Né à Paris en 1732, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais est une figure très moderne, par la conscience qu'il a des mutations intervenant dans le domaine des médias au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. À ce titre, Beaumarchais intéresse très directement l'historien du livre.
Beaumarchais est évidemment d'abord connu comme un auteur et comme un journaliste, mais il est aussi un entrepreneur, un éditeur et un homme d’affaires, qui maîtrise parfaitement toutes les techniques de la «publicité»: le voici qui participe à la fondation du Courrier de l’Europe, qui s’engage pour les insurgés américains, qui crée la Société des auteurs dramatiques, qui lance l’édition des Œuvres complètes de Voltaire, dite «Édition de Kehl» et qui fonde pour ce faire la Société littéraire et typographique de Kehl...
Entre la publication de la Lettre de Diderot sur le commerce de la librairie (1763) et la réorganisation de la «librairie» du royaume de France par les arrêts de 1777, nous sommes en pleine période de débats sur le statut et sur le rôle du média imprimé, sur la censure et sur le contrôle exercé par l’administration sur la branche. Le dossier du Mariage illustre pleinement cette conjoncture.
On sait que, après le Barbier, le Mariage de Figaro est l’une des pièces les plus célèbres de Beaumarchais, que celui-ci termine en 1778, pour répondre à un défi de Louis François de Bourbon-Conti, l'un des opposants les plus notoires du trône:
«Feu M. le prince de Conti, de patriotique mémoire, me porta le défi public de mettre au théâtre ma Préface du Barbier, plus gai, disait-il, que la pièce, & d’y montrer la famille de Figaro, que j’indiquais dans cette Préface» (p. XII).
La pièce est rédigée, le prince la lit et l’approuve, mais Beaumarchais est surchargé de travail, tandis que le Mariage fait scandale. En 1781 seulement, il est lu et reçu à la Comédie française, mais le roi refuse d’en autoriser la représentation. Le débat devient public: des extraits sont lus en société, avant que le Mariage ne soit donné pour la première fois, en représentation privée, au château de Genevilliers, par le marquis de Vaudreuil et ses hôtes, le 26 septembre 1783.
Dès lors, les rapports de force évoluent: le baron de Breteuil, ministre de la Maison du roi, estime la représentation possible, la pièce est approuvée par les deux censeurs Coquely de Chaussepierre et Bret les 21 et 28 février 1784, avant que le «permis d’imprimer & représenter» ne soit délivré le 29 mars suivant par Le Noir, qui a succédé à Sartine à la lieutenance de police.
Le Mariage est donc donné en public, pour la première fois, le 27 avril 1784. Comme il est de règle, la controverse est facteur de succès, et l'on sait que la pièce a marqué les esprits par le triomphe qu’elle reçut, et par le montant extraordinaire de la recette qu’elle procura (80000f. à l’auteur en deux ans). Laffont et Bompiani rapportent qu'il y eut 67 représentations en 1784, 26 en 1785-1786 et encore 85 de 1787 à 1790...
Mais, dans l’intervalle, Beaumarchais veut ajouter à son texte une importante préface, pour laquelle de nouvelles autorisations sont nécessaires avant de pouvoir imprimer. La Préface est approuvée par Bret, puis autorisée par Le Noir (25 et 30 janvier 1785). L’ouvrage sort donc pour la première fois avec l’achevé d’imprimer du 28 février 1785: cette première édition est publiée sans gravures, mais on réalisera ensuite un deuxième tirage avec les cinq gravures de Malapeau et de Roi d’après Philippe de Saint-Quentin (achevé d’imprimer à la date du 28 avril). Le tirage initial aurait été de mille exemplaires.
On remarque, au verso de l’avant-titre, une liste nominative de onze libraires français et un libraire de Bruxelles chez lesquels on peut se procurer le volume: Beaumarchais et Ruault sont tous deux des professionnels de la librairie, très attentifs à contrôler autant que possible la diffusion et à barrer la contrefaçon. Ils publient d’ailleurs, parallèlement à la première édition, une édition illustrée destinée au marché étranger, toujours à l’adresse de Ruault mais sortant des presses de la Société littéraire-typographique de Kehl.
Cette attention est confirmée par l’ «Avis de l’éditeur» figurant en bas de page: «Par un abus punissable, on a envoyé à Amsterdam un prétendu manuscrit de cette pièce, tiré de mémoire & défiguré, plein de lacunes, de contre-sens et d’absurdités. On l’a imprimé & vendu en y mettant le nom de M. de Beaumarchais. Des comédiens de province se sont permis de donner & représenter cette production comme l’ouvrage de l’auteur: il n’a manqué à tous ces gens de bien que d’être loués dans quelques feuilles périodiques».
Le paratexte a donc un rôle décisif dans le dossier du Mariage: la Préface occupe les pages I – L, et elle est suivie du détail des «Caractères et habillements de la pièce» (p. LI – LVI). La pièce elle-même est enrichie de didascalies, donnant la succession des personnages, et précisant la mise en scène et, le cas échéant, certaines situations.
Pour autant, plusieurs contrefaçons sont publiées, l’une, on l'a vu, à Amsterdam, et deux autres à Lyon, «d’après la copie envoyée par l’auteur».
Le Mariage est ainsi un livre emblématique d'un certain nombre de problèmes majeurs agités dans les dernières décennies de l'Ancien Régime, y compris s'agissant du statut de l'auteur.
Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, La Folle journée, ou le Mariage de Figaro. Comédie en cinq actes, en prose, par M. de Beaumarchais. Représentée pour la première fois par les Comédiens Français ordinaires du Roi, le mardi 27 avril 1784,
Au Palais-Royal, chez Ruault, libraire, près le Théâtre, n° 216, M.DCC.LXXXV (A Paris, de l’imprimerie de Ph.-D. Pierres, imprimeur ordinaire du Roi, &c),
[4-]LVI-237 p., 1 p. bl., 8°.
A la fin du texte de la pièce, p. 236, se trouve la mention: «S’adresser pour la Musique de l’ouvrage, à M. Baudron, Chef d’Orchestre du Théâtre Français».
Cordier (Bibliographie de Beaumarchais), 128. Tchémerzine, I, 491. Soleinne, 299. Conlon, 85/837. En français dans le texte, 178.
Contient : Avant-titre. Au v°: liste des libraires distribuant l’ouvrage, et avis de l’éditeur. Titre, avec un fleuron (bois gravé représentant une casse, une presse, des livres et différents outils d’imprimerie. Préface. Caractères et habillemens de la pièce. Approbation du 15 janvier 1785 (p. LVI). Titre de la pièce (p. 1) et distribution des rôles (p. 2). Le Mariage de Figaro. Approbation du 28 février 1784.
jeudi 28 juin 2012
lundi 25 juin 2012
L'Année Rousseau
Éditer Rousseau. Enjeux d’un corpus (1750-2012),
Lyon, ENS Éditions, Institut d’histoire du livre, 2012,
327 p., ill. ISBN 978 2 84788 343 5
Il y a bien longtemps que Wallace Kirsop initiait les chercheurs français aux plaisirs de la bibliographie matérielle, pour reprendre la traduction consacrée de la formule anglo-saxonne de physical bibliography. Mais, tel Jean le Baptiste, Wallace Kirsop a longtemps été une voix prêchant dans le désert, vox clamantis in deserto.
Cette constatation n’est plus d’actualité: les travaux sur nombre de titres (du Narrenschiff au Voyage pittoresque de la Grèce) montrent tout l’intérêt qu’il y a, pour celui qui étudie un certain texte, à examiner le plus grand nombre non seulement d’éditions possible où ledit texte est représenté, mais aussi d’exemplaires correspondant à ces éditions.
Le récent ouvrage de Philip Stewart répond à cet ordre du jour, en profitant de l’actualité (ne sommes-nous pas dans l’«Année Rousseau»?). Ce travail sur un auteur évidemment emblématique pose avant tout la question de savoir ce que sont des Œuvres complètes», et, en arrière-plan, celle relative au statut de l’auteur et au statut du texte (original, plus ou moins « falsifié », etc.). Les Œuvres de Rousseau sont longtemps l’une des affaires que l’on imagine les plus profitables pour la librairie, mais elles prennent une charge politique plus accentuée après la Révolution de 1789.
Sommaire
Introduction
Première partie. Rousseau, l’homme de ses livres. Vitam impendere libro?
1) La construction d’une œuvre (1739-1764). 2) Vers une édition «générale» (1764-1778). 3) La Collection complète de Genève (1778-1789). 4) La consécration révolutionnaire (1788-1801).
Deuxième partie. Une œuvre en héritage: faire plus, faire mieux.
1) Le siècle de Musset-Pathay (1817-1900). 2) Le métier d’éditeur. 3) De lettres en correspondances (1900-1995). 4) Jalons pour une relance (1920-1960). 5) Enfin la Pléiade (1959-1995).
Conclusion
Annexe ; bibliographie, index nominum.
Liste des illustrations ; liste des tableaux.
Bibliogr.: Carla Hesse, «Un livre fugitif» [le Contrat social], dans Histoire et civilisation du livre, 2011, VII, p. 355-367.
