Le "Reclam-Carrée", ancienne librairie imprimerie Reclam à Leipzig |
Les Reclam s’orientent vers la librairie avec Karl Heinrich Reclam, qui s’installera à Leipzig en 1802, après s’être allié son mariage à la grande famille des libraires et intellectuels Campe, elle-même liée aux Vieweg. Le fils, Anton Philipp, fera son apprentissage dans ces mêmes réseaux libéraux, avant de s’établir à son tour, d’abord comme libraire, puis comme éditeur et imprimeur. Ce sont ces choix politiques (notamment en tant qu’un opposant résolu à la censure) qui expliquent, probablement, son intérêt pour la problématique du «livre pour tous». Cependant, ses tentatives pour élaborer un programme éditorial échouent devant la protection des droits des auteurs, jusqu’à la complète réorganisation de celle-ci en 1867. C’est à cette date que Reclam invente le produit qui fera sa fortune, la Universal Bibliothek.
Le programme éditorial est ambitieux:
On travaillera sans relâche à la poursuite de cette collection, dont l'ampleur dépendra du débit qu'elle rencontrera dans le public. On promet la parution de toutes les œuvres classiques de notre littérature qui peuvent avoir un intérêt général, et dont l'importance matérielle le permet. Que l'on ne comprenne pas par là que des œuvres auxquelles le qualificatif de «classiques» ne s'applique pas, mais qui n'en jouissent pas moins d'une popularité générale, se trouveraient exclues. Il se trouve d'autres œuvres qui seront pour la première fois présentées au public dans la collection de la Universal Bibliothek, dans laquelle trouveront également leur place de bonnes traductions allemandes des meilleures œuvres des littératures étrangères ou anciennes.
Comme les volumes sont vendus au public séparément, chacun se trouve en position de se constituer une bibliothèque d'après son propre goût et ses propres besoins, sans être obligé, à côté des œuvres qu'il désire, d'en acheter d'autres qui lui sont absolument indifférentes…
Publicité pour les distributeurs de Reclam |
Le succès est immédiat: la collection s’accroîtra de 140 numéros par an en 1890, et atteindra le numéro 3470 en 1896, puis le numéro 5000 en 1910. La faiblesse des marges bénéficiaires est cependant à l’origine d’une difficulté pour la librairie de détail, dans la mesure où le détaillant ne touche plus qu’une somme réellement minime pour chaque exemplaire vendu. Reclam y répond par la mise en place rapide d’une politique publicitaire efficace, et par une innovation particulièrement remarquable, celle du distributeur automatique.
La Universal Bibliothèque au XXIe siècle |
Les distributeurs automatiques de Reclam symbolisent pleinement le changement de logique dans la librairie industrielle, le passage du livre plus ou moins rare et cher au produit d'usage courant, et l'inversion nécessaire d'une distribution qui, jusque là tournée vers un public relativement limité, doit inventer les procédés nouveaux adaptés à la masse. En 1887, la maison est entièrement reconstruite, aux numéros 22 à 26 de la Inselstraße. Le bâtiment est encore en partie conservé aujourd’hui, notamment les locaux de l’ancienne imprimerie industrielle.
Quant à la Universal Bibliothek, elle est toujours publiée (en plusieurs sous-séries), et constitue même un modèle dont pourraient s’inspirer d’autres maisons d’édition: nous y trouvons d’ailleurs des textes qui intéressent… l’historien du livre, comme le manuel d’histoire des bibliothèques de Uwe Jochum, en 280 pages, très solidement encollées et pour le prix vraiment très accessible de 6,80 euros («UB», n° 17667).
Un parallèle avec le phenomème catholique en Espagne à la fin du xixème me semble intéressant. Le moment politique ne pourrait être plus compliqué: perte définitive des colonies -Cuba et les îles Philippines- donc, éffondrement d'un empire en ruines et une crise économique profonde. Chercher un vertebrement des valeurs nationales se matèrialise dans des "bibliothèques" editoriales.
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