mardi 23 août 2016

Les débuts de l'imprimerie en Pologne: note de géographie historique

La Pologne, pays slave, mais pays ouvert à de multiples influences: si nous nous bornons à la très large période qui va du IXe à la fin du XVIIIe siècle, nous commençons par la christianisation, venue de Moravie et de Bohême (Prague) à partir du IXe siècle. Au Xe siècle, le premier prince historique de la Pologne est Mieszko (± 960-992), qui se fait baptiser à Gniezno / Gnesen en 966. L’évêché de Poznań / Posen (sur la Warta, affluente de l'Oder) est organisé deux ans plus tard, comme suffragant de l’archevêché «missionnaire» de Magdebourg. Une génération encore, et Adalbert, évêque de Prague, est envoyé en mission chez les Borussiens (vieux Prussiens), slaves païens de la côte de la Baltique. À la suite de son martyr (997), son corps est rapatrié à Gniezno, et il sera désormais considéré comme le patron du royaume. Trois ans encore, et l’élévation de Gniezno au rang d’archevêché fonde l’Église polonaise, avec les provinces de Kòłobrzeg / Kolberg (Poméranie), de Cracovie et de Wroclaw / Breslau, puis de Poznań. 
Après avoir régné deux siècles environ, la dynastie des Piast succombera face à l’ambition des princes voisins, et à la pénétration des colons allemands installés dans les grandes villes de négoce (à commencer par Cracovie, mais aussi à Wroclaw et à Poznań). C’est aussi le temps de la montée en puissance des grands féodaux et de l’ordre Teutonique. Appelés par le duc Konrad de Mazovie en 1226, les Teutoniques conquièrent en effet et germanisent la région de la Baltique. Enfin, la deuxième moitié du XIIIe siècle est occupée par les raids dévastateurs des Tatars mongols.
L’axe de la Vistule s’est alors déjà imposé comme la principale voie d’exportation, pour les marchandises non seulement polonaises mais aussi hongroises. Les textes écrits sont naturellement d’abord en latin, mais le polonais comme langue écrite apparaît au XIIe siècle.
La Pologne de Casimir apparaît comme l’embryon d’un empire multinational, dans lequel vivaient des Polonais, des Allemands (…), des Ruthènes (…), des Flamands, des Valaques (…), des Juifs, des Arméniens (…). L’administration usait de plusieurs langues, représentées par des chancelleries diverses. La fondation, en 1364, de l’université de Cracovie, la seconde [en Europe centrale] après Prague et avant l’Allemagne [Leipzig] témoigne de cette ouverture (Georges Castellan, Histoire des peuples d’Europe centrale, Paris, Fayard, 1994, p. 51).
À la fin du XIVe siècle, le mariage de Ladislas Jagellon fonde les bases de l’union lituano-polonaise (1385), laquelle durera près de trois cents ans avant de se conclure par les crises du XVIIIe siècle, par les partages successifs de la Pologne, et par la disparition, en définitive, d’un État rendu impuissant par son régime politique de «république nobiliaire». 
Le Collegium Majus, siège historique de l’université de Cracovie. La porte de la célèbre bibliothèque est celle que l’on voit au premier étage de la galerie.
Rien de surprenant si, s’agissant du territoire de la Pologne actuelle, l’imprimerie apparaît d’abord à Cracovie, ville qui cumule les fonctions de direction dans les domaines politique, intellectuel (avec son université) et négociant. C’est un bavarois, Kaspar Straube, qui y introduit pour la première fois l’imprimerie, avec un calendrier publié en 1474 (GW, Einblatt, 130). Nous ne lui connaissons que quatre titres au total, tous en latin, mais il est probable que d’autres ont été donnés dont aucun exemplaire ne se trouverait conservé. L’atelier de Straube semble cesser toute activité après seulement deux ou trois ans.
La typographie ne réapparaîtra à Cracovie que dans les années 1489-1491, avec le personnage de Swietopolk Fiol: Sebald Fayl vient lui aussi d'Allemagne du sud, en l'occurrence de la petite ville de Neustadt an der Aisch, entre Nuremberg et Wurtzbourg. D’abord installé comme orfèvre à Cracovie, il fonde, en 1489, un atelier d’imprimerie, avec le soutien financier de Johann Thurzo, alors le plus puissant entrepreneur de la ville et un proche des Fugger d’Augsbourg. Fayl, qui a «slavisé» son nom en Fiol, est le premier à publier des titres liturgiques en slave, imprimés en caractères cyrilliques et destinés à l’exportation en pays ruthène: l’évêque fait pourtant fermer l’atelier, de sorte que l’imprimerie ne pourra s’implanter définitivement à Cracovie que dans les premières années du XVIe siècle. Fiol, quant à lui, meurt vers 1526.
Il est possible qu’un atelier ait aussi fonctionné à Chelmno / Kulm, sur la Vistule, dans les années 1473-1478 (cf ISTC): rappelons que les Teutoniques avaient tenté de fonder une université dans cette ville en 1386. D’autres imprimeries sont encore connues dans des villes de la Baltique, Malbork / Marienburg (Jacob Karweysse, vers 1492) et Gdansk / Danzig (1498/ 1499). Mais en définitive, nous restons, pour le XVe siècle, à moins de trente titres connus comme ayant été imprimés dans la géographie de la Pologne actuelle (y compris Wroclaw). 
Immeuble du chapitre de Wroclaw, où exerça le premier imprimeur de la ville
Pendant deux générations au moins, il reste ainsi à peu près impossible aux artisans de concurrencer les puissants ateliers des principaux centres de production de l’ouest, Venise et les villes allemandes au premier chef: à titre de comparaison, rappelons que ce ne sont pas moins de 370 titres qui sont attribués au premier imprimeur de Leipzig, Konrad Kachelofen. Sur les marches de l’Europe occidentale, en Pologne comme en Hongrie, on se procure des imprimés d'abord en les important, soit par la voie de mer (les villes hanséatiques de la Baltique), soit par les grands itinéraires des foires, à commencer par la «route royale» (via regia) conduisant de Francfort-s/Main à Erfurt, Leipzig, Görlitz et Cracovie (et de Nuremberg à Prague et à Leipzig). Si nous nous autorisons une métaphore, ces deux grands itinéraires du négoce et des transferts, par voie de mer ou par voie de terre, correspondent bien aussi à ce que nous appellerions aujourd’hui des «autoroutes de l’information»…

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