Précis des procès-verbaux des administrations provinciales depuis 1779 jusqu’en 1788. Ouvrage contenant le résumé des objets traités dans les différens bureaux, tels que l'agriculture, les manufactures, le commerce, les milices, les haras, les pépinières, les chemins et canaux, la mendicité, les ateliers de charité, &c. Premier [Second] volume,
À Strasbourg, chez Levrault, imprimeur de l’Assemblée provinciale,
avec approbation et permission, M. DCC. LXXXVIII [1788],
2 vol., [4-]XXXI p., [1] p. bl.], 299 p., [1] p. bl.] + [2] p. bl., [2-]310 p., 8°.
Le projet poursuivi par le libraire-imprimeur, en l’occurrence Levrault, est celui de soutenir les réformes. Les procès-verbaux des Assemblées provinciales ont été publiés, en une série de 24 volumes in-4°, mais la diffusion d’un ensemble aussi important ne peut être que limitée:
Telle intéressante que soit la collection des procès-verbaux des assemblées provinciales, peu de personnes ont pu réunir 24 volumes in-4° imprimés dans plusieurs provinces; d’ailleurs, chaque assemblée ayant été obligée, pour l’instruction de tous ses membres qui composent les différentes subdivisions, de faire imprimer les édits, déclarations, règlements généraux & particuliers, les mêmes objets se trouvent nécessairement répétés dans chaque volume (t. I, «Préface»).
L'idée sera donc de donner une sorte de compendium des travaux et des propositions, sous la forme d’un Précis en deux volumes (le prix est probablement de 6 ll.). Le contenu sera présenté par «provinces», selon une disposition qui suit plus ou moins la géographie, de l’Alsace à l’Île-de-France, puis vers l’ouest, et enfin vers le sud. Le choix des extraits vise à proposer un tableau d’ensemble des principaux sujets abordés, tandis que la «Table des matières» insérée in fine permet de localiser les passages intéressant chacun d’eux. On le voit, il est bien certain que la préparation de l’édition a représenté un travail de rédaction très réel, et auquel on peut imaginer que le fils aîné du libraire-imprimeur a à nouveau directement participé.
De fait, François Levraut l’Aîné (1762-1821) est une figure-clef du milieu des réformateurs strasbourgeois. Cet ancien élève du Collège royal, puis de l’université, est licencié en droit en 1782, et sera trois ans plus tard secrétaire de l’intendant Antoine de Chaumont de la Galaizière. Très proche de Frédéric de Dietrich, il est président de la Société des Amis de la Constitution et procureur-syndic de la commune de Strasbourg (1790), puis député suppléant à l’Assemblée nationale (1791). Destitué en août 1792, il se réfugiera un temps à Bâle.
Le titre de notre ouvrage ne correspond pas exactement au contenu, puisqu’il s’agit bien des Procès verbaux des États Généraux, pour lesquels une permission tacite est accordée le 14 juillet 1788 (BnF, mss, fr. 21867, f° 106r°). L’arrêt du Conseil pris le lendemain annonce aussitôtla convocation prochaine des États Généraux, et invite chacun à communiquer les informations et remarques qu’il souhaite: le moment semble particulièrement propice pour une opération éditoriale d'envergure.
Deux lettres inédites de Jean-François Née de La Rochelle nous éclairent plus précisément sur la politique du libraire éditeur. La première est en date du 5 août 1788, et montre que les Strasbourgeois se sont tournés vers leur confrère parisien pour la diffusion de leur nouveau titre. Mais Née s’inquiète:
Je croyois que l’impression de l’ouvrage que vous me proposés avoit été suspendue ou arrêtée sur des représentations que j’ai su avoir été faites à Mgr le Garde des sceaux [Lamoignon de Basville]. Je ne présume cependant pas que vous ayez pris sur vous d’imprimer sans permission le Précis des procès-verbaux des assemblées provinciales, mais dans le cas où vous n’auriez aucune permission, avant de risquer un ballot adressez m’en un seul exemplaire par quelqu’ami: je ferai demander une permission simple ou tacite pour cet ouvrage en le présentant. Si vous êtes en règle, vous pouvez m’adresser 150 ex. de cet ouvrage, nom compris 8 ex. pour la Chambre syndicale et 5 ex. pour les journaux, lesquels 13 ex. tombent à la charge de celui qui imprime ou de l’auteur, ainsi que cela se pratique.
Je vous prie de n’en envoyer à aucun de mes confrères à Paris, et si vous pouvez mettre mon nom sur le frontispice, j’en serai fort aise. Il convient d’envoyer 75 ex. brochés, & le reste en feuilles.
C’est toute la stratégie de la distribution qui nous est ainsi détaillée: envoi à Paris de 150 exemplaires dont la moitié brochés et les autres en feuilles, outre les exemplaires destinés à la publicité (pour les «journaux») et ceux de la Chambre syndicale –sans oublier l’exclusivité du distributeur, et la possibilité de voir son nom apparaître sur la page de titre. Une lettre postérieure de trois semaines nous fait implicitement comprendre que les problèmes restent pourtant bien réels, et que l’ouvrage n’est effectivement pas autorisé, Née cherche à faire avancer le dossier, en «plaçant » le plus judicieusement possible les deux exemplaires qu’il a reçus:
J’ai fait remettre à M. Cottereau (1), secrétaire de M. de Malesherbes (2), l’un des deux. Le second a été remis à Mgr le Garde des sceaux avec une petite requête pour lui demander la permission de faire entrer dans Paris un nombre d’exemplaires de l’ouvrage.
