Appel à communications
Colloque
La théologie par ordre alphabétique
Le dispositif éditorial du dictionnaire à l’âge de l’imprimé et ses effets
sur la disciplinarisation et la polémique théologiques (XVIe-XXIe siècle)
sur la disciplinarisation et la polémique théologiques (XVIe-XXIe siècle)
18-19 juin 2020
École nationale supérieure
des sciences de l’information et des bibliothèques
(Lyon)
des sciences de l’information et des bibliothèques
(Lyon)
«On a tout mis en Dictionnaire, excepté nos folies, parce qu’on sait qu’elles formeroient des in-folio, & que nous ne lisons plus que des brochures», peut-on lire dans L’Inoculation du bon sens, petite brochure satirique due à l’homme de lettres Nicolas-Joseph Sélis (1), qui souligne là deux faits conjoints: d’une part, l’importance grandissante d’un objet éditorial au XVIIIe siècle, le dictionnaire, et de l’autre, l’embarrassante question du lectorat de ces gros volumes à l’âge où triomphent les publications courtes et acérées. Les dictionnaires sont-ils faits pour être lus, ou au moins consultés, le temps d’une leçon, d’un exercice scolaire, d’un problème juridique ou d’un doute lexical? Leur grand format –tout relatif en réalité– ne masque-t-il pas la forme brève par excellence, celle de la notice parfaitement indépendante de celle qui précède et de celle qui suit?
C’est à cette double question, celle des conditions économiques et matérielles de l’émergence d’un nouveau produit éditorial à partir de la «révolution de l’imprimé» (Elisabeth Eisenstein), et celle des usages nouveaux ou traditionnels que ce produit permet, que voudrait se consacrer ce colloque, en appliquant ces problématiques au champ de la théologie.
En effet, l’historiographie a souligné combien cette révolution de l’imprimé avait été le moteur des réformes à partir de la fin du XVe siècle et avait favorisé l’émergence puis la stabilisation de deux Europe chrétiennes, l’une protestante et l’autre catholique. Cette donnée chronologique invite à repérer dans l’immense masse des imprimés, après les livres de piété, les vies des saints ou les ephemera (2), d’autres formes éditoriales susceptibles de soutenir l’une ou l’autre cause. Les dictionnaires et encyclopédies croisent en outre un fait social essentiel à l’époque moderne: la tension continue entre les efforts de normalisation des comportements et des croyances par les Églises , et l’émancipation des individus, y compris au sein de la plus stricte orthodoxie. Le dictionnaire est l’outil normatif par excellence –de la langue, du sens, des concepts, des usages lexicographiques–, mais il autorise aussi, par l’arbitraire de sa construction au fur et à mesure que s’impose l’ordre alphabétique, des digressions, des renvois, des rapprochements fortuits ou imposés qui ouvrent la porte à de nouvelles discussions. Enfin, le dictionnaire est le symptôme flagrant de la disciplinarisation des savoirs au fur et à mesure de leur reconnaissance dans le champ savant et social.
Or, l’âge moderne voit un mouvement contradictoire de professionnalisation progressive des théologiens reconnus par les instances ecclésiastiques (3), et de déspécialisation de la discipline dans l’ensemble de la société, alors que l’émergence de la critique invite tout un chacun à s’improviser théologien. L’abandon presque systématique, à partir de la fin du XVIIe siècle, de la langue latine pour cette catégorie d’ouvrages, alimente d’autant cette approche critique de la religion dans le champ social, et favorise le glissement de la théologie dans le champ culturel, voire littéraire (4).
Acte de naissance de Jacques Paul Migne, Saint-Flour, 18 fructidor VIII (© Ad15) |
1) Quelles sont les conditions –matérielles, intellectuelles, censoriales…– nécessaires à l’édition d’un dictionnaire entre le XVIe et le XXIe siècles? Quelle est la rentabilité d’une telle entreprise? Y a-t-il un profil type de l’auteur de dictionnaires théologiques (on songe à Houdry, Pontas, Durand de Maillane, Migne, Mangenot, Vacant…)? Comment travaillent de concert l’auteur et l’éditeur / imprimeur / libraire ? Quelle est la diffusion espérée de ces produits? Quelle place occupent-ils dans l’histoire de la contrefaçon et de l’édition clandestine?
2) Quelle est la réception critique des dictionnaires de théologie? Quels échos en rendent les journaux bibliographiques et savants? Qu’en pense l’opinion?
3) Quel est le lectorat espéré? Quels sont les usages prescrits... et les usages réels? Les communicants pourront ici interroger la pratique de la constitution de dictionnaires à usage personnel, dans la veine des «lieux communs», ou des listes de lecture organisées alphabétiquement pour rafraîchir la mémoire du lecteur.
Notes
(1) Londres, [s. n.], 1761, p. 9.
(2) Philippe Martin, Une Religion des livres (1640-1850), Paris, Ed. du Cerf, 2003. Éric Suire, Sainteté et Lumières: hagiographie, spiritualité et propagande religieuse dans la France du XVIIIe siècle, Paris, H. Champion, 2011. Ephemera catholiques: l’imprimé au service de la religion (XVIe-XXe siècles), dir. Philippe Martin, Paris, Beauchesne, 2012.
(3) Voir par exemple Fabienne Henryot, «Portrait du récollet en écrivain au XVIIe siècle», dans Les Récollets. En quête d’une identité franciscaine, dir. C. Galland [et al.], Tours, PUFR, 2014, p. 219-233.
(4) Voir, pour le XVIIe siècle, Jean-Pascal Gay, Le Dernier théologien? Théophile Raynaud (v. 1583-1663), histoire d’une obsolescence, Paris, Beauchesne, 2018; pour la période contemporaine, Stéphanie Dord-Crouslé, «Les entreprises encyclopédiques catholiques au XIXe siècle: quelques aspects liés à la construction du savoir littéraire », dans La Construction des savoirs (XVIIIe - XIXe siècles), dir. Lise Andriès, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2009, p. 77-196.
(5) Sylviane Albertan-Coppola, « Nature et grâce à travers les dictionnaires du 18e siècle: un débat philosophico-théologique», dans Dix-huitième siècle, 2013, n° 1, p. 61-78.
(6) Marcel Bernos, «La ‘femme’ dans le Dictionnaire théologique de Bergier», dans Clio. Femmes, Genre, Histoire, 1995, n° 2 [En ligne] : https://journals.openedition.org/clio/492
(7) Christiane Mervaud, «Quelques aperçus sur la théologie et les théologiens dans le Dictionnaire philosophique», dans Littératures, 1994, vol. 31, n° 1, p. 79-90 ; Sylviane Albertan-Coppola, «La spécialisation dans l’Encyclopédie méthodique. Le cas de la théologie», dans Panckoucke et l’Encyclopédie méthodique. Ordre de matières et transversalité, dir. Martine Groult, Luigi Delia, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 245-254.
(8) L’Encyclopédie théologique de Migne (1844-1873) entre apologétique et vulgarisation, dir. Claude Langlois, François Laplanche, Paris, Éd. du Cerf, 1992.
(9) Théologie et érudition de la crise moderniste à Vatican II. Autour du Dictionnaire de théologie catholique, dir. Sylvio Hermann de Franceschi, Limoges, PULIM, 2014.
(10) Élisabeth Décultot, Lire, écrire copier: les bibliothèques manuscrites et leurs usages au XVIIIe siècle, Paris, CNRS ed., 2003.
Les propositions de communication, d’une demi-page environ, seront adressées à Amance Flichy (amance.flichy@enssib.fr), Marie Servillat (marie.servillat@enssib.fr) et Fabienne Henryot (fabienne.henryot@enssib.fr) avant le 29 février 2020.
Le programme définitif sera élaboré en mars 2020.
Ce colloque est organisé par les étudiants du Master 1 & 2 «Cultures et l’écrit et de l’image» Enssib/Université Lumière Lyon 2, sous la direction scientifique de Fabienne Henryot (Enssib) et de Philippe Martin (Université Lyon 2), avec le soutien de l’Enssib, du Centre Gabriel Naudé (EA 7286) et du LabEx Comod.
Communiqué par Amance Flichy
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