Mais nous conserverons ici la perspective historique. La copie des manuscrits est des siècles durant restée chose de l’Église, pour les abbayes ou pour les chapitres cathédraux. On copie sur place les textes dont on pense avoir besoin, et qui seront ensuite tenus à disposition dans les différents bâtiments (l’église, les cellules des moines, l’infirmerie, le cloître et son école, etc., outre, bien sûr, le scriptorium ou la bibliothèque). Les collections laïques sont très rares, la principale étant peut-être, sous Charlemagne, celle du palais d’Aix-la-Chapelle, plus tard celles des différentes cours royales et autres.
Même si les manuscrits voyagent, nous le savons (on pourrait même dire, paradoxalement, qu’ils voyagent d’autant plus qu’ils sont plus rares), nous sommes dans une logique d’autoproduction, et il n’y a pratiquement pas de marché du livre au sens économique du terme.
La conjoncture change à partir du XIe siècle. Les causes générales sont connues: l’essor démographique, la montée des villes, le développement des échanges, la rationalisation politique progressivement à l’œuvre et –les universités. Par suite, la demande en formation élémentaire se fait pressante: il faut souvent, en ville, savoir lire, écrire et compter, et l’accès aux fonctions supérieures suppose une formation elle-même plus spécialisée.
À Paris, les maîtres investissent les pentes de la Montagne Sainte-Geneviève, tandis que les grands établissements religieux voient leurs écoles recruter davantage, que ce soit Sainte-Geneviève et Saint-Victor, ou l’école du cloître Notre-Dame. Au tournant du XIIe siècle, maîtres et étudiants s’organisent en corporation, l’universitas (universitas studiorum). Un siècle plus tard, la renommée des enseignements aurait attiré jusqu’à dix mille étudiants «immatriculés» dans la capitale du royaume…
Autorisée par la papauté, l’université est donc fondamentalement une corporation: elle n’assure pas de cours, elle ne fournit pas de services, mais elle apporte un statut et un certain nombre de garanties. L’enseignement, la mise à disposition de bibliothèques, voire le logement des étudiants et des professeurs, sont le fait d’autres structures, au premier chef les écoles et les nouveaux «collèges», dont le plus célèbre, pour Paris, est celui fondé par Robert de Sorbon en 1257: la Sorbonne, qui possède plus de mille volumes dans sa bibliothèque à la fin du XIIIe siècle.
Mais, avec l’université, c’est aussi une nouvelle économie du livre qui s’impose: il faut en effet fournir des manuels aux étudiants, sans parler du nécessaire d’écriture, parchemin, plumes, encres, cahiers, etc. Des professionnels s’établissent en ville, qui vont assurer ces services nouveaux: à Paris, les premières mentions datent du début du XIIIe siècle, lorsque Jean de Garlande explique, dans son Dictionarius, que le «parvis» de la cathédrale constitue le lieu où sont réunis ceux qui font commerce du livre «scolaire», alias du livre d’école.
Marque typographique de Bocard, à Paris, fin du XVe s. |
quatre jurés choisis par leurs pairs veillent au respect de la réglementation, qui concerne essentiellement le prix de location des livres et la correction des manuscrits.
Et, pour anticiper sur ce qui suivra: les historiens du livre le savent, les premiers typographes parisiens sont appelés eux aussi à l’initiative de l’université (1470), et celle-ci regroupe les professions liées à l’art nouveau qu’est l’imprimerie. En 1488 on dénombre parmi ses «suppôts» vingt quatre libraires jurés, quatre parcheminiers, quatre marchands et sept fabricants de papier, deux enlumineurs, deux relieurs et deux «écrivains»… La marque typographique de Bocard réunit les armes de la royauté, celles de l'université de Paris et celles de la ville, tandis que la légende proclame:
Honneur au roy et à la court! Salut à l'université dont notre bien procède et sourt [sort]! Dieu gart [garde] Paris la cité!
On le voit, avec notamment l’université (mais elle n'est pas la seule), c’est la logique du marché qui émerge dans le domaine du livre, selon une articulation qui s'impose pendant environ deux siècles. À partir du début du XVIe siècle en revanche, le lien se dénoue progressivement: si l’université subsiste en tant que corporation, elle perd le contrôle sur la branche, face à la concurrence montante de l’absolutisme royal. L’intérêt économique d’un privilège («imprimeur de l’université») devient lui-même limité, à une époque où l’essentiel de la production émanant de l’alma mater consiste en feuilles de programme et en positions de thèses, plus qu'en «librairie» à proprement parler –manuels et autres livres scolaires sont publiés plus ou moins librement. La clientèle d’un important collège jésuite (par exemple à Dole), et surtout celle de l'administration (les imprimeurs du roi!), constitue désormais une manne autrement profitable…
Dans quelle mesure les presses universitaires actuelles sont indépendantes de la manne de l'argent public, c'est, parmi d'autres questions annoncées par le programme, ce que le symposium nous dira.
Séance d'ouverture du symposium |
très bonne conférence
RépondreSupprimerBonjour (et salut à... l'universitaire !)
RépondreSupprimerPour la marque de Bocard, vous avez voulu indiquer fin XVe, non ?
Sincèrement,
hlc
Merci, et aussi pour la note sur la coquille. Oui, fin XVe, bien sûr! Je corrige...
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