Lyon, ENS Éditions, Institut d’histoire du livre, 2012,
327 p., ill. ISBN 978 2 84788 343 5
Il y a bien longtemps que Wallace Kirsop initiait les chercheurs français aux plaisirs de la bibliographie matérielle, pour reprendre la traduction consacrée de la formule anglo-saxonne de physical bibliography. Mais, tel Jean le Baptiste, Wallace Kirsop a longtemps été une voix prêchant dans le désert, vox clamantis in deserto.
Cette constatation n’est plus d’actualité: les travaux sur nombre de titres (du Narrenschiff au Voyage pittoresque de la Grèce) montrent tout l’intérêt qu’il y a, pour celui qui étudie un certain texte, à examiner le plus grand nombre non seulement d’éditions possible où ledit texte est représenté, mais aussi d’exemplaires correspondant à ces éditions.
Le récent ouvrage de Philip Stewart répond à cet ordre du jour, en profitant de l’actualité (ne sommes-nous pas dans l’«Année Rousseau»?). Ce travail sur un auteur évidemment emblématique pose avant tout la question de savoir ce que sont des Œuvres complètes», et, en arrière-plan, celle relative au statut de l’auteur et au statut du texte (original, plus ou moins « falsifié », etc.). Les Œuvres de Rousseau sont longtemps l’une des affaires que l’on imagine les plus profitables pour la librairie, mais elles prennent une charge politique plus accentuée après la Révolution de 1789.
Sommaire
Introduction
Première partie. Rousseau, l’homme de ses livres. Vitam impendere libro?
1) La construction d’une œuvre (1739-1764). 2) Vers une édition «générale» (1764-1778). 3) La Collection complète de Genève (1778-1789). 4) La consécration révolutionnaire (1788-1801).
Deuxième partie. Une œuvre en héritage: faire plus, faire mieux.
1) Le siècle de Musset-Pathay (1817-1900). 2) Le métier d’éditeur. 3) De lettres en correspondances (1900-1995). 4) Jalons pour une relance (1920-1960). 5) Enfin la Pléiade (1959-1995).
Conclusion
Annexe ; bibliographie, index nominum.
Liste des illustrations ; liste des tableaux.
Bibliogr.: Carla Hesse, «Un livre fugitif» [le Contrat social], dans Histoire et civilisation du livre, 2011, VII, p. 355-367.
Libellés :
auteur,
bibliographie,
histoire littéraire,
Nouvelle publication,
Rousseau (J.-J.)
samedi 23 juin 2012
Journée d'étude d'histoire du livre
Biblyon
Livre et création littéraire à Lyon au seizième siècle
Présentation de travaux récents
Journée d'étude proposée
par le Groupe Renaissance et Âge classique
(université Lyon 2, UMR 5037)
et par le Centre Gabriel Naudé (enssib)
29 juin 2012
Institut des sciences de l'homme, salle Élise Rivet,
14 avenue Berthelot, 69007 Lyon
9h30
Michèle Clément, Raphaële Mouren Accueil
Livia Castelli, università La Sapienza, Roma Les Giunta de Lyon
Hélène Lannier, université Lyon 2 / enssib La publication des Libri de re rustica par Sébastien Gryphe
Léa Constantin, université Lyon 2 / enssib L'édition religieuse lyonnaise au début des années 1560
Dominique Coq, ministère de la Culture Incunables lyonnais inconnus récemment découverts à la bibliothèque de l'École nationale supérieure des beaux-arts
Michel Jourde, École normale supérieure de Lyon / Cerphi Présentation du projet UOH «Lyon, une capitale du livre à la Renaissance»
14h
Raphaëlle Bats, enssib / Centre Gabriel Naudé Problèmes méthodologiques et techniques pour le traitement des préfaces de Sébastien Gryphe
Pascale Mounier, université Lyon 2 / Grac Actualité de la base Éditions lyonnaises de romans (ELR)
Sylvie Deswarte-Rosa, directeur de recherche CNRS / Grac À propos d'Il Petrarca de Jean de Tournes en 1547. La Trinité trifrons en France dans le sillage de Savonarole
David Clot, université Lyon 2 L'emblème et son cadre. À propos d'une découverte récente sur la Délie de Maurice Scève
Conclusions
(Communiqué par Raphaële Mouren, maître de conférences, Université de Lyon-enssib
http://raphaele-mouren.enssib.frhttp://raphaele-mouren.enssib.fr
Présidente, IFLA Rare Books and Manuscripts Section
École de l'Institut d'histoire du livre
Libellés :
Lyon,
Programme de recherche ou de manifestation,
XVIe siècle
jeudi 21 juin 2012
Grolier et l'Italie
Le livre le plus célèbre donné par Alde Manuce est certainement son Hypnerotomachia Poliphili, alias le Songe de Poliphile, sorti des presses en 1499. Attribué au moine vénitien Francesco Colonna (1433-1527), le texte est regardé comme caractéristique de l’humanisme vénitien des années 1500. Le caractère typographique est l’antiqua de Bembo et l’Hypnerotomachia est illustrée de cent soixante-douze gravures en taille-douce, outre trente-huit initiales. Les scènes classiques font référence au monde de l’Antiquité (par ex. l’encadrement architectural), avec des personnages symbolisant souvent des vertus ou des idées. Si l’on n’a pas identifié l’illustrateur, celui-ci pourrait faire partie des cercles de Mantegna ou de Bellini.
L’influence du Poliphile est très grande et on sait, par exemple, que Dürer lui-même en possédait un exemplaire, aujourd’hui conservé à Munich (réf. cf. infra).
Pourtant, l’ouvrage ne connaît pas le succès immédiatement: il ne sera reconnu comme une pièce exceptionnelle par les amateurs fortunés désireux d’enrichir leur bibliothèque que peu à peu dans la première moitié du XVIe siècle, et le rôle du bibliophile français Jean Grolier paraît avoir été décisif dans ce processus.
Les connexions italiennes sont ici essentielles. Rappelons d'abord que Grolier (vers 1489/1490-1565) descend de négociants fortunés venus de Vérone s’établir à Lyon, et que son père était trésorier-général du duché de Milan de 1506 à sa mort, en 1509. Lui-même fait à plusieurs reprises de longs séjours en Italie jusqu’en 1526, avant de poursuivre une carrière prestigieuse qui le conduira au poste très lucratif de trésorier de France.
Sa bibliothèque est tout particulièrement célèbre par les reliures spectaculaires qu’il fait préparer pour ses volumes.
Mais les liens de Grolier sont particulièrement étroits avec Venise: les reliures géométriques qu’il fait exécuter sortent, de 1540 à 1547, de l’atelier parisien de Jean Picard, agent parisien de Gian Francesco Torresano, alors à la tête de l’entreprise de Venise (voir cliché). Ceci explique sans doute que les éditions aldines représentent 119 titres en 134 volumes dans la collection de Grolier, certains ouvrages, dont l’Hypnerotomachia, étant en plusieurs exemplaires.
La Bibliothèque de Toulouse possède ainsi un exemplaire portant la célèbre reliure à motif géométrique exécutée pour Grolier, lequel en fit don à Sabatier de Narbonne en 1544 (BmT, Inc. Venise 148). Au milieu du XVIIe siècle, on retrouve ce volume dans le Cabinet de curiosités d’Étienne Trapas, chanoine de Saint-Salvy d’Albi –un des principaux cabinets de curiosités existant alors en Europe. La Bibliothèque de Reims possède elle aussi une Hypnerotomachia de Grolier, avec une série d’ex libris qui témoignent de la valeur bibliophilique acquise par ces volumes (BmR, Inc. 115): «Ioannis Grolierii Lugdunen[sis] & amicorum», puis «Anthonius Regnier emit», pour finir avec l’ex libris imprimé de Pierre Frizon, vicaire général de la Grande Aumônerie de France et chanoine de Reims, lequel en fait don au chapitre cathédral de cette ville en 1651. Nous pourrions multiplier les exemples, en nous référant notamment à la notice du GKW (plus de 220 exemplaires repérés).
Grolier est le parangon du collectionneur raffiné, et il n’est pas douteux que son intervention n’ait beaucoup joué pour faire reconnaître la valeur bibliophilique de l’Hypnerotomachia et des éditions aldines à partir du XVIe siècle. Après Grolier, toute bibliothèque prestigieuse se doit de posséder une Hypnerotomachia dans la meilleure condition, et si possible une section d’aldines. L’abbé Jean d’Estrées a le livre de Francesco Colonna, légué avec sa bibliothèque à Saint-Germain-des-Prés en 1718, et aujourd’hui dans les fonds de la Bibliothèque Mazarine (Inc. D 1067). Étudié par Yann Sordet, le grand bibliophile lyonnais Pierre Adamoli (1707-1769) descend lui aussi d’une famille de négociants lyonnais liés à l’Italie: son Hypnerotomachia est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon. Et le marquis de Paulmy note, sur le feuillet de garde de la sienne, que
ce livre est singulier (…). Cette édition est très rare et très chère. Les figures sont excellentes dans leur genre…
Pour ne pas quitter la France, nous signalons encore d’autres exemplaires à Montpellier (deux, dont celui de l’historien et bibliophile bourguignon Fevret de Fontette) et à Nîmes, mais aussi à Arras (exemplaire aujourd’hui détruit), etc. En revanche, si Claude Dupuy possède le Songe de Poliphile (n° 519), c’est dans l’édition italienne de 1545, et il en va de même pour le cardinal de Granvelle.
Cette dilection pour les éditions aldines aboutit à leur regroupement en séries individualisées au sein des catalogues, selon un processus précisément balisé par les recherches de Yann Sordet:
Le catalogue de vente devient (...) rapidement, à partir des années 1720 et surtout de quelques ventes remarquées comme celle de Cisternay du Fay en 1725, un des principaux marqueurs du marché de la collection de livres, à la fois outil et modèle bibliophilique. C’est lui qui en quelque sorte valide la singularisation de certains ensembles bibliographiques, en les affranchissant progressivement du système méthodique dit des libraires de Paris alors très largement utilisé, et donc en relativisant sa cohérence et sa vocation universelle. En effet les premiers index spécifiques ou rubriques séparées qui apparaissent désignent des ensembles de livres ainsi «sortis» des cinq classes traditionnelles, en les rapprochant en quelque sorte des objets «extravagants» que sont estampes, tableaux, médailles, objets astronomiques ou curiosités naturelles parfois catalogués, toujours en marge des livres...
Francesco Colonna, Hypnerotomachia Poliphili, Venezia, Aldus Manutius pour Leonardus Grassus, 1499.
Thesaurus librorum. 425 Jahre Bayerische Bibliothek [Catalogue d’exposition], Wiesbaden, Dr. Ludwig Reichart Verlag, 1983, n° 104.
(Trois clichés de l'exemplaire de Reims, © Bibliothèque de Reims).
L’influence du Poliphile est très grande et on sait, par exemple, que Dürer lui-même en possédait un exemplaire, aujourd’hui conservé à Munich (réf. cf. infra).
Pourtant, l’ouvrage ne connaît pas le succès immédiatement: il ne sera reconnu comme une pièce exceptionnelle par les amateurs fortunés désireux d’enrichir leur bibliothèque que peu à peu dans la première moitié du XVIe siècle, et le rôle du bibliophile français Jean Grolier paraît avoir été décisif dans ce processus.
Les connexions italiennes sont ici essentielles. Rappelons d'abord que Grolier (vers 1489/1490-1565) descend de négociants fortunés venus de Vérone s’établir à Lyon, et que son père était trésorier-général du duché de Milan de 1506 à sa mort, en 1509. Lui-même fait à plusieurs reprises de longs séjours en Italie jusqu’en 1526, avant de poursuivre une carrière prestigieuse qui le conduira au poste très lucratif de trésorier de France.
Sa bibliothèque est tout particulièrement célèbre par les reliures spectaculaires qu’il fait préparer pour ses volumes.
Mais les liens de Grolier sont particulièrement étroits avec Venise: les reliures géométriques qu’il fait exécuter sortent, de 1540 à 1547, de l’atelier parisien de Jean Picard, agent parisien de Gian Francesco Torresano, alors à la tête de l’entreprise de Venise (voir cliché). Ceci explique sans doute que les éditions aldines représentent 119 titres en 134 volumes dans la collection de Grolier, certains ouvrages, dont l’Hypnerotomachia, étant en plusieurs exemplaires.
La Bibliothèque de Toulouse possède ainsi un exemplaire portant la célèbre reliure à motif géométrique exécutée pour Grolier, lequel en fit don à Sabatier de Narbonne en 1544 (BmT, Inc. Venise 148). Au milieu du XVIIe siècle, on retrouve ce volume dans le Cabinet de curiosités d’Étienne Trapas, chanoine de Saint-Salvy d’Albi –un des principaux cabinets de curiosités existant alors en Europe. La Bibliothèque de Reims possède elle aussi une Hypnerotomachia de Grolier, avec une série d’ex libris qui témoignent de la valeur bibliophilique acquise par ces volumes (BmR, Inc. 115): «Ioannis Grolierii Lugdunen[sis] & amicorum», puis «Anthonius Regnier emit», pour finir avec l’ex libris imprimé de Pierre Frizon, vicaire général de la Grande Aumônerie de France et chanoine de Reims, lequel en fait don au chapitre cathédral de cette ville en 1651. Nous pourrions multiplier les exemples, en nous référant notamment à la notice du GKW (plus de 220 exemplaires repérés).
Grolier est le parangon du collectionneur raffiné, et il n’est pas douteux que son intervention n’ait beaucoup joué pour faire reconnaître la valeur bibliophilique de l’Hypnerotomachia et des éditions aldines à partir du XVIe siècle. Après Grolier, toute bibliothèque prestigieuse se doit de posséder une Hypnerotomachia dans la meilleure condition, et si possible une section d’aldines. L’abbé Jean d’Estrées a le livre de Francesco Colonna, légué avec sa bibliothèque à Saint-Germain-des-Prés en 1718, et aujourd’hui dans les fonds de la Bibliothèque Mazarine (Inc. D 1067). Étudié par Yann Sordet, le grand bibliophile lyonnais Pierre Adamoli (1707-1769) descend lui aussi d’une famille de négociants lyonnais liés à l’Italie: son Hypnerotomachia est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon. Et le marquis de Paulmy note, sur le feuillet de garde de la sienne, que
ce livre est singulier (…). Cette édition est très rare et très chère. Les figures sont excellentes dans leur genre…
Pour ne pas quitter la France, nous signalons encore d’autres exemplaires à Montpellier (deux, dont celui de l’historien et bibliophile bourguignon Fevret de Fontette) et à Nîmes, mais aussi à Arras (exemplaire aujourd’hui détruit), etc. En revanche, si Claude Dupuy possède le Songe de Poliphile (n° 519), c’est dans l’édition italienne de 1545, et il en va de même pour le cardinal de Granvelle.
Cette dilection pour les éditions aldines aboutit à leur regroupement en séries individualisées au sein des catalogues, selon un processus précisément balisé par les recherches de Yann Sordet:
Le catalogue de vente devient (...) rapidement, à partir des années 1720 et surtout de quelques ventes remarquées comme celle de Cisternay du Fay en 1725, un des principaux marqueurs du marché de la collection de livres, à la fois outil et modèle bibliophilique. C’est lui qui en quelque sorte valide la singularisation de certains ensembles bibliographiques, en les affranchissant progressivement du système méthodique dit des libraires de Paris alors très largement utilisé, et donc en relativisant sa cohérence et sa vocation universelle. En effet les premiers index spécifiques ou rubriques séparées qui apparaissent désignent des ensembles de livres ainsi «sortis» des cinq classes traditionnelles, en les rapprochant en quelque sorte des objets «extravagants» que sont estampes, tableaux, médailles, objets astronomiques ou curiosités naturelles parfois catalogués, toujours en marge des livres...
Francesco Colonna, Hypnerotomachia Poliphili, Venezia, Aldus Manutius pour Leonardus Grassus, 1499.
Thesaurus librorum. 425 Jahre Bayerische Bibliothek [Catalogue d’exposition], Wiesbaden, Dr. Ludwig Reichart Verlag, 1983, n° 104.
(Trois clichés de l'exemplaire de Reims, © Bibliothèque de Reims).
Libellés :
bibliophilie,
Grolier,
Hypnerotomachia,
Sociabilité savante
samedi 16 juin 2012
Nouvelle publication: Hubert Martin Cazin
Jean-Paul Fontaine,
Cazin, l’éponyme galvaudé, préface de Christian Galantaris,
Paris, L’Hexaèdre éditeur, 2012,
332 p., ill.
ISBN 978-2-919271-01-6
Né à Reims en 1724, Hubert Martin Cazin est un des grands noms de la librairie des Lumières. Il succède en 1755 à son père comme libraire dans sa ville natale (où il est notamment le libraire de l’université), avant de s’établir à Paris en 1785 (un premier établissement a échoué en 1777). Proche des frontières du nord, Cazin s’engage régulièrement dans le commerce des livres prohibés, pour lequel il est condamné à plusieurs reprises: il est notamment en affaires avec la Société typographique de Bouillon, dont il expédie les livres jusqu’aux entrepôts de La Villette, avant de les faire pénétrer dans Paris.
Mais Cazin est avant tout célèbre pour sa collection d’élégants petits volumes, pour lesquels il choisit le format in-18 qui a pris son nom. Les «Cazin» connaissent un franc succès, au point d’être largement plagiés par la concurrence, et Cazin lui-même expliquera, en 1785, avoir donné deux cents titres sous cette forme (voir p. 239-240, notice n° 28). À côté des Alde, des Elzevier et des Plantin, mais aussi des Estienne et des Giunta, puis des Didot et des Bodoni, les Cazin prennent bientôt rang parmi les adresses particulièrement recherchées des amateurs –Charles Nodier parlera à leur sujet de «familles patriciennes», voire «royales», de l’imprimerie. Cazin décède à Paris en 1795. On ne prête qu’aux riches –le dicton reste d’actualité, et on attribué à Cazin nombre de publications dont en réalité il n’est pas responsable.
Le docteur Jean-Paul Fontaine, «bibliophile rémois», qui s’est attaché depuis des années à l’étude de Cazin et de ses productions, vient de publier la somme que l'on attendait et qui fait le point de manière définitive sur le sujet. Il y aborde successivement
- l’historiographie: «Les biographes et bibliographes de Cazin»;
- la biographie de Cazin, en quatre chapitres: «Les Cazin à Reims avant Cazin», «Cazin, libraire à Reims», «Cazin, libraire à Paris» et «Les Cazin après Cazin»;
- le chapitre six envisage la problématique bibliographique et bibliophilique : « Identification des éditions in-18 de Cazin » (avec une liste des «faux Cazin»);
- enfin, le chapitre sept, qui n’est pas vraiment un chapitre, propose la bibliographie des «Éditions authentiques de Cazin», soit soixante-quinze éditions, publiées de 1762 à 1793. Les notices sont présentées par ordre chronologique, et donnent tous les éléments nécessaire, y compris la localisation avec la cote des exemplaires examinés (à Reims et en Champagne-Ardenne, mais aussi à Dijon, Rouen, Versailles, etc.). L’ensemble est complété par les sources et la bibliographie, et par un index librorum et nominum.
Modèle d’érudition bibliographique et de précision historique, l’ouvrage est illustré au fil du texte (notamment pour le matériel typographique), et par deux très beaux cahiers d’illustrations en couleur.
Cazin, l’éponyme galvaudé, préface de Christian Galantaris,
Paris, L’Hexaèdre éditeur, 2012,
332 p., ill.
ISBN 978-2-919271-01-6
Né à Reims en 1724, Hubert Martin Cazin est un des grands noms de la librairie des Lumières. Il succède en 1755 à son père comme libraire dans sa ville natale (où il est notamment le libraire de l’université), avant de s’établir à Paris en 1785 (un premier établissement a échoué en 1777). Proche des frontières du nord, Cazin s’engage régulièrement dans le commerce des livres prohibés, pour lequel il est condamné à plusieurs reprises: il est notamment en affaires avec la Société typographique de Bouillon, dont il expédie les livres jusqu’aux entrepôts de La Villette, avant de les faire pénétrer dans Paris.
Mais Cazin est avant tout célèbre pour sa collection d’élégants petits volumes, pour lesquels il choisit le format in-18 qui a pris son nom. Les «Cazin» connaissent un franc succès, au point d’être largement plagiés par la concurrence, et Cazin lui-même expliquera, en 1785, avoir donné deux cents titres sous cette forme (voir p. 239-240, notice n° 28). À côté des Alde, des Elzevier et des Plantin, mais aussi des Estienne et des Giunta, puis des Didot et des Bodoni, les Cazin prennent bientôt rang parmi les adresses particulièrement recherchées des amateurs –Charles Nodier parlera à leur sujet de «familles patriciennes», voire «royales», de l’imprimerie. Cazin décède à Paris en 1795. On ne prête qu’aux riches –le dicton reste d’actualité, et on attribué à Cazin nombre de publications dont en réalité il n’est pas responsable.
Le docteur Jean-Paul Fontaine, «bibliophile rémois», qui s’est attaché depuis des années à l’étude de Cazin et de ses productions, vient de publier la somme que l'on attendait et qui fait le point de manière définitive sur le sujet. Il y aborde successivement
- l’historiographie: «Les biographes et bibliographes de Cazin»;
- la biographie de Cazin, en quatre chapitres: «Les Cazin à Reims avant Cazin», «Cazin, libraire à Reims», «Cazin, libraire à Paris» et «Les Cazin après Cazin»;
- le chapitre six envisage la problématique bibliographique et bibliophilique : « Identification des éditions in-18 de Cazin » (avec une liste des «faux Cazin»);
- enfin, le chapitre sept, qui n’est pas vraiment un chapitre, propose la bibliographie des «Éditions authentiques de Cazin», soit soixante-quinze éditions, publiées de 1762 à 1793. Les notices sont présentées par ordre chronologique, et donnent tous les éléments nécessaire, y compris la localisation avec la cote des exemplaires examinés (à Reims et en Champagne-Ardenne, mais aussi à Dijon, Rouen, Versailles, etc.). L’ensemble est complété par les sources et la bibliographie, et par un index librorum et nominum.
Modèle d’érudition bibliographique et de précision historique, l’ouvrage est illustré au fil du texte (notamment pour le matériel typographique), et par deux très beaux cahiers d’illustrations en couleur.
Libellés :
bibliophilie,
Cazin (H. M.),
Nouvelle publication,
Paris
vendredi 15 juin 2012
mardi 12 juin 2012
Nouvelle publication: la maison Mame
La maison Mame a déjà été mentionnée sur ce blog, (y compris d'agissant d'Hernani), et elle est l'une des maisons d'imprimerie, de librairie et d'édition les plus célèbres de France entre la seconde moitié du XVIIIe siècle et les années 2000. Malgré des travaux isolés, une monographie de grande ampleur faisait à ce jour défaut. Ce manque est comblé par la publication remarquable dont nous présentons ci-dessous le sommaire.
La ligne de recherche concernant la production imprimée «pour tous», dont Mame s'était fait une spécialité et sur laquelle il avait bâti un développement industriel particulièrement efficace, intéresse des genres et des titres très différents -du livre d'église à celui de piété (l'Imitation de Jésus-Christ!), aux textes de récréation, à la production scolaire, sans oublier le traité politique, etc.
Le prochain symposium d'histoire du livre, organisé en septembre à Mamaia (Roumanie), traitera précisément du thème, mais dans une perspective comparatiste et transnationale, qu'il s'agisse des professionnels (dont les auteurs), des textes, des livres ou des publics. Nulle doute que la maison Mame y soit évoquée, avec certaines des entreprises emblématiques de la période, en France comme dans d'autres pays. Un dossier y sera notamment présenté sur le chanoine Christoph Schmid (Schmidt), l'un des auteurs les plus prolifiques du second XVIIIe siècle, et dont bon nombre de titres se sont inscrits, pendant plus d'un siècle, parmi les best-sellers les plus étonnants de l'époque. Cette littérature moralisatrice, négligée par l'histoire littéraire, n'en constitue pas moins, comme le montre le «dossier Mame», un phénomène éditorial de toute première importance, et dont il importe de poursuivre l'étude.
Mame. Deux siècle d’édition pour la jeunesse, sous la direction de Cécile Boulaire. Préface de Jean-Yves Mollier,
Rennes, Presses universitaires de Rennes ; Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2012, 560 p., ill.
