samedi 13 janvier 2018

Conférence d'histoire du livre

École pratique des hautes études, IVe section
Conférence d'histoire et civilisation
du livre

  Lundi 15 janvier 2018
16h-18h
L'invention de la bibliographie et les voyages littéraires
en France, XVe-XVIIIe siècle (5)
par
Monsieur Frédéric Barbier
directeur d'études


La «publicité» est, comme nous l'avons déjà souligné (par ex. ici, ou encore à propos du colloque de Parme), une catégorie qu’il convient de contextualiser s'agissant du petit monde des bibliothèques: à partir du XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, les bibliothèques «communautaires» (par ex., celle de telle ou telle maison religieuse) peuvent être considérées comme des bibliothèques ouvertes à une certaine société, et il existe par ailleurs déjà en Europe occidentale, des bibliothèques dites «publiques». Par ailleurs, il se pose toujours la question du statut et du fonctionnement d'institutions qui sont en réalité très différentes les unes des autres.
Lorsque dom Martène et dom Durand, au cours de leur deuxième «Voyage littéraire», arrivent à l’abbaye cistercienne de Cambron, un peu au nord de Mons (Belgique actuelle), ils y rencontrent un jésuite qui enseigne aux jeunes élèves. Ils font connaissance dans la bibliothèque, ce qui est l’occasion d’une scène amusante, et qui nous éclaire sur les pratiques du prêt:.
Prenant un manuscrit, il y lut ces mots: «Liber B. Mariæ de Camberone, si quis eum abstulerit, anathema sit ». Pour lors, le religieux qui nous accompagnoit dit en riant: si tous ceux qui ont pris des manuscrits sont excommuniez, il y aura bien des jésuites excommuniez. À quoy le Jésuite répondit: vous nous les avez donnez. Ce qui pourroit bien être: car je suis persuadé qu’on met bien des vols de manuscrits sur le compte de ces révérends Pères, dont ils sont fort innocens, & j’ay trouvé dans certains monastères des manuscrits qu’ils avoient renvoyez avec leurs lettres d’avis du renvoy, quoiqu’on y conservoit encore le récépissé qu’ils avoient donné en les empruntant. Ceux qui trouveront ces récépissez ne manqueront pas de dire, sans examiner davantage, que ces pères ont retenu leurs manuscrits (III, 106-107).
Dom Martène se réjouit aussi de pouvoir découvrir certaines collections privées: le premier cabinet qu’il cite dans son livre est constituée par la bibliothèque de «Monsieur Baron» à Sens.
dans laquelle il y a quelques manuscrits, & entr’autres les lettres de Billius, une théologie de Jacques le Bossu, religieux de Saint-Denys, & le manuscrit sur lequel le P. Labbé a imprimé la chronique de Rouen (I, 63).
De même, à Dijon, les voyageurs sont heureux d’être reçus par les propriétaires de grandes collections privées. Ils découvriront plus tard avec intérêt le cabinet et les collections du baron de Crassier à Liège:
Nous passâmes l’après-dînée [il faut entendre: l'après-midi] chez monsieur le baron [Guillaume] de Crassier; nous y trouvâmes une excellente bibliothèque tant en livres imprimez qu’en manuscrits, grand nombre d’antiquitéz (II, 177).
Ils visitent aussi la collection de M. Louvrex, avant de quitter la ville pour poursuivre leur route vers l'Allemagne.
Vue de Liège, tirée de l'admirable "Carte de Ferraris", certes un petit peu plus tardive (1770-1776) (© BR de Belgique)
Enfin, ils remarquent que la ville de Troyes est l’une des premières du royaume à avoir accueilli une bibliothèque «publique»:
Le vaisseau de la bibliothèque des Cordeliers est plus beau & mieux fourni [que chez les Jacobins], elle est publique, & trois fois la semaine on l’ouvre à tous ceux qui veulent profiter de la lecture des livres (I, 93).
De fait, on sait que Jacques Hennequin (1576-1661), docteur et professeur de théologie en Sorbonne, avait en 1651 fait don de sa bibliothèque de 12 000 volumes (avec le mobilier: ais, tablettes et marchepieds) au couvent des FF MM de Troyes (Franciscains, alias Cordeliers), à condition que ceux-ci l’ouvrent au public trois jours par semaine. Un profès de la maison serait bibliothécaire, et Hennequin assure pour le financement une rente de 400 ll. par an. La bibliothèque est installée au premier étage de la chapelle de la Passion (qui est peut-être le lieu de la première bibliothèque des Cordeliers): voûte gothique de 7m de haut, 5 travées, dix croisées de chaque côté. Entre les croisées se trouvent des buffets couronnés de frontons et surmontés de vases. Le bâtiment a malheureusement été détruit en 1835. Les livres sont classés par formats.
Mais à Tournai aussi, la bibliothèque est «publique et fort bonne». Elle sera confisquée à la fin du XVIIIe siècle (elle est à l’origine de l’actuelle bibliothèque de la ville), en prévision de son expédition à la préfecture de Mons. On appréciera à sa juste valeur l’orthographe du responsable des opérations de rangement et d’expédition des livres...
 À la Bibliothèque de la Catadral il se trouvue quarante trois quesse de livres et cent soixante paquet (…). Sit jai une priaire avous faire cest seras de vourend a l’adminisstration pour fair acceleraix la reponce de la soumission que nous leur avon en voier si nous pouvons convenir nous chargerons sur le chan tous la biblotecde la catedral est sel de martain [et celle de [Saint-]Martin].
On estimera plus tard les quarante caisses à un poids de 5 tonnes…
La conférence poursuit l'enquête sur le Voyages littéraires des Mauristes, et sur leur apport à une meilleure connaissance de la théorie et de l'anthropologie des bibliothèques à l'aube du Siècle des Lumières. 

Lieu: École pratique des Hautes Études, IVe section, 54 boulevard Raspail, 75005 Paris (premier sous-sol, salle 26).
Métro Sèvres-Babylone, ou Saint-Sulpice.

Calendrier des conférences (attention: les sujets à jour des conférences et les éventuelles modifications sont régulièrement annoncés sur le blog. N'oubliez pas, comme disent les informaticiens, de «rafraîchir» la page du calendrier quand vous la consultez).

1 commentaire: