En 2014, Madame Anne Boyer soutenait dans le cadre de l’École pratique des Hautes Études (ED 472) une thèse de doctorat consacrée à la dynastie des imprimeurs et libraires parisiens d’Houry. Le travail avait été préparé sous la direction éclairée de notre maître, Monsieur Daniel Roche. Aujourd’hui, une demi-douzaine d’années plus tard, voici que sort la version imprimée de cette thèse exemplaire, sous la forme d’un impressionnant volume inséré dans la série des publications spécialisées de l’EPHE et de la Librairie Droz:
Anne Boyer,
Les d'Houry. Une dynastie de libraires-imprimeurs parisiens, éditeurs de l'Almanach royal et d'ouvrages médicaux (1649-1790),
préf. Daniel Roche,
Genève, Librairie Droz, 2021,
[XVI-]534-[2] p., ill.
« Histoire et civilisation du livre », VI-40).
ISBN 978-2-600-05747-9
Nous laissons d'abord la parole à l'éditeur: «Si la famille d’Houry, aux origines fort modestes, acquiert nom et fortune dans la librairie parisienne grâce à l’Almanach royal (dont Laurent d’Houry obtient le privilège à la fin du XVIIe siècle), elle a commencé bien plus tôt à spécialiser sa production dans un domaine scientifique, médical en particulier, en phase avec l'édification en cours du réseau académique français et d'une «République des sciences» entre «Grand Siècle» et «Lumières». Cette étude montre sur le temps long que ce parti éditorial précurseur de la maison d'Houry est indéniable, sans que pour autant sa viabilité soit assurée dans la durée, en raison d’un créneau professionnel encore étroit et surtout de la concurrence croissante d’autres maisons parisiennes. D’où les compléments essentiels qu’apportent à l’entreprise l’Almanach royal et l’établissement d’une imprimerie permettant une plus grande autonomie de production mais obligeant aussi à élargir le répertoire et à s’assurer d’autres marchés plus directement «alimentaires» (factums, travaux de ville, impressions au service de la famille d’Orléans et de l’ordre de Malte). À l’instar des Jombert, c’est la déstabilisation révolutionnaire qui viendra révéler les fragilités d’une entreprise étroitement dépendante, en fin de compte, des protections collectives et individuelles dont bénéficiait la librairie parisienne d’Ancien Régime».
Bien évidemment, le travail le travail de Madame Boyer apporte d’abord un précieux complément à nos connaissancessur la librairie d’Ancien Régime, mais il touche aussi à d’autres domaines, comme l’histoire des familles, l’anthropologie historique, ou encore la construction d’un modèle politique moderne. Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point: l’origine de l’almanach est à chercher dans le calendrier, que nous voyons apparaître, sous la forme d’un imprimé, dès la fin du XVe siècle. Ce genre éditorial se développe progressivement, jusqu’à être pris en charge par l’administration princière: en France, l’Almanach royal fait l’objet d’un privilège et est publié chaque année à partir de 1683/1699 (cf détails donnés par Anne Boyer, p. 74 et suiv.).
L’objectif poursuivi est de trois ordres: 1) L’Almanach donne d’abord la généalogie de la maison souveraine, et des autres maisons régnantes, en tant que cette généalogie est par elle-même une justification de la gloire fondée sur le lignage.
2) Le tableau des bureaux (et l’état des dignitaires et membres du personnel) répond à l’objectif de rationalité et d’information.
3) Enfin, l’Almanach constitue un vecteur de publicité, puisqu’il est disponible sur le marché de la librairie. Globalement, l’Almanach est un indicateur de la modernité administrative, mais il fonctionne aussi comme un instrument permettant de gérer la hiérarchie sociale, à travers l’ordre des parties (le clergé d’abord, puis la noblesse) et des rubriques, et à travers les indicateurs de rapprochement, ou encore l’apparition de nouvelles charges. C’est ainsi que la liste des «princes, seigneurs et pairs de France» sera généralement donnée «suivant le rang qu’ils ont au Parlement».
C’est en tant que témoignage de la modernité que le modèle français sera repris, tout en conservant le cas échéant le choix même du français, dans un certain nombre de publications d’Outre-Rhin : ainsi de l’Almanach de la cour électorale de Cologne, voire de l’Almanach de la cour impériale et royale de Vienne, etc. La pertinence de l’Almanach suppose qu’il soit très régulièrement tenu à jour (en cas de besoin, on y insérera des cartons). Enfin, son caractère représentatif en tant que produit de la cour explique aussi l’attention donnée à sa forme matérielle, et notamment à la qualité de la typographie et aux ornements xylographiés.