(«Histoire»; «Perspectives historiques»)
ISBN 78-2-7535-1858-2
SOMMAIRE
Préface, par Jean-Yves Mollier
Introduction générale, par Cécile Boulaire
Première partie- Les fondateurs
Introduction: Un voyage dans les archives, par Michel Manson
Charles Pierre Mame à Angers: un fondateur, par Cécile Boulaire
La maison Mame à Angers (1807-1828), par Tangi Villerbu
Les Mame à Paris (1807-1837): l’échec d’une stratégie familiale de diversification, par Michel Manson
La bifurcation américaine de Charles Mathieu Mame (1815-1818), par Tangi Villerbu
Deuxième partie- L’installation dynastique
Installation d’Amand Mame à Tours: le contexte tourangeau, par Michel Manson
Amand Mame (1776-1848), par Chantal Dauchez
Alfred Mame (1811-1893), par Chantal Dauchez
Ernest Mame (1805-1883); Gustave Mame (1830-1893), par Chantal Dauchez
Paul Mame et ses fils, par Chantal Dauchez
La «Maison Alfred Mame et fils», Société Anonyme, par Michèle Piquard
Troisième partie- L’entreprise Mame et la question sociale
Introduction: L’entreprise Mame et la question sociale, par Tangi Villerbu
Les livres d’histoire de la maison Mame, supports de la doctrine du catholicisme social, de 1830 à 1880?, par Christian Amalvi
Cité ouvrière et institutions sociales, par Chantal Dauchez
Alfred Mame et la Commission d’enquête parlementaire sur les conditions du travail en France en 1873, par Martin Dumont
Mame et l’école publique (1870-1890): l’annonce d’une fracture éditoriale, par Marie-Françoise Boyer-Vidal
Quatrième partie- Mame propagateur de la foi
Introduction: Mame propagateur de la foi, par Tangi Villerbu
Des Bons Livres aux livres pour enfants: la création de la «Bibliothèque de la jeunesse chrétienne», par Michel Manson
La maison Mame et les Frères des écoles chrétiennes: une tumultueuse union, par Tangi Villerbu
Mame au Québec: importation et usages d’une littérature catholique française (1840-1960), par Tangi Villerbu
Les romans historiques chez Mame (1834-1914): faire revivre le passé à la lumière de la foi, par Michel Manson
Cinquième partie- Les collections
Introduction: L’ordre des collections, par Cécile Boulaire
La ligne éditoriale: auctorialité et sérialité éditoriale, par Matthieu Letourneux
Une logique de collections: de la «Bibliothèque de la jeunesse chrétienne» à la «Bibliothèque des petits enfants», par Cécile Boulaire
Raymond Pornin et le «Gymnase moral d’éducation»: être éditeur de livres pour enfants à Tours sous Alfred Mame, par Cécile Boulaire
Les séries Mame au XXe siècle siècle: organisation et auteurs, par Stéphane Tassi
Mutation des logiques de collections (1885-1940), par Marie-Pierre Litaudon
La Revue Mame (1894-1909), une publication académique, par Francis Marcoin
Sixième partie- Les genres
Introduction: Les genres, par Matthieu Letourneux
La «littérature» selon Mame?, par Cécile Boulaire
Mame, entre esthétique et éthique, par Matthieu Letourneux
De L’Ami des enfans à la «Bibliothèque des petits enfants»: rupture ou continuité?, par Annette Baudron
Mame à l’ère des pédagogues républicains, ou le poids d’un héritage éditorial (1870-1890), par Marie-Françoise Boyer-Vidal
Les romans d’aventures sont-ils très catholiques? Mame face au genre, entre contraintes sérielles et reformulations éditoriales, par Matthieu Letourneux
Un siècle de fictions coloniales pour la jeunesse (1830-1940), par Mathilde Lévêque
Septième partie- Écrire pour Mame
Introduction: Écrire pour Mame, par Mathilde Lévêque
Traduire pour Mame, par Mathilde Lévêque
À éditeur célèbre, écrivains obscurs?, par Cécile Boulaire et Mathilde Lévêque
Just-Jean-Étienne Roy, un polygraphe voué à Mame, par Cécile Boulaire
Hippolyte de Chavannes de La Giraudière: un auteur Mame, Clémence Lefay
Classicisme, naturalisme et passéisme: l’évolution du style Mame à travers quelques-uns de ses auteurs, par Stéphane Tassi
Huitième partie- Reliure, illustration, bibliophilie
Introduction: La forme visuelle des livres Mame, par François Fièvre
La reliure chez Mame: techniques de fabrication et esthétique (1840-1880), par Élisabeth Verdure
Amand Mame & Cie, un éditeur romantique pour enfants (1830-1850), par Olivia Voisin
John Arthur Quartley et les graveurs sur bois des éditions Mame à Tours, par Rémi Blachon
Les pratiques typographiques et bibliophiliques de la maison Mame au XIXe siècle, par François Fièvre
Illustration religieuse et ouvrages de prestige: Hallez, Doré, Tissot…, par Isabelle Saint-Martin
Brochages, cartonnages et percalines: les couvertures Mame de 1870 à 1940, par Stéphane Tassi
Neuvième partie- Mame au XXe siècle
Introduction: Mame au XXe siècle, par Cécile Boulaire
Les albums Mame dans l’entre-deux-guerres, par Marie-Pierre Litaudon
D’une usine l’autre: 1940-1953, destruction et reconstruction de l’usine Mame, par Caroline Gaume
L’imprimerie Mame à Tours, une usine moderne en bordure de Loire (1950-1953), par Christine Desmoulins
La maison Mame après la Seconde Guerre mondiale, par Michèle Piquard
Un Petit Prince devait paraître chez Mame…, par Marie-Pierre Litaudon
Conclusion: Fin de projet, ouverture de chantiers, par Tangi Villerbu et Matthieu Letourneux
La ligne de recherche concernant la production imprimée «pour tous», dont Mame s'était fait une spécialité et sur laquelle il avait bâti un développement industriel particulièrement efficace, intéresse des genres et des titres très différents -du livre d'église à celui de piété (l'Imitation de Jésus-Christ!), aux textes de récréation, à la production scolaire, sans oublier le traité politique, etc.
Le prochain symposium d'histoire du livre, organisé en septembre à Mamaia (Roumanie), traitera précisément du thème, mais dans une perspective comparatiste et transnationale, qu'il s'agisse des professionnels (dont les auteurs), des textes, des livres ou des publics. Nulle doute que la maison Mame y soit évoquée, avec certaines des entreprises emblématiques de la période, en France comme dans d'autres pays. Un dossier y sera notamment présenté sur le chanoine Christoph Schmid (Schmidt), l'un des auteurs les plus prolifiques du second XVIIIe siècle, et dont bon nombre de titres se sont inscrits, pendant plus d'un siècle, parmi les best-sellers les plus étonnants de l'époque. Cette littérature moralisatrice, négligée par l'histoire littéraire, n'en constitue pas moins, comme le montre le «dossier Mame», un phénomène éditorial de toute première importance, et dont il importe de poursuivre l'étude.
Mame. Deux siècle d’édition pour la jeunesse, sous la direction de Cécile Boulaire. Préface de Jean-Yves Mollier,
Rennes, Presses universitaires de Rennes ; Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2012, 560 p., ill.
(«Histoire»; «Perspectives historiques»)
ISBN 78-2-7535-1858-2
SOMMAIRE
Préface, par Jean-Yves Mollier
Introduction générale, par Cécile Boulaire
Première partie- Les fondateurs
Introduction: Un voyage dans les archives, par Michel Manson
Charles Pierre Mame à Angers: un fondateur, par Cécile Boulaire
La maison Mame à Angers (1807-1828), par Tangi Villerbu
Les Mame à Paris (1807-1837): l’échec d’une stratégie familiale de diversification, par Michel Manson
La bifurcation américaine de Charles Mathieu Mame (1815-1818), par Tangi Villerbu
Deuxième partie- L’installation dynastique
Installation d’Amand Mame à Tours: le contexte tourangeau, par Michel Manson
Amand Mame (1776-1848), par Chantal Dauchez
Alfred Mame (1811-1893), par Chantal Dauchez
Ernest Mame (1805-1883); Gustave Mame (1830-1893), par Chantal Dauchez
Paul Mame et ses fils, par Chantal Dauchez
La «Maison Alfred Mame et fils», Société Anonyme, par Michèle Piquard
Troisième partie- L’entreprise Mame et la question sociale
Introduction: L’entreprise Mame et la question sociale, par Tangi Villerbu
Les livres d’histoire de la maison Mame, supports de la doctrine du catholicisme social, de 1830 à 1880?, par Christian Amalvi
Cité ouvrière et institutions sociales, par Chantal Dauchez
Alfred Mame et la Commission d’enquête parlementaire sur les conditions du travail en France en 1873, par Martin Dumont
Mame et l’école publique (1870-1890): l’annonce d’une fracture éditoriale, par Marie-Françoise Boyer-Vidal
Quatrième partie- Mame propagateur de la foi
Introduction: Mame propagateur de la foi, par Tangi Villerbu
Des Bons Livres aux livres pour enfants: la création de la «Bibliothèque de la jeunesse chrétienne», par Michel Manson
La maison Mame et les Frères des écoles chrétiennes: une tumultueuse union, par Tangi Villerbu
Mame au Québec: importation et usages d’une littérature catholique française (1840-1960), par Tangi Villerbu
Les romans historiques chez Mame (1834-1914): faire revivre le passé à la lumière de la foi, par Michel Manson
Cinquième partie- Les collections
Introduction: L’ordre des collections, par Cécile Boulaire
La ligne éditoriale: auctorialité et sérialité éditoriale, par Matthieu Letourneux
Une logique de collections: de la «Bibliothèque de la jeunesse chrétienne» à la «Bibliothèque des petits enfants», par Cécile Boulaire
Raymond Pornin et le «Gymnase moral d’éducation»: être éditeur de livres pour enfants à Tours sous Alfred Mame, par Cécile Boulaire
Les séries Mame au XXe siècle siècle: organisation et auteurs, par Stéphane Tassi
Mutation des logiques de collections (1885-1940), par Marie-Pierre Litaudon
La Revue Mame (1894-1909), une publication académique, par Francis Marcoin
Sixième partie- Les genres
Introduction: Les genres, par Matthieu Letourneux
La «littérature» selon Mame?, par Cécile Boulaire
Mame, entre esthétique et éthique, par Matthieu Letourneux
De L’Ami des enfans à la «Bibliothèque des petits enfants»: rupture ou continuité?, par Annette Baudron
Mame à l’ère des pédagogues républicains, ou le poids d’un héritage éditorial (1870-1890), par Marie-Françoise Boyer-Vidal
Les romans d’aventures sont-ils très catholiques? Mame face au genre, entre contraintes sérielles et reformulations éditoriales, par Matthieu Letourneux
Un siècle de fictions coloniales pour la jeunesse (1830-1940), par Mathilde Lévêque
Septième partie- Écrire pour Mame
Introduction: Écrire pour Mame, par Mathilde Lévêque
Traduire pour Mame, par Mathilde Lévêque
À éditeur célèbre, écrivains obscurs?, par Cécile Boulaire et Mathilde Lévêque
Just-Jean-Étienne Roy, un polygraphe voué à Mame, par Cécile Boulaire
Hippolyte de Chavannes de La Giraudière: un auteur Mame, Clémence Lefay
Classicisme, naturalisme et passéisme: l’évolution du style Mame à travers quelques-uns de ses auteurs, par Stéphane Tassi
Huitième partie- Reliure, illustration, bibliophilie
Introduction: La forme visuelle des livres Mame, par François Fièvre
La reliure chez Mame: techniques de fabrication et esthétique (1840-1880), par Élisabeth Verdure
Amand Mame & Cie, un éditeur romantique pour enfants (1830-1850), par Olivia Voisin
John Arthur Quartley et les graveurs sur bois des éditions Mame à Tours, par Rémi Blachon
Les pratiques typographiques et bibliophiliques de la maison Mame au XIXe siècle, par François Fièvre
Illustration religieuse et ouvrages de prestige: Hallez, Doré, Tissot…, par Isabelle Saint-Martin
Brochages, cartonnages et percalines: les couvertures Mame de 1870 à 1940, par Stéphane Tassi
Neuvième partie- Mame au XXe siècle
Introduction: Mame au XXe siècle, par Cécile Boulaire
Les albums Mame dans l’entre-deux-guerres, par Marie-Pierre Litaudon
D’une usine l’autre: 1940-1953, destruction et reconstruction de l’usine Mame, par Caroline Gaume
L’imprimerie Mame à Tours, une usine moderne en bordure de Loire (1950-1953), par Christine Desmoulins
La maison Mame après la Seconde Guerre mondiale, par Michèle Piquard
Un Petit Prince devait paraître chez Mame…, par Marie-Pierre Litaudon
Conclusion: Fin de projet, ouverture de chantiers, par Tangi Villerbu et Matthieu Letourneux
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samedi 9 juin 2012
Le retable d'Issenheim
Le célèbre polyptique aujourd’hui exposé dans l’ancienne église des Dominicains de Colmar, a été réalisé entre 1512 et 1516 par le peintre Matthias Grünewald et par le sculpteur Nicolas de Haguenau pour l’église de la commanderie hospitalière d’Issenheim, appartenant à l’ordre des Antonins. Le retable a été transporté en 1792 au dépôt littéraire de Colmar, puis il entre en 1852 dans l’église des Dominicains, noyau du futur musée Unterlinden.