Malheureusement, la réponse est négative,
très probablement parce que le titre semble n’avoir bénéficié que d’une permission du Magistrat de Strasbourg, ce qui ne peut à la fois que heurter la puissante corporation des professionnels parisiens, et indisposer une administration centrale toujours très attentive à faire respecter ses prérogatives. Du coup, Née suggère à ses correspondants de se faire appuyer par certaines autorités strasbourgeoises, en l’occurrence le syndic de l’Assemblée provinciale:
En l’état des choses, vous comprenez que je ne puis me charger du débit de ce livre, quoique j’ai eue l’espérance d’en placer une certaine quantité. Si vous avez quelque moyen de faire demander [et] d'obtenir par le syndic de l’Assemblée Provinciale de Strasbourg, soit à M. le Controlleur Général soit à M. le Lieutenant de Police, un ordre de faire retirer de la douane ledits livres sans passer par la Chambre syndicale, il est probable qu’on fermera les yeux sur le débit, surtout si on se dispense d’en faire l’annonce dans les journaux ; alors vous pourriez me les adresser, mais je vous préviens que ce sera à vos risques & périls, ne voulant pas me charger de l’événement.
En définitive, le Précis de Levrault est d’abord autorisé, puis interdit. Mirabeau (1749-1791) s’en indigne dans sa plaquette Sur la liberté de la presse, Londres [sic pour Paris], 1788, où il explique notamment, dans une note de la p. 2:
Le Roi a donné des Assemblées à la plupart de ses Provinces, & le précis des procès-verbaux de ces Assemblées [sic], ouvrage indispensable pour en saisir l’ensemble & pour en mettre les résultats à la portée de tous les Citoyens, ce précis, d’abord permis, puis suspendu, puis arrêté, ne peut franchir les barrières dont la Police, à l’envi de la Fiscalité, hérisse chaque Province du Royaume, où l’on semble vouloir mettre en quarantaine tous les livres pour les purifier de la vérité.
La note infrapaginale précise: C’est M. Levrault, imprimeur de Strasbourg, qui éprouve en ce moment cette iniquité. Cet Artiste, recommandable par ses talens & sur tout par sa probité délicate, a, indépendamment de ses principes, trop à perdre pour rien hasarder dans son état. Il n’a donc imprimé ce très-innocent recueil qu’après avoir rempli toutes les formalités qui lui sont prescrites; il n’en souffre pas moins une prohibition absolue & une perte considérable.
Ce même titre, nous le voyons pourtant réapparaître trois ans plus tard, alors que les problèmes de censure ne se posent plus dans les mêmes termes (cf cliché 2). L’adresse est devenue:
À Strasbourg, chez (Levrault, imprimeur du département
( J-G. Treuttel, libraire
À Paris, chez Onfroy, libraire, rue Saint-Victor, n° 11 (4).
Avec approbation et permission.
Il semble très probable qu’il s’agit là d’un second «état» de l’édition de 1788, dont les exemplaires stockés à Strasbourg ont pu être muni d’une nouvelle page de titre. Désormais, le libraire-imprimeur a pris ses précautions, et il s’est associé avec son collègue Treuttel, spécialiste du grand commerce de librairie, et avec le parisien Onfroy. Le même titre réapparaît une troisième fois dans le Moniteur de 1794, cette fois à la double adresse de Strasbourg (Levrault) et de Fusch (Paris, rue des Mathurins, Maison de Cluny). Et le Moniteur de préciser:
Cet ouvrage fut imprimé en 1788; son objet était d'offrir des notions exactes du commerce, des manufactures et de l’agriculture française, et des améliorations dont ces diverses branches de prospérité publique étaient susceptibles. Quelques exemplaires en étaient à peine répandus, que M. Barentin, alors garde des sceaux, en fit défendre la vente sous les peines les plus fortes. Depuis, les orages révolutionnaires en ont suspendu la circulation…
En définitive, un dossier d’apparence modeste, mais qui nous fait toucher du doigt le rôle des notables réformateurs que sont certains imprimeurs-libraires à la fin de l’Ancien Régime, en même temps que les pratiques professionnelles de la librairie du temps (notamment, le souci de rentrer dans ses frais), sans oublier les oppositions politiques à leur niveau le plus élevé.
Notes
1) Personnage dont nous n’avons pu préciser l’identité. Plusieurs familles Cottereau sont connues à Chartres, etc., comme actives dans la branche de l’imprimerie-librairie. Par ailleurs, un certain Joseph Pierre Cottereau est fourrier de la Maison du roi en 1775.
2) Guillaume François de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), ancien directeur de la Librairie, et qui se tient alors quelque peu en retrait, même si toujours membre du Conseil du Roi. Le fait de s’adresser à Malesherbes répond à la recherche d’appuis. Le directeur général de la Librairie est à cette date Vidaud de la Tour, et il dépend du garde des sceaux Chrétien François de Lamoignon.
3) Charles Louis François de Paule de Barentin (1738-1819), successeur de Lamoignon comme garde des sceaux le 14 sept. 1788, apparaît comme une figure du camp conservateur.
4) Eugène Onfroy, gendre de Lottin, décédé en 1809: cf Delalain, p. 160.
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