La défaite de Mohács, en 1526, marque la destruction du puissant royaume de Hongrie, entré dans une phase de désagrégation progressive depuis 1490 (voir billet du 22 avril). La lutte des prétendants à la couronne conduit à la prise de Buda par les Ottomans en 1541 et à la tripartition du pays : le centre est occupé par les Turcs, l’Ouest reste aux mains des Habsbourg, l’Est (la Transylvanie) devient une principauté vassale de Constantinople. Or, les développements de la crise religieuse en Europe ont des effets majeurs sur les territoires de l’ancien royaume. Les Habsbourg sont du côté du catholicisme, tandis que la Réforme se diffuse en Hongrie et que les Ottomans appliquent dans leurs nouveaux vilayets une politique religieuse tolérante. À côté du luthéranisme, le zwinglianisme et l'antitrinitarisme ont une grande influence vers l’est et en Transylvanie: les biens de l’Église catholique y sont sécularisés en 1551.
Ces événements touchent aussi en profondeur le monde de l’enseignement, des bibliothèques, et des livres en général. Nombre de grands seigneurs se convertissent en effet au protestantisme et organisent leurs résidences comme des centres de culture réformée, avec école, bibliothèque, éventuellement imprimerie, etc.: ainsi d’István Bánffy (1522-1568), de Boldizsár Batthyány (1537-1590), de György Thurzó (1567-1616), ou encore des Nádasdy à Sárvár.
Des collèges protestants sont d’autre part fondés dans les villes : Debrecen accueille le principal (1538), avec sa bibliothèque riche aujourd’hui de plus de 520 000 volumes.
Le travail éditorial se développe aussi, le plus bel exemple étant donné, grâce au soutien des Rákóczi, par Gáspár Károlyi, ancien étudiant à Wittenberg et pasteur à Gönc en 1563. Károlyi est le principal traducteur, à partir de la Bible genevoise de Robert Estienne (1557), de la Bible hongroise de Vizsoly, dont une première édition, peut-être incomplète, sort en 1589 et l’édition complète en 1590 (cf cliché). On a parlé d’un tirage initial de 700 à 800 exemplaires, mais 293 éditions et rééditions suivront dans toute l’Europe. Il est remarquable que ce travail ait été réalisé par un atelier typographique établi dans un village, Vizsoly, de la route de Cassovie (Košice / Kaschau), en Haute-Hongrie (cf cliché).
Dès lors que la Réforme progresse, l’opposition à Vienne prend une dimension à la fois politique et religieuse. Toujours en Haute-Hongrie, Sárospatak est la résidence des Perényi (à partir des années 1534), puis (1616) des Rákóczi. Le choix du calvinisme est peut-être fait en opposition à un luthéranisme assimilé à la tradition allemande.
György Rákóczi (1583-1648), un temps prince de Transylvanie, mène une action suivie dans le domaine de la culture et possède une riche bibliothèque personnelle, confiée à la direction d’István Tolnai. Par ailleurs, Sárospatak est une ville réformée, où les anciens étudiants de Wittenberg sont relativement nombreux et où un Collège luthérien (puis calviniste) est fondé dès 1531 dans les bâtiments de l'ancien monastère franciscain. Il est rapidement renommé, et Comenius lui-même y enseigne à partir de 1650 (on possède un règlement de 1621, et des statuts de 1656). Bien évidemment, le collège entretient en outre une bibliothèque elle aussi célèbre. Elle est enrichie de la bibliothèque Rákóczi en 1660.
Mais la seconde moitié du XVIIe siècle voit la montée en puissance des Habsbourg et le repli des Ottomans : les Autrichiens reprennent Buda en 1686-1687 et libèrent la Hongrie (traité de Karlowitz, 1699). Du coup, le royaume devient un pays d’émigration, notamment catholique, tandis que les empereurs développent une politique de reconquête religieuse et qu’ils se substituent au sultan comme suzerains de la Transylvanie.
Les Jésuites ouvrent un collège à Sárospatak, et le Collège réformé est évacué en 1672, les livres étant en partie envoyés à Debrecen, à Gyulafehérvár (Alba Julia), capitale de la Transylvanie, et à Marosvásárhely (Tirgu Mures). Un retour partiel des livres a lieu en 1686, mais le Collège doit à nouveau se replier à Gönc, puis à Cassovie. Même après le retour définitif à Sárospatak (1705), la bibliothèque doit pour l’essentiel reconstituer ses collections (cf cliché).
Le dernier prince de Transylvanie sera Ferenc II Rákóczi, dont la révolte contre Vienne (1703-1711) marque l’échec définitif de l’indépendance de la principauté. Le traité de Szatmár (Satu Mare, auj. Roumanie) reconnaît cependant une certaine liberté aux protestants dans le royaume.
Quant à Ferenc II, il doit se réfugier dans l’Empire ottoman, à Rodostó (Tekirdağ, sur la mer de Marmara), où il mourra en 1736: le retour de sa dépouille à Cassovie au début du XXe siècle sera l’occasion d’une série de manifestations commémoratives tout au long du trajet par chemin de fer. Dans l'immédiat, au XVIIIe siècle, le temps est à l'intégration de la Hongrie et de la Transylvanie dans les États des Habsbourg, et à la déconstruction des institutions culturelles réformées au profit de la reconquête catholique.
Clichés : 1) Le temple de Vizsoly ; 2) Page de titre de la Bible hongroise de 1590 ; 3) Bibliothèque de Sárospatak, reconstruite en style néo-classique (clichés FB).
Carte du royaume de Hongrie en 1815: Carte de Hongrie, 1815
Le protestantisme en Hongrie: Protestantisme en Hongrie
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