, Grandes bibliothèques, p 166).
Notons l’épithète de « publique », qui ne correspond pas réellement à notre concept moderne, mais signifie plutôt que la bibliothèque n’était (et ne sera) pas privée, réservée aux seuls membres d’un collège. Il figurera au titre du premier catalogue imprimé (cf. infra).
La proposition de Bodley est acceptée, et une enquête conduite pour déterminer le programme de la construction:
Bodley (…) estima que ni lui-même, ni les architectes ne pouvaient improviser (…). Il écrivit au vice-chancelier en le priant de nommer un comité consultatif chargé de déterminer la meilleure présentation et la forme la plus digne. Le vice-chancelier était Thomas Thornton, chanoine de la cathédrale d’Hereford, «maître de la librairie» et responsable de l’adoption du «stall system» à Hereford en 1590, qu’il fit également choisir dans la grande salle du duc Humphrey, à la Bodléienne. Ce mobilier, très médiéval encore de style, fut installé avant 1600 (Masson, p. 112).
La grande salle de bibliothèque est ouverte en 1602 (Oldest Reading Room) au premier étage de Divinity School.
Laissons de côté la question, pourtant célèbre, du mobilier et de l’aménagement d’ensemble. La bibliothèque sera confiée à Thomas James jusqu’en 1620, lequel en publie le catalogue en 1605, catalogue réédité et considérablement augmenté en 1620. Il est dédié au prince héritier, et s’ouvre par une préface qui reprend notamment l’historique de la collection.
Les volumes sont présentés selon l’ordre des facultés (théologie, médecine, droit, arts), avec une lettre de classement et un numéro d’ordre, tandis qu’un certain nombre de signes diacritiques désignent différentes catégories de textes ou d’exemplaires: le pied de mouche indique ainsi qu’il s’agit d’un recueil, et l’astérisque (*) accompagne les exemplaires de plus petit format (4° et 8°), qui ne sont pas enchaînés, et auxquels on n’a par conséquent pas accès directement (il faut pour les consulter s’adresser au bibliothécaire).
Deux tables sont insérées au fil du catalogue, qui sont des instruments de travail pour les chercheurs: la première référencie les commentateurs des différents livres de la Bible, la seconde, ceux d’Aristote. Enfin, le catalogue est complété par une table alphabétique des auteurs et des titres, table présentée sur trois colonnes.
On sait que le classement systématique sera abandonné dans l’édition de 1620 au profit du classement alphabétique, sans doute plus adapté à une collection qui a triplé ou quadruplé d’importance, mais qui reste elle-même classée systématiquement. Avec ce basculement, la question de repérer les auteurs et les textes de références se pose dans des termes nouveaux: il ne s’agit plus de suivre un ordre qui désigne par lui-même une hiérarchie, mais d’instituer de nouvelles instances et de nouvelles procédures de prescription dans lesquelles la «République des Lettres» (la préface du premier catalogue en fait déjà mention) jouera un rôle croissant.
Mais ce sujet relèverait d’un autre billet. Soulignons simplement, pour conclure, que le catalogue imprimé d’Oxford s’impose rapidement comme un usuel bibliographique que l’on trouvera dans les principales collections de l’Europe du début du XVIIe siècle –entre autres, à la Mazarine.
Thomas James, Catalogus librorum bibliothecae publicae quam vir ornatissimus Thomas Bodleius eques auratus in Academia Oxoniensi nuper instituit; continet autem libros alphabeticè dispositos secundum quatuor facultates: cum quadruplici elencho expositorum S. Scripturae, Aristotelis, iuris vtriusq[ue] & principum medicinae, ad vsum almae Academiae Oxoniensis, auctore Thoma James ibidem bibliothecario, Oxoniae, apud Josephum Barnesium, 1605, 656 p.
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