Dans sa présentation actuelle, le retable représente la Crucifixion, de manière très réaliste et se détachant sur un impressionnant fond d’un noir d’encre. Il se déplie pour dévoiler d’abord les scènes de la vie du Christ (Annonciation, Nativité et Résurrection), puis de celle de saint Antoine: la Tentation, et la visite de saint Antoine à saint Paul.
Le livre figure à plusieurs reprises sur le retable, par exemple dans la scène de l’Annonciation.
Mais nous nous arrêterons sur le panneau représentant la Tentation de saint Antoine, d’après le passage d’Athanase d’Alexandrie repris dans la Légende dorée de Jacques de Voragine: les démons apparaissent au saint sous la forme de bêtes qui le déchirent de leurs dents, de leurs cornes et de leurs griffes. Ils sont mis en fuite par une admirable clarté. De fait, la peinture nous montre le saint traîné par les cheveux. D’horribles créatures se précipitent sur lui dans un galop apocalyptique (dont le mouvement évoque les cavaliers de Dürer), tandis que, en arrière-plan, les ruines de sa chaumière achèvent de se consumer. Dans le ciel, le Christ en gloire monte dans un halo lumineux.
Au premier plan à gauche, un abominable monstre aux pieds palmés brandit son bras gauche réduit à un moignon. Son corps verdâtre évoque un batracien, et il est couvert de pustules et de boursouflures. Serions-nous devant une évocation de la maladie (la commanderie d'Issenheim est un hôpital), ramenée à l’œuvre du démon (la grenouille et le crapaud sont les créatures du diable), mais qui sera guérie par l’intervention divine? La créature est couchée, elle ne se mêle pas à celles qui assaillent le saint, mais on a bien le sentiment qu’elle est en train de mourir.
Deux remarques suggèrent peut-être une interprétation un petit peu différente -laquelle est liée au livre. Le chapeau évoque un bonnet de fou, reprenant un thème largement répandu en pays rhénan à l’époque: dans le Narrenschiff, le strasbourgeois Sébastien Brant dévide la théorie des fous qui se sont détournés de la Parole de Dieu, pour se livrer aux tentations et aux joies trompeuses de la vie terrestre.
Et dans la main droite, l’affreuse créature écroulée tient un livre fermé, qui est un «livre bourse», autrement dit un livre protégé par une reliure à rabats permettant de le garder avec soi au fil de la journée – et de la vie. Il s’agit du Livre de la Parole de Dieu, que le fou a peut-être arraché à l’ermite, mais qu’il n’ouvre pas et dont il ignore la valeur. Pour lui, les mots restent vides et morts, sa folie est dans son ignorance de ce qu'il devrait savoir et, lui aussi, il va en effet mourir.
(clichés FB).
Dans sa présentation actuelle, le retable représente la Crucifixion, de manière très réaliste et se détachant sur un impressionnant fond d’un noir d’encre. Il se déplie pour dévoiler d’abord les scènes de la vie du Christ (Annonciation, Nativité et Résurrection), puis de celle de saint Antoine: la Tentation, et la visite de saint Antoine à saint Paul.
Le livre figure à plusieurs reprises sur le retable, par exemple dans la scène de l’Annonciation.
Mais nous nous arrêterons sur le panneau représentant la Tentation de saint Antoine, d’après le passage d’Athanase d’Alexandrie repris dans la Légende dorée de Jacques de Voragine: les démons apparaissent au saint sous la forme de bêtes qui le déchirent de leurs dents, de leurs cornes et de leurs griffes. Ils sont mis en fuite par une admirable clarté. De fait, la peinture nous montre le saint traîné par les cheveux. D’horribles créatures se précipitent sur lui dans un galop apocalyptique (dont le mouvement évoque les cavaliers de Dürer), tandis que, en arrière-plan, les ruines de sa chaumière achèvent de se consumer. Dans le ciel, le Christ en gloire monte dans un halo lumineux.
Au premier plan à gauche, un abominable monstre aux pieds palmés brandit son bras gauche réduit à un moignon. Son corps verdâtre évoque un batracien, et il est couvert de pustules et de boursouflures. Serions-nous devant une évocation de la maladie (la commanderie d'Issenheim est un hôpital), ramenée à l’œuvre du démon (la grenouille et le crapaud sont les créatures du diable), mais qui sera guérie par l’intervention divine? La créature est couchée, elle ne se mêle pas à celles qui assaillent le saint, mais on a bien le sentiment qu’elle est en train de mourir.
Deux remarques suggèrent peut-être une interprétation un petit peu différente -laquelle est liée au livre. Le chapeau évoque un bonnet de fou, reprenant un thème largement répandu en pays rhénan à l’époque: dans le Narrenschiff, le strasbourgeois Sébastien Brant dévide la théorie des fous qui se sont détournés de la Parole de Dieu, pour se livrer aux tentations et aux joies trompeuses de la vie terrestre.
Et dans la main droite, l’affreuse créature écroulée tient un livre fermé, qui est un «livre bourse», autrement dit un livre protégé par une reliure à rabats permettant de le garder avec soi au fil de la journée – et de la vie. Il s’agit du Livre de la Parole de Dieu, que le fou a peut-être arraché à l’ermite, mais qu’il n’ouvre pas et dont il ignore la valeur. Pour lui, les mots restent vides et morts, sa folie est dans son ignorance de ce qu'il devrait savoir et, lui aussi, il va en effet mourir.
(clichés FB).
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mercredi 6 juin 2012
Le premier catalogue d'Oxford
Nous évoquions récemment les origines de la nouvelle bibliothèque de l’université d’Oxford, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. La récente conférence de l’EPHE tenue à la Bibliothèque Mazarine a donné l’occasion d’examiner de manière plus précise le premier catalogue imprimé de cette bibliothèque:
Thomas James, Catalogus librorum bibliothecae publicae quam vir ornatissimus Thomas Bodleius eques auratus in Academia Oxoniensi nuper instituit; continet autem libros alphabeticæ dispositos secundum quatuor facultates: cum quadruplici elencho expositorum S. Scripturæ, Aristotelis, iuris vtriusq[ue] & principum medicinæ, ad vsum Almæ Academiæ Oxoniensis, auctore Thoma James ibidem bibliothecario, Oxoniæ [Oxford], apud Josephum Barnesium, 1605, 656 p.(Early English books, 1475-1640, 741:12.)
A 14868 (ex libris manuscrit de l’Oratoire, Paris, avec la cote ancienne).
La page de titre (cliché 1) et toutes les pages du catalogue s'inscrivent dans un élégant encadrement de quatre filets. Le titre lui-même est un titre long, avec un dispositif typographique très soigné: le metteur en pages a adopté la forme d'un sablier, en jouant sur les casses (capitales / petites capitales / minuscules, romains / italiques) et sur les différents corps de caractères. L’accent est mis sur la formule de «Bibliothèque publique», et sur le nom du fondateur. Le titre annonce précisément le contenu de l’ouvrage, soit un «catalogue alphabétique des livres selon les quatre facultés», mais qui fournira aussi quatre index thématiques (sur les commentateurs de la Bible, etc.) mis à la disposition des membres de l’université. Le nom de l’auteur figure en plus petit corps, avec l’indication de sa fonction («Bibliothécaire là même», autrement dit, dans et de cette même bibliothèque). Cette mention discrètement en retrait témoigne pourtant de la professionnalisation du métier, et le catalogue est en effet une démonstration très efficace du savoir spécialisé qui est celui du bibliothécaire. Nous sommes, à la nouvelle bibliothèque d'Oxford, devant une configuration très moderne.
