Toute la «librairie» est importée d’Europe, et la première presse typographique ne fonctionne au Brésil qu’au tout début du XIXe siècle.
À la fin de 1807 en effet, le prince régent de Portugal (plus tard le roi João VI) quitte Lisbonne pour le Brésil: il s’agit pour lui d’échapper à l’armée napoléonienne qui vient d'entrer au Portugal. La capitale du vice-royaume accueille dès lors le souverain et la cour royale. L’exemple est probablement unique, d’une monarchie européenne transportée dans un environnement jusque-là colonial –un cas d’école, pour les théoriciens et autres historiens des transferts culturels. La bibliothèque embarquée par le prince compte quelque 60 000 pièces, et elle est installée à Rio dans le couvent des Carmes (Ordem Terceira do Carmo, dans l'actuelle rue du 1er mars). Le décret du 29 octobre 1810 en fait la Bibliothèque royale, laquelle sera accessible au public à partir de 1814.
Un bâtiment représentatif... |
Pedro II (1825-1891) succède à son père après que celui ait dû abdiquer en 1831, le nouvel empereur étant reconnu majeur en 1840. C’est lui qui réussit à faire du Brésil une puissance internationale stable, et en voie rapide de modernisation. Cet auteur des années 1850 (Émile Adet) peut souligner avec justesse l’ampleur du changement: partout, on construit des routes, partout on jette des ponts, partout
on fonde des hôpitaux et divers autres établissements d’utilité publique. (…) Le trait le plus saillant (…) est assurément l’espèce de renaissance intellectuelle dont (...) principalement à Rio de Janeiro, on rencontre les traces. Cette renaissance est favorisée (…) par de nombreux établissements scientifiques et littéraires. Au premier rang (…), on doit citer les bibliothèques et les musées de la ville. Sans parler du jardin botanique, un des plus riches du monde, et d’un très beau musée de curiosités naturelles, Rio de Janeiro possède trois bibliothèques. La bibliothèque du couvent des bénédictins est fort riche en textes anciens et en ouvrages de théologie; celle de l’empereur se distingue par ses éditions modernes; enfin, la bibliothèque nationale, dont aucun voyageur n’a parlé, est un des plus précieux dépôt de livres du Nouveau-Monde. Située dans l’ancien hôpital des carmélites, cette bibliothèque communique avec le palais du chef de l’État, et on y rencontre bien souvent le jeune empereur…
... et fonctionnel: vue partielle des magasins surplombant l'ancienne salle de lecture |
L’importance donnée au projet explique que le bâtiment soit achevé en cinq années à peine. L’unité en est d’autant plus fascinante que les concepteurs ont articulé un programme architectural spectaculaire, mais fonctionnel, avec un mobilier spécifique, très moderne, et en grande partie toujours en place aujourd’hui. On remarque tout particulièrement l’ancienne salle de lecture, surplombée par des magasins dont les rayonnages autoportants sont susceptibles d’accueillir quelque 350 000 volumes.
Et, pour en revenir à notre époque, l’âge post-gutenbergien (celui des nouveaux médias) est d’autant moins antinomique avec les réalisations, parfois spectaculaires, qui l’ont précédé (par ex. la Bibliothèque nationale du Brésil), qu’il devient impératif de donner au lecteur (et au citoyen) une perspective lui permettant de dépasser les « vaticinations des pensées de survol », comme le disait avec efficacité Régis Debray: autrement dit, ne croyons pas que la modernité passe toujours par la disparition de l'ancien, et suivons l'exemple du Brésil en donnant à voir, encore plus à comprendre, les réalisations de ceux qui nous ont précédés.
(Émile Adet, « L’Empire du Brésil et la société brésilienne en 1850, dans Revue des deux mondes, 1851, p. 1080 et suiv.)
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