Descendant de cette ancienne famille de notables et de gens de robe du Nivernais que nous avons présentée et dont certains ont eu des prétentions littéraires, le jeune Jean-François Née de la Rochelle est né à Paris le 9 novembre 1751. L’enfant aurait sans doute été destiné à une carrière juridique mais, après la mort de son père (1756), sa mère, Anne, se remarie avec l’un de ses cousins, le libraire parisien Jean-Baptiste Gogué, installé depuis 1761 quai des Augustins, puis rue du Hurepoix. Les Gogué sont eux aussi liés à la robe, puisque le père, lui aussi Jean-Baptiste, était commis au greffe de la Grand’Chambre du Parlement de Paris.
Gogué fait donner à l’enfant une éducation très complète, et, plus tard, ce sera naturellement chez lui que le jeune homme effectuera son apprentissage. Reçu libraire le 31 décembre 1773, Née de La Rochelle est d’abord associé à son beau-père, puis lui succède en 1786. Il est surtout connu de ses confrères comme tenant boutique de librairie ancienne (entendons, la librairie d’occasion et d’antiquariat), mais il édite aussi, et il écrit lui-même –nous y reviendrons. Il aurait été libraire de l’Université de Paris, de la Cour, des Économats de l’administration royale, et du Mont-de-Piété. Il exercera jusqu’en 1793, année où il cède son commerce à Jacques Simon Merlin, jusque là avoué en province. Nous restons dans cette logique de l'endogamie qui caractérise la librairie d’Ancien Régime, puisque Merlin avait épousé la sœur de Jean-François, Edmée Louise Née de La Rochelle: nous les retrouvons, en 1799, rue du Hurepoix.
À quarante ans à peine, notre ancien libraire retourne alors au «pays», certainement par goût personnel, certainement aussi pour échapper aux troubles qui parcourent alors la capitale. Il s’installe 10 quai Neuf de Loire à La Charité-s/Loire, acquiert des terres dans le plat-pays, et se consacre à la vie d’un notable de province dont les goûts intellectuels sont reconnus. «Agent de la commune», puis «président de la municipalité [du] canton et membre du Conseil d’arrondissement de Cosne», il est nommé en 1806 juge de paix à La Charité.
Son activité à ce poste semble pourtant l’occuper assez peu, et les reproches s’accumulent, au point qu’une enquête policière est diligentée. Les conclusions en sont bien peu favorables:
«[le juge] passait son temps en dehors de la Charité, où il ne se rendait que le samedi soir, [il] tenait son audience le lundi et repartait le même jour dans l’après-midi pour ne revenir qu’à la fin de la semaine». Selon l'habitude d’un officier d’Ancien Régime, Née estime sa charge à 20000f., et souhaite la céder à son greffier, à défaut à un tiers. Si son équité est reconnue, on regrette qu’il n’hésite pas à accepter toutes sortes de cadeaux. Un second rapport établi par le parquet de Cosne le 23 janvier 1827 est suffisamment défavorable pour qu’il soit mis en congé dès le 17 février. Pour couper court au scandale, le procureur du Roi s’emploie à obtenir sa démission, et aucune pension de retraite ne lui sera allouée. En 1823, le magistrat jouissait d’une honnête aisance, avec un revenu annuel de l’ordre de 3000 ll. (ce qui suppose une fortune de quelque 60.000 ll., sa charge lui rapportant moins de 1000 f.).
Née décèdera à La Charité le 16 février 1838: c’est à l’occasion de son acte de décès que nous apprenons qu’il était veuf d’une certaine Marie-Madeleine Foy. Les témoins venus déclarer le décès sont représentatifs du petit monde des notables balzaciens de province –le percepteur et le notaire. Née de la Rochelle ne laissant pas d’enfants, son héritier universel et exécuteur testamentaire est son neveu, le libraire parisien Romain Merlin. Celui-ci aura simplement à effectuer plusieurs legs: 300 f. à l’hospice, une rente viagère et des legs à des amis ou parents de La Charité ou de Clamecy.
La bibliothèque personnelle de Née de La Rochelle est vendue chez Silvestre le 14 janvier 1839, et le catalogue publié à cette occasion comprend une notice bio-bibliographique sur notre ancien libraire. La bibliothèque représente quant à elle 2452 notices, dont certains manuscrits. Figure en définitive bien caractéristique de son époque, Née de La Rochelle est surtout connu comme l’un des premiers «libraires érudits», et comme l’auteur notamment d’un certain nombre de travaux d’histoire du livre et de bibliographie. Nous y reviendrons dans un prochain billet.
Catalogue des livres de feu M. Née de La Rochelle…, Paris, R. Merlin, 1839. La Notice bio-bibliographique est reprise dans Romain Merlin, «Histoire littéraire: les bibliographes français, II. Née de La Rochelle (1)», dans
Revue bibliographique. Journal de bibliologie, d'histoire littéraire, d'imprimerie et de librairie, 1ère année, n° 1, Paris, Au bureau de la Revue bibliographique, 1839, p. 261-269 (ces deux titres sont disponibles sur Google Books).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire