Issu d’une célèbre famille des Lumières et élève de l’abbé Barthélemy (l’auteur du Voyage du jeune Anacharsis), le comte de Choiseul (Choiseul-Gouffier) renouvelle en effet l’étude de l’Antiquité grecque en organisant à vingt-quatre ans son célèbre voyage en Grèce (1776) qui le conduit à travers l'Archipel, puis le long de la côte d’Asie mineure jusqu’à Constantinople, avant de visiter la Athènes et la Grèce continentale.
Dès son retour à Paris, Choiseul lance la préparation de son Voyage pittoresque de la Grèce, un ouvrage qui fonde le genre éditorial des «voyages pittoresques» en même temps que la renommée de son auteur. Le premier volume, achevé avec la publication du Discours préliminaire en 1782, fait une large part aux rencontres du comte avec tel ou tel personnage «pittoresque» au fil des escales ou des étapes: ainsi du «moine voltairien» sur la grève de Patmos, ou encore de l’aga Hassan dans sa petite capitale d’Asie mineure.
L’ouvrage est aussitôt un succès européen et, à trente et un an, Choiseul est élu au fauteuil de d’Alembert à l’Académie française. Parallèlement, il commence à agir pour se faire nommer à l’ambassade de Constantinople, un poste à ses yeux idéal pour poursuivre son travail d’archéologue et d’historien antiquisant. Mais, au Palais de France, le comte découvre rapidement une réalité à laquelle il n’avait pas vraiment songé: le déclin de l’Empire ottoman et la montée en puissance de la Russie rendent singulièrement complexe et délicate la situation politique en Méditerranée orientale, et les «puissances» donnent libre cours à leurs ambitions pour contrôler des positions devenues stratégiques, à commencer par celles des «détroits».
À Constantinople, Choiseul est aussi rattrapé par la Révolution. Il remplit ses obligations de diplomate le plus longtemps possible, avant de quitter l’ambassade pour se réfugier en Russie, auprès de Catherine II. Bientôt, il sera nommé le premier directeur de la nouvelle Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. En 1802 enfin, il peut bénéficier des dispositions prises pour le retour des émigrés, et rentrer à Paris: il y poursuit la préparation de son livre, mais se lance aussi dans la réalisation d’un projet particulièrement innovant, celui d’un «musée d’antiquités» qui doit faire de la capitale française une sorte de nouvelle Athènes. La mort (1817) l’empêchera de concrétiser son projet, en même temps que de voir l’aboutissement de la publication de son Voyage pittoresque.
Gabriel de Choiseul a été l’homme d’un rêve, le rêve de la Grèce, et l’homme d’un livre, le Voyage pittoresque de la Grèce. Il s’impose comme une figure exceptionnelle pour prendre la mesure des aspirations, des tensions, des choix intellectuels et artistiques, mais aussi de l’évolution des sensibilités dans toute l’Europe au cours d’une période particulièrement complexe.
Frédéric Barbier, Le Rêve grec de Monsieur de Choiseul. Les voyages d’un Européen des Lumières, à paraître, Paris, Armand Colin, 2010.
Ill. : au Palais de France, au-dessus de Constantinople (cliché F. Barbier).
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