Les Observations fournissent le mode d’emploi du catalogue, lequel sert à trouver les volumes et les textes dans la bibliothèque (cliché 2): il s’agit donc d’un usuel pratique, et tout a été en effet conçu (le système des cotes, etc.) dans un but pratique. D’abord la cote, constituée de trois éléments: la lettre majuscule correspond au classement systématique et topographique; le premier chiffre désigne la subdivision de cette lettre; le second chiffre, la position du volume dans la subdivision. Le pied de mouche permet de traiter les recueils in folio (les volumes constitués de plusieurs textes): il s’agit d’un renvoi à la notice principale, avec la cote sous laquelle on trouvera le volume en question. Tous ces volumes sont enchaînés, et les lecteurs y ont par conséquent directement accès. Les volumes de plus petit format sont indiqués par des astérisques (*), et ils ne sont pas enchaînés, de sorte qu'on doit les demander au bibliothécaire. La mention MS désigne un manuscrit, la mention Q, un document d’archive, et le détail des quatre tables et de l’index est précisé, avec la pagination pour les tables.
Les pages du catalogue lui-même se présentent selon un modèle constant (cliché 3): la faculté (Libri Theologici) et la pagination en titre courant, puis la lettre de série et la sous-série (A 1), suivies du détail des volumes et des textes, avec le numéro d’ordre de chacun. Nous sommes ici sur la page consacrée à saint Augustin, qui présente treize volumes, dont quatre manuscrits (n° 10 à 13). À la suite figurent les œuvres de saint Augustin reliées avec d’autres textes, et que l’on trouvera aux cotes indiquées (A 2 12, A 3 8, etc.). En bas de page, un petit opuscule in quarto ne figure par conséquent pas parmi les livres enchaînés. Le catalogue est conçu de telle manière que le chercheur travaillant sur un certain auteur trouvera rassemblés sur une même page en un même lieu les œuvres disponibles de cet auteur, mais on lui fournit aussi les indications permettant de retrouver les textes isolés inclus dans d'autres volumes. En revanche, si les notices catalographiques sont normalisées, elles restent relativement peu développées, en particulier pour les manuscrits (dont rien n'est dit de la datation, etc.).
Le volume de James représente donc un catalogue systématique sous-classé alphabétiquement, mais il fait aussi office de catalogue topographique (puisque les séries et sous-séries correspondent aux pupitres et aux rayonnages). L’ouvrage constitue aussi un index par auteurs et par titres des livres et des textes figurant dans la bibliothèque, avec tout un système de renvois. Enfin, les quatre tables en font un instrument de travail précieux donnant, toujours à partir du fonds de la bibliothèque, les références des principaux textes pour les théologiens, les philosophes, les juristes et les médecins.
La langue du catalogue est évidemment le latin, qui est la langue savante dominant le monde occidental au moins jusqu'au XVIIe siècle, voire plus tard. Le catalogue de James est donc reçu dans toute la République des Lettres, et il est bientôt considéré comme un usuel de travail pour les principales bibliothèques, par ex., dans notre cas, à l'Oratoire de Paris. Nous le retrouvons entre autres mentionné sous la plume du Père Jacob: Le catalogue de cette bibliothèque [Oxford] a esté imprimé in 8° par Thomas James, bibliothécaire (…), et depuis in quarto (Traicté des plus belles bibliothèques publiques et particulières qui ont este et qui sont maintenant dans le monde, Paris, Rollet le Duc, 1644, p. 265 et suiv.). Il est en effet rapidement réédité, avec un dispositif qui évolue progressivement pour s’adapter à l’accroissement des collections.
La conférence d’«Histoire et civilisation du livre» remercie la Bibliothèque Mazarine d’avoir rendu possible la riche séance de travail sur les premiers catalogues imprimés de bibliothèques.
Thomas James, Catalogus librorum bibliothecae publicae quam vir ornatissimus Thomas Bodleius eques auratus in Academia Oxoniensi nuper instituit; continet autem libros alphabeticæ dispositos secundum quatuor facultates: cum quadruplici elencho expositorum S. Scripturæ, Aristotelis, iuris vtriusq[ue] & principum medicinæ, ad vsum Almæ Academiæ Oxoniensis, auctore Thoma James ibidem bibliothecario, Oxoniæ [Oxford], apud Josephum Barnesium, 1605, 656 p.(Early English books, 1475-1640, 741:12.)
A 14868 (ex libris manuscrit de l’Oratoire, Paris, avec la cote ancienne).
La page de titre (cliché 1) et toutes les pages du catalogue s'inscrivent dans un élégant encadrement de quatre filets. Le titre lui-même est un titre long, avec un dispositif typographique très soigné: le metteur en pages a adopté la forme d'un sablier, en jouant sur les casses (capitales / petites capitales / minuscules, romains / italiques) et sur les différents corps de caractères. L’accent est mis sur la formule de «Bibliothèque publique», et sur le nom du fondateur. Le titre annonce précisément le contenu de l’ouvrage, soit un «catalogue alphabétique des livres selon les quatre facultés», mais qui fournira aussi quatre index thématiques (sur les commentateurs de la Bible, etc.) mis à la disposition des membres de l’université. Le nom de l’auteur figure en plus petit corps, avec l’indication de sa fonction («Bibliothécaire là même», autrement dit, dans et de cette même bibliothèque). Cette mention discrètement en retrait témoigne pourtant de la professionnalisation du métier, et le catalogue est en effet une démonstration très efficace du savoir spécialisé qui est celui du bibliothécaire. Nous sommes, à la nouvelle bibliothèque d'Oxford, devant une configuration très moderne.
Les Observations fournissent le mode d’emploi du catalogue, lequel sert à trouver les volumes et les textes dans la bibliothèque (cliché 2): il s’agit donc d’un usuel pratique, et tout a été en effet conçu (le système des cotes, etc.) dans un but pratique. D’abord la cote, constituée de trois éléments: la lettre majuscule correspond au classement systématique et topographique; le premier chiffre désigne la subdivision de cette lettre; le second chiffre, la position du volume dans la subdivision. Le pied de mouche permet de traiter les recueils in folio (les volumes constitués de plusieurs textes): il s’agit d’un renvoi à la notice principale, avec la cote sous laquelle on trouvera le volume en question. Tous ces volumes sont enchaînés, et les lecteurs y ont par conséquent directement accès. Les volumes de plus petit format sont indiqués par des astérisques (*), et ils ne sont pas enchaînés, de sorte qu'on doit les demander au bibliothécaire. La mention MS désigne un manuscrit, la mention Q, un document d’archive, et le détail des quatre tables et de l’index est précisé, avec la pagination pour les tables.
Les pages du catalogue lui-même se présentent selon un modèle constant (cliché 3): la faculté (Libri Theologici) et la pagination en titre courant, puis la lettre de série et la sous-série (A 1), suivies du détail des volumes et des textes, avec le numéro d’ordre de chacun. Nous sommes ici sur la page consacrée à saint Augustin, qui présente treize volumes, dont quatre manuscrits (n° 10 à 13). À la suite figurent les œuvres de saint Augustin reliées avec d’autres textes, et que l’on trouvera aux cotes indiquées (A 2 12, A 3 8, etc.). En bas de page, un petit opuscule in quarto ne figure par conséquent pas parmi les livres enchaînés. Le catalogue est conçu de telle manière que le chercheur travaillant sur un certain auteur trouvera rassemblés sur une même page en un même lieu les œuvres disponibles de cet auteur, mais on lui fournit aussi les indications permettant de retrouver les textes isolés inclus dans d'autres volumes. En revanche, si les notices catalographiques sont normalisées, elles restent relativement peu développées, en particulier pour les manuscrits (dont rien n'est dit de la datation, etc.).
Le volume de James représente donc un catalogue systématique sous-classé alphabétiquement, mais il fait aussi office de catalogue topographique (puisque les séries et sous-séries correspondent aux pupitres et aux rayonnages). L’ouvrage constitue aussi un index par auteurs et par titres des livres et des textes figurant dans la bibliothèque, avec tout un système de renvois. Enfin, les quatre tables en font un instrument de travail précieux donnant, toujours à partir du fonds de la bibliothèque, les références des principaux textes pour les théologiens, les philosophes, les juristes et les médecins.
La langue du catalogue est évidemment le latin, qui est la langue savante dominant le monde occidental au moins jusqu'au XVIIe siècle, voire plus tard. Le catalogue de James est donc reçu dans toute la République des Lettres, et il est bientôt considéré comme un usuel de travail pour les principales bibliothèques, par ex., dans notre cas, à l'Oratoire de Paris. Nous le retrouvons entre autres mentionné sous la plume du Père Jacob: Le catalogue de cette bibliothèque [Oxford] a esté imprimé in 8° par Thomas James, bibliothécaire (…), et depuis in quarto (Traicté des plus belles bibliothèques publiques et particulières qui ont este et qui sont maintenant dans le monde, Paris, Rollet le Duc, 1644, p. 265 et suiv.). Il est en effet rapidement réédité, avec un dispositif qui évolue progressivement pour s’adapter à l’accroissement des collections.
