Madame Emmanuelle Chapron a traité, les 21 et 28 novembre 2011, de l’histoire du livre scolaire en France dans les deux derniers siècles d’Ancien Régime.
Depuis les dernières décennies du XVIe siècle, les évêques s’inquiètent de l’orthodoxie des livres d’école. Les statuts synodaux, par ex. en Champagne, se préoccupent des livres qui sont dans les mains des maîtres, avec une opposition sensible sur le genre: l’objectif, pour les filles, se limite à ce qu’elles puissent suivre la messe. D’autre part, depuis la fin du XVIIe siècle, beaucoup de catéchismes d’enfants deviennent de facto des livres scolaires, parfois avec quelques variantes de forme (on intercale en tête un alphabet). D’autres titres sont contrefaits, comme le Magasin des enfants de Jeanne Marie Leprince de Beaumont, ouvrage dont le succès se prolonge au XIXe siècle.
Les écoles fonctionnent sur le principe de l’exploitation de ce qui existe, et n’ont pas de matériel pédagogique spécifique, tandis que le souci de fournir des livres aux enfants n’est pas toujours adopté par les communautés d’habitants. D’une manière générale, au XVIIIe siècle, le livre «scolaire» ne coûte pas cher, mais il génère des marges limitées, qu’il convient donc d’accroître par la quantité des exemplaires mis en vente. Les impressions sont notamment réalisées sous le régime de l’arrêt de 1730, qui libéralise la production d’almanachs, heures, ABC, etc., de deux feuillets d’impression au maximum, avec une permission de trois ans reconduite sans examen. Pour autant, certains professionnels essaient d’obtenir un privilège local qui leur assure un monopole dans un cadre géographique limité.
Les choses commencent cependant à évoluer. À l’école d’Ay (dossier également évoqué par Emmanuelle Chapron dans un article de Histoire de l’éducation, 2010), on signale en 1792 une petite armoire pour ranger les livres à l’usage des enfants. Par ailleurs, même si les bibliothèques scolaires restent généralement de l’ordre des agrégats de hasard, le XVIIIe siècle est marqué par une réflexion sur la problématique des livres pour les enfants, y compris ceux des familles démunies, tandis que l’idée commence à s’imposer, selon laquelle les livres pédagogiques doivent plus ou moins être organisés en une série cohérente et progressive. Dans un second temps, on passera au principe selon lequel tous les enfants d’un même niveau doivent autant que possible avoir le même livre, ce qui est notamment le cas chez les congrégations charitables comme les Frères des École chrétiennes.
Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, la modernisation de l’enseignement s’impose comme un thème plus fréquent, tant pour les collèges que pour les petites écoles. En Champagne en 1770, il est prévu que le maître ait à sa disposition quelques titres de pédagogie, tandis que l’on prévoit que les enfants apprennent d’abord à lire en français (puis en latin), que les livres soient uniformes dans la classe et que les classes soient organisées par niveaux –la mise en œuvre de ces mesures reste évidemment problématique. Le besoin de livres nouveaux se fait plus sensible, en l’occurrence un manuel unique (pour limiter les coûts) proposant conjointement des notions morales, religieuses et plus proprement intellectuelles.
Jean-Baptiste Louis Crévier, régent de collège à Beauvais, publie en 1762 son De l’éducation publique, dans lequel il défend l’idée d’un «code rustique», autrement dit d’un compendium général et accessible à tous. La citation figurant au titre est explicite: Populus sapiens, gens magna. L’Académie de Chalons a des préoccupations analogues, et organise un concours sur le thème de l’éducation publique en 1779. Le prix est décerné à un parlementaire de Bordeaux, Goyon d’Arzac, qui développe un programme très structuré en vue de la mise en place généralisée d’un service d’éducation nationale (en fonction de la taille des ville, de la spécificité des populations concernées, de la hiérarchie des structures scolaires, etc.). L’auteur établit en outre une liste des livres à utiliser, tant pour les enseignants que pour les enfants. Il explique que toutes les opportunités sont bonnes à saisir, et que, par exemple, la pagination du livre de lecture peut aussi servir à l’apprentissage de l’arithmétique. L’impression des volumes se fera aux frais de l’État dans les nouvelles circonscriptions scolaires, et ils seront achetés par les parents.
Ces réflexions s’inscrivent pleinement dans la double optique, de l’attention désormais portée aux données relevant de l’économie politique, et de la mathématisation des savoirs dans les dernières décennies de l’Ancien Régime.
La prochaine conférence de Madame Emmanuelle Chapron se tiendra le 16 janvier 2012, de 14h. à 16h., et traitera des «Bibliothèques des collèges britanniques à Paris».
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