Restons aujourd’hui encore à Leyde, dont nous avons évoqué la Bibliotheca Thysiana, mais où la bibliothèque de l’université est tout particulièrement célèbre. Nous sommes dans l’orbite de la Réforme calviniste, et de la lutte politique entre l’Espagne et ses provinces du Nord: Charles Quint abdique en 1555, et confie son empire à son frère Ferdinand (pour les territoires germanophones) et à son fils Philippe II pour l’Espagne, les «Pays-Bas» (y compris la Franche-Comté) et les possessions d’outre-mer.
Mais Philippe II est un prince espagnol, qui gouverne depuis Madrid et qui néglige le rôle de la noblesse locale. Dans le même temps, la Réforme se propage aux Pays-Bas, jusqu’à prendre la forme violente de l’iconoclasme (1566). Dès lors que Philippe II met au centre de ses préoccupations le rétablissement d’une orthodoxie sans failles, l’opposition à l’Espagne associe dimension politique et réforme religieuse. Tandis que les «Pays-Bas du Sud» resteront acquis au catholicisme, y compris Anvers, les provinces du Nord, confiée au stathouder Guillaume le Taciturne, prince d’Orange, entrent en rébellion ouverte en 1568: la «guerre de quatre-vingts ans» ne s’achèvera qu’avec les traités de Westphalie en 1648, ruinera en partie l’Espagne, et aboutira à la reconnaissance du nouvel État des Provinces Unies.
La violence de la répression (et la crise religieuse en France même) expliquent que les «Pays-Bas du Nord» deviennent alors déjà une terre du refuge: le fils de Jules César Scaliger († 1558), Joseph Juste, né à Agen en 1540, se réfugie aux Pays-Bas en 1590 et décédera à Leyde en 1609. On sait que Descartes rédige son Discours de la méthode aux Pays-Bas, et qu’il fait publier l’ouvrage à Leyde, chez Jean (Jan) Mairé, en 1637.
En 1575, les Espagnols ne peuvent réussir à prendre Leyde, et Guillaume le Taciturne décide d’y fonder une université, à laquelle est très vite adjointe une bibliothèque. Les premiers locaux sont ceux de l’ancien couvent dominicain, sur l’élégant canal du Rapenburg: la bibliothèque est accueillie dans une salle voûtée du rez-de-chaussée. Quelques années plus tard, l’université appelle Christophe Plantin, qui s’établit à Leyde comme imprimeur privilégié de 1583 à 1585, avant de rentrer à Anvers et de laisser l’établissement de Leyde à son gendre Rapheling.
L’essor de l’université impose d’ouvrir de nouveaux locaux dès 1593. C’est cette nouvelle bibliothèque qui est reproduite sur la célèbre gravure de Woudanus en 1610 (cliché 1): les rayonnages sont au centre, devant lesquels les lecteurs travaillent debout, en utilisant un pupitre (cliché 2). Les volumes sont enchaînés, le dos à l’extérieur et la tête en bas, de manière à ce qu’on les ouvre très facilement malgré leur chaîne. Le reste du mobilier comprend notamment quatre sphères, l’armoire contenant les livres de Scaliger (sur la droite), les portraits des princes d’Orange et un grand panorama de Constantinople. Le dispositif topographique est révélateur, dans la mesure où les classes les plus importantes sont au centre (théologie et classiques de l’Antiquité).
La bibliothèque universitaire [de Leyde] est d’une haute importance. Le catalogue en avait été dressé dès l’année 1636 et imprimé par les Elzevirs; il forme un volume in-4° de 216 pages, plus la partie des manuscrits arabes et orientaux, qui comprend 21 pages (Deschamps).
Dans ces années 1640, le fonds de la bibliothèque a été multiplié par six, grâce notamment au travail du bibliothécaire Daniel Heinsius, et le catalogue imprimé s’impose comme un usuel de bibliographie (six éditions en sortiront jusqu’au début du XVIIIe siècle). Treize ans plus tard, en 1653, on décide d’abandonner l’ancien aménagement au profit d’une bibliothèque murale. Les livres sont rangés systématiquement sur des rayonnages (selon l’ordre des facultés), les chaînes sont enlevées, les manuscrits et autres exemplaires très précieux sont sécurisés dans des armoires fermées. Tous portent désormais une cote. Nouveau bouleversement avec l’entrée de la bibliothèque d’Isaac Vossius en 1691. Cette fois, le modèle est pris à Nuremberg, où un double épi longitudinal avait été mis en place, ainsi que des balustrades, pour des raisons de sécurité: il faut donc désormais passer par l’intermédiaire du custos. On dispose d’une gravure donnant une vue de la salle en 1712 (cliché 3), tandis que le catalogue imprimé est à nouveau complété et réédité en 1716.
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