La conférence d’«Histoire et civilisation du livre» remercie la Bibliothèque Mazarine d’avoir rendu possible la riche séance de travail sur les premiers catalogues imprimés de bibliothèques.
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lundi 4 juin 2012
À Saint-Victor, sous l'Ancien Régime (en prélude à une conférence de l'EPHE)
Saint-Victor de Paris a été fondé au XIIe siècle, sur l’emplacement d’une ancienne chapelle (ancienne Halle aux vins, aujourd’hui université Jussieu), par Guillaume de Champeaux. C’est d’abord un prieuré de chanoines réguliers, puis une abbaye (1113). Celle-ci devient très vite réputée pour son école et pour sa bibliothèque. La bibliothèque est, au XVe siècle, dans une salle attenante au cloître, entre l’église et le dortoir (Franklin, I, 148), mais elle est reconstruite au tout début du XVIe siècle: les volumes sont disposés par ordre systématique sur des pupitres, et Claude de Grandrue en établit un nouveau catalogue. C’est alors la principale bibliothèque du royaume. Sa réputation lui vaut d'être brocardée par Rabelais (Pantagruel) dans le célèbre Catalogue de Saint-Victor, en tant que collection caractéristique d'une culture traditionnelle fermée à l'humanisme...
Franklin explique que le règlement de l’abbaye concerne aussi la bibliothèque: celle-ci doit être garnie de boiseries, pour protéger les volumes de l’humidité; les pupitres et les livres doivent être à bonne distance les uns des autres; il faut en faire un recollement plusieurs fois par an ; le fonds sera organisé en deux ensembles, les usuels enchaînés et les livres destinés le cas échéant au prêt. Le bibliothécaire (armarius) a aussi en charge ce qui regarde la copie des manuscrits: il
est chargé de tout ce qui regarde la fourniture du parchemin et des autres objets nécessaires à l’écriture ; il choisit et surveille les copistes du dedans et du dehors ; ceux-ci ne peuvent rien transcrire sans son consentement ; il les établit dans un lieu spécial, au sein de l’abbaye, mais tranquille et écarté, afin qu’ils se livrent au travail loin du bruit et des distractions ; il veille à la pureté des textes, à la ponctuation, à la reliure (Franklin, I, 151).
Un nouveau catalogue est entrepris en 1623. La salle de la bibliothèque sera chauffée en 1651, et, l’année suivante, Henri du Bouchet lègue sa bibliothèque (environ 6000 volumes) à Saint-Victor avec l’obligation de la rendre publique. Il y joint une rente annuelle destinée à permettre d’enrichir le fonds et de payer le bibliothécaire, mais il confie aussi la donation à la surveillance du parlement. La bibliothèque est ouverte dès la même année.
L’année 1651 est aussi marquée par une crue de la Seine qui impose de mettre les livres à l’abri au deuxième étage : il est alors fait mention d’«armaria» (des armoires), d’une double rangée de pupitres au centre de la salle, et de portraits décorant les murs. C’est le dispositif qui est mis en scène sur le dessin publié par André Masson (cf. cliché infra).
André Masson présente le compte rendu d’une inspection faite en 1684 (p. 104 et suiv.). La bibliothèque est alors riche de 3000 manuscrits environ, et de 18000 imprimés, et elle accueille cent à deux cents lecteurs par jour, le lundi, le mercredi et le samedi. Comme elle demande à bénéficier du dépôt légal, les chanoines appuient leur requête en y joignant une vue mettant en scène la salle de lecture : une grande salle couverte d’un plafond cintré, avec des rayonnages muraux disposés en placards superposés adaptés aux différents formats (2 x 3 rayonnages, et un rayonnage en haut pour les petits formats). Les placards sont eux-mêmes surélevés sur des pieds en forme de pattes, et ajustés par des chevilles extérieures. On voit qu’ils sont fermés, comme le montre le second placard à gauche (ce sont des «armoires à jour», autrement dit très probablement des armoires protégées par un treillage, comme le conseille Claude Clément en 1635 ). Au-dessus des placards, les portraits des Pères.
Encore plus intéressantes sont les silhouettes des lecteurs. Au premier plan, l’un d’eux est monté sur un escabeau pour prendre un volume (on voit aussi une échelle sur le côté droit). D’autres sont installés deux par deux sur des tabourets dans les embrasures de croisées latérales: on remarque, à droite, qu’ils travaillent en posant le volume sur un lutrin. La plupart des lecteurs sont cependant au centre de la salle: derrière le bureau du bibliothécaire, une suite de pupitres inclinés et de chaises permet de travailler en bénéficiant de la lumière pénétrant par l’arrière. André Masson estime que la salle dispose au total d’une cinquantaine de places assises, tandis qu’on aperçoit une autre salle de bibliothèque ouverte sur le fond. Il ajoute :
Cette rangée de pupitres constitue une disposition tout à fait remarquable [au contraire des habituelles tables horizontales]. Nous n’hésitons pas à [y] voir un remploi du mobilier médiéval de la librairie primitive de Saint-Victor. [Et, note 37] Les Mémoires du P. Goureau (BN, ms. fr. 24082, p. 33) précisent qu’au début du XVIIe siècle «les livres estoient couchez et enchaisnez sur de longs pupitres et une allée entre deux».
Franklin explique que le règlement de l’abbaye concerne aussi la bibliothèque: celle-ci doit être garnie de boiseries, pour protéger les volumes de l’humidité; les pupitres et les livres doivent être à bonne distance les uns des autres; il faut en faire un recollement plusieurs fois par an ; le fonds sera organisé en deux ensembles, les usuels enchaînés et les livres destinés le cas échéant au prêt. Le bibliothécaire (armarius) a aussi en charge ce qui regarde la copie des manuscrits: il
est chargé de tout ce qui regarde la fourniture du parchemin et des autres objets nécessaires à l’écriture ; il choisit et surveille les copistes du dedans et du dehors ; ceux-ci ne peuvent rien transcrire sans son consentement ; il les établit dans un lieu spécial, au sein de l’abbaye, mais tranquille et écarté, afin qu’ils se livrent au travail loin du bruit et des distractions ; il veille à la pureté des textes, à la ponctuation, à la reliure (Franklin, I, 151).
Un nouveau catalogue est entrepris en 1623. La salle de la bibliothèque sera chauffée en 1651, et, l’année suivante, Henri du Bouchet lègue sa bibliothèque (environ 6000 volumes) à Saint-Victor avec l’obligation de la rendre publique. Il y joint une rente annuelle destinée à permettre d’enrichir le fonds et de payer le bibliothécaire, mais il confie aussi la donation à la surveillance du parlement. La bibliothèque est ouverte dès la même année.
L’année 1651 est aussi marquée par une crue de la Seine qui impose de mettre les livres à l’abri au deuxième étage : il est alors fait mention d’«armaria» (des armoires), d’une double rangée de pupitres au centre de la salle, et de portraits décorant les murs. C’est le dispositif qui est mis en scène sur le dessin publié par André Masson (cf. cliché infra).
André Masson présente le compte rendu d’une inspection faite en 1684 (p. 104 et suiv.). La bibliothèque est alors riche de 3000 manuscrits environ, et de 18000 imprimés, et elle accueille cent à deux cents lecteurs par jour, le lundi, le mercredi et le samedi. Comme elle demande à bénéficier du dépôt légal, les chanoines appuient leur requête en y joignant une vue mettant en scène la salle de lecture : une grande salle couverte d’un plafond cintré, avec des rayonnages muraux disposés en placards superposés adaptés aux différents formats (2 x 3 rayonnages, et un rayonnage en haut pour les petits formats). Les placards sont eux-mêmes surélevés sur des pieds en forme de pattes, et ajustés par des chevilles extérieures. On voit qu’ils sont fermés, comme le montre le second placard à gauche (ce sont des «armoires à jour», autrement dit très probablement des armoires protégées par un treillage, comme le conseille Claude Clément en 1635 ). Au-dessus des placards, les portraits des Pères.
Encore plus intéressantes sont les silhouettes des lecteurs. Au premier plan, l’un d’eux est monté sur un escabeau pour prendre un volume (on voit aussi une échelle sur le côté droit). D’autres sont installés deux par deux sur des tabourets dans les embrasures de croisées latérales: on remarque, à droite, qu’ils travaillent en posant le volume sur un lutrin. La plupart des lecteurs sont cependant au centre de la salle: derrière le bureau du bibliothécaire, une suite de pupitres inclinés et de chaises permet de travailler en bénéficiant de la lumière pénétrant par l’arrière. André Masson estime que la salle dispose au total d’une cinquantaine de places assises, tandis qu’on aperçoit une autre salle de bibliothèque ouverte sur le fond. Il ajoute :
Cette rangée de pupitres constitue une disposition tout à fait remarquable [au contraire des habituelles tables horizontales]. Nous n’hésitons pas à [y] voir un remploi du mobilier médiéval de la librairie primitive de Saint-Victor. [Et, note 37] Les Mémoires du P. Goureau (BN, ms. fr. 24082, p. 33) précisent qu’au début du XVIIe siècle «les livres estoient couchez et enchaisnez sur de longs pupitres et une allée entre